Sonatel : Quand les citoyens se révoltent contre l’entreprise « citoyenne »
lundi 30 novembre 2015
La récente bronca des députés contre la Sonatel, lors de l’examen du budget du ministère des Postes et des Télécommunications à l’Assemblée nationale, est symptomatique du sentiment de rejet qui s’exprime dans de nombreux secteurs de l’opinion publique sénégalaise à l’égard de l’opérateur historique qui aime pourtant à se présenter comme « une entreprise citoyenne ». C’est ainsi que, dans le courant de l’année 2015, l’Intersyndicale des travailleurs de la Sonatel s’est opposée aux projets d’externalisation de la Direction générale consistant en la vente des tours de télécommunications (Towerco), la mise en place d’un Global Network Operations Center (GNOC) et l’externalisation de la gestion des équipements du Radio Access Network (RAN), qui, à terme, risque de faire perdre à la Sonatel, et au-delà au Sénégal, un certain nombre d’emplois et de de compétences techniques. De son côté, l’Association des revendeurs de crédits de recharge Seddo a appelé à une grève de 48 heures pour protester contre l’entrée en vigueur du paramétrage zonal, mesure imposée par la Sonatel et qui les obligent à vendre leurs produits dans des zones déterminées. Les abonnés de la Sonatel ont, à leur niveau, mis en place un groupe Facebook intitulé « si toi aussi tu te sens arnaqué par Orange », comptant quelques 45 000 membres, à travers lequel ils dénoncent pêle-mêle, la validité limitée des recharges de crédit téléphonique, alors que celles-ci ont un caractère illimité chez Tigo et Expresso, la mauvaise qualité du service client, le coût excessif des pass Internet permettant la connexion mobile à Internet, la cherté des offres Triple play (29 000FCFA par mois) et des frais d’installation (25 000 FCFA) en regard des services fournis, notamment la faiblesse du débit Internet limité à 2 Mbps, les frais de location de la Livebox qui s’élèvent à 4000 FCFA par mois alors qu’Orange la facture à 3 euros (2000 FCFA) par mois en France, le montant élevé des frais facturés pour les paiements effectués via Orange Money, les dysfonctionnements sur le réseau, etc. Afin de protester contre toutes ces pratiques jugées abusives, ce groupe a organisé le 1er octobre et le 12 novembre 2015 des journées de boycott d’Orange. Dans le cadre du processus d’attribution de licences et de fréquences pour l’utilisation de la 4G, nous avons également assisté à une passe d’armes feutrée entre l’Etat et la Sonatel sur le prix du ticket d’entrée, la puissance publique déclarant avoir rejeté une offre de cette dernière estimée insuffisante tandis que l’opérateur historique affirmait n’avoir fait aucune proposition. S’agissant des rapports que la Sonatel entretient avec d’autres opérateurs, les choses ne vont guère mieux puisque l’on assiste actuellement à un bras de fer avec le Consortium du service universel (CSU), qui commercialise ses services dans la région de Matam sous la marque commerciale Hayo, sur la question du prix facturé par la Sonatel pour la location de ses tours de communication ainsi que sur celle relative au paiement de la TVA sur les appels internationaux. Chose nouvelle, la Sonatel doit également faire face aux protestations des élus locaux qui lui reprochent, d’une part, d’installer ses équipements (câbles, tours de télécommunications, etc.) sur le domaine public sans en faire la demande auprès des collectivités locales et, d’autre part, de ne pas s’acquitter de la redevance d’occupation du domaine public (RODP), telle que définie par le décret n° 2005-1182 du 6 décembre 2005 relatif aux prérogatives et servitudes des exploitants des réseaux de télécommunications ouverts au public. Ce conflit a pris une telle ampleur que le ministère la Gouvernance locale, du Développement et de l’Aménagement du Territoire a été amené à organiser un atelier d’échange et de partage pour l’amélioration des relations entre la Sonatel et les collectivités locales. Le point d’orgue de ces protestations a été atteint avec les vives critiques exprimées par les députés sur la couverture et la qualité du réseau, les tarifs pratiqués et le paiement des redevances, certains allant même jusqu’à dénoncer l’arrogance dont ferait preuve la Sonatel et demander à l’Etat de ne pas renouveler sa concession qui expire en 2017 ! Tous ces évènements se déroulent avec en toile de fond la problématique du renouvellement de la concession de la Sonatel qui arrive à expiration en 2017 et qui fait l’objet de grandes manœuvres de la part d’Orange avec notamment des visites répétées de son PDG, Stéphane Richard, au Sénégal. Il faut dire que l’enjeu n’est pas mince pour Orange puisque l’Afrique constitue désormais son principal relais de croissance.
Alex Corenthin
Secrétaire aux relations internationales