Demander qu’on audite la Sonatel-Orange ? Il faut peut-être un grain de folie pour oser le réclamer en ces temps où « l’opérateur historique » a juste fini de célébrer en très grandes pompes ses « 25 ans » de « succès » et qu’elle affiche, année après année, des résultats financiers records tout en se targuant de détenir le titre « phare » de la BRVM (Bourse régionale des valeurs mobilière, basée à Abidjan).
Certains pourraient, de bonne foi, penser que c’est vraiment aller trop loin et chercher des poux sur la tête d’une gracieuse dame à la mise élégante. Que non !
En tout cas, à Ouestaf nous franchissons le pas. Solennellement, nous prenons le pari de demander à tous les citoyens qui le peuvent de se mobiliser pour obliger, par tous les moyens, les autorités sénégalaises à s’y atteler au plus vite pour sauver les millions d’abonnés que nous sommes et les milliers d’entreprises dont l’activité repose sur les télécommunications et, accessoirement, les 2400 emplois que génère cette société.
Si de loin, rien ne semble justifier cet appel, l’heure n’en est pas moins très grave à la Sonatel-Orange. Suffisamment grave pour qu’on ne se permette plus de fermer les yeux, ni de se taire.
Souvenons-nous qu’avant sa chute mémorable en 2001, sur fond de scandale, Enron, la majestueuse compagnie américaine affichait des résultats encore plus flatteurs que ceux de Sonatel-Orange.
Souvenons-nous que le très respectable magazine « Fortune », spécialisé sur les questions financières, avait désigné Enron... et pendant six années de suite « entreprise la plus innovante », en se basant sur les « performances » qu’affichait la direction de la compagnie juste avant qu’elle ne s’écroule.
Souvenons-nous qu’au moment de sa faillite, devenue un cas d’école dans le monde de la finance et de l’entreprise, Enron affichait des revenus chiffrés en 2000 à 101 milliards de dollars US (oui, vous avez bien lu, cent et un milliards de dollars américains). L’entreprise employait 22.000 agents et était considérée comme l’un des « leaders mondiaux » dans ses domaines d’activités qui s’étendaient à des secteurs aussi variés que l’énergie, le papier, la communication. C’est vous dire !
Pour ceux qui ne sont pas convaincus, rappelons que la récente « crise des banques » aux Etats-Unis a mis à genoux des mastodontes de la finance, que l’on croyait en excellente santé financière et que l’on jugeait jusque là indéboulonnables.
Quel lien avec la Sonatel-Orange ?
Eh bien, la Sonatel-Orange dans sa forme et ses pratiques actuelles présente tous les signes du syndrome Enron et des autres pathologies ayant entraîné la crise des banques aux Etats-Unis avec leurs conséquences incalculables pour les ménages américains et l’économie mondiale. Une gestion basée uniquement sur l’affichage de résultats financiers « insolents », toujours « positifs », alors qu’au fond... rien ne marche.
Pour nous en convaincre, faisons un rapide passage en revue pour les analyser de quelques chiffres tels que fournis par la Sonatel-Orange elle-même sur son site web - sur lequel, soit-dit en passant, les coquilles et fautes d’orthographe sont déjà un premier signe révélateur du niveau d’exigence et de professionnalisme que se donnent les responsables de la boîte (espérons que ce ne sont là que de « petits détails » qui seront vite corrigés).
Pour en venir au fond, qui nous intéresse, entre 2006 et 2009, le chiffres d’affaires de la Sonatel-Orange a connu une progression constante, passant de 398,65 milliards à 562,62 milliards FCFA. Quant aux bénéfices nets réalisés, ils étaient de 146,6 milliards FCFA en 2006, 161,2 milliards en 2007 avant de passer à 156,8 en 2008 et à plus de 185 milliards en 2009.
Ces résultats financiers « positifs » se sont accompagnés d’une explosion de la clientèle, et par conséquent du parc de lignes téléphoniques de la Sonatel-Orange, notamment dans le secteur du téléphone mobile, secteur vital s’il en est.
Le nombre d’abonnés au téléphone mobile est ainsi passé de 2,08 millions en 2006 à 4,6 millions en 2009. Le nombre de lignes de téléphone mobile est quant à lui passé de plus de 3,25 millions de lignes à plus de 8,88 millions de lignes.
Au même moment, notez le bien, les effectifs de la Sonatel-Orange ne sont passés que de 2094 à 2465 agents, soit moins de 400 agents de plus pour gérer plus de 4 millions de lignes supplémentaires et plus de 2,5 millions de nouveaux clients.
En clair entre 2006 et 2009, si le nombre de personnes à satisfaire a plus que doublé (plus de 100 % de hausse) et le nombre de lignes à gérer s’est approché du triple (+173,23 % pour être exact), le nombre d’agents ne connaît lui qu’une progression insignifiante, qui n’atteint même pas le cinquième ( 17,71 %) !
Et c’est là un des premiers signes parmi les plus manifestes de la faiblesse et de la vulnérabilité de la Sonatel-Orange que des experts plus avisés du management pourraient davantage étayer et qu’un audit devrait permettre de corriger. Voilà donc une première raison pour laquelle nous réclamons cet audit.
Il est d’ailleurs judicieux à ce point précis de rappeler que la société mère dont dépend Sonatel-Orange (France Télécom pour ne pas la nommer) a tout récemment connu une vague de suicides de ses agents à qui on en demandait un ... peu trop (17 cas de suicides en 2008, 18 en 2009 et au moins 23 en 2010). Ces chiffres excluent les dizaines de tentatives de suicide « avortées » dans la même entreprise, aujourd’hui bras armé du néo-colonialisme français prêt à nous prendre toutes nos vaches laitières et à ponctionner nos dernières ressources, sous le prétexte de « privatisations ».
Entendons nous bien, il ne s’agit pas de diaboliser une entreprise « étrangère » juste parce qu’elle est « étrangère », mais bien de dénoncer des pratiques qui frisent la prédation en vigueur du temps des colonies. A titre d’exemple cette obligation faite par France Télécom à la Sonatel de lui payer des « branding-fees » pour l’usage de la marque Orange. Non, il ne s’agit pas de faire du nationalisme étroit, mais de réclamer des partenariats sur des bases plus justes et plus égalitaires et que des sociétés établies dans des pays du Sud bénéficient d’abord à ces pays avant de servir à boucher des trous ailleurs.
Mais revenons à Sonatel-Orange. Pour souligner qu’une étude publiée récemment (décembre 2010) par une firme spécialisée (Research & Markets) confirme ce que tout le monde savait déjà, à savoir que les revenus perçus sur chaque client des télécommunications au Sénégal restent très élevés par rapport à la « moyenne mondiale ». La Sonatel-Orange en tant que société leader et en tant qu’opérateur « historique » du marché sénégalais - sur lequel s’aligne naturellement tout nouveau venu - reste le principal responsable de ces prix inconsidérés appliqués aux usagers.
C’est une autre très bonne raison de réclamer un audit et plus de transparence, valeur devenue cardinale dans l’évaluation de la viabilité et de la solidité des entreprises, fussent-elle privées, depuis l’affaire Enron, et encore plus depuis la crise financière internationale qui a mis à nu les tares du type de capitalisme spéculatif, sur lequel la Sonatel-Orange repose sa croissance.
Cet audit et ces correctifs sont rendus d’autant plus nécessaires que sur certains services, les tarifs si exorbitants (hérités de l’ère du « monopole ») sont combinés à des pratiques si injustifiables qu’on pourrait les assimiler à une escroquerie ou à une extorsion de fonds au préjudice des clients de Sonatel-Orange.
Citons dans une liste loin d’être exhaustive : les coûts de location des postes fixes sur des durées illimitées, la taxation d’un soit disant « entretien » sur les lignes fixes qui en réalité n’existe que sur les... factures, l’obligation de consommer un « crédit » téléphonique au risque de le perdre au delà d’une certaine période, des cautions exorbitantes demandées aux particuliers et à certains opérateurs économiques sur certains services, avec souvent l’impossibilité pour le client de recouvrer sa caution... On pourrait continuer à citer les abus qui nécessitent un audit, mais n’en rajoutons pas davantage.
En réalité, ce qui importe c’est d’attirer l’attention de la Sonatel-Orange et de ses dirigeants, s’ils ne le savent déjà, que la performance, la viabilité et la santé d’une entreprise ne se mesurent plus uniquement à l’aune de ses finances, de bilans annuels « positifs », de chiffres d’affaires en « constante progression » ou de bénéfices annuels, disons... indécents.
Aujourd’hui les experts les plus reconnus dans la gestion des grandes entreprises ont compris, que ces performances financières ne sont qu’un des nombreux autres critères pour évaluer la viabilité des entreprises : les autres paramètres à inclure vont des valeurs « humaines » à la satisfaction de la clientèle, de l’exigence d’éthique à la transparence, de la relation avec l’employé à la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE), et j’en passe.
Or aujourd’hui, tel n’est pas le cas de la Sonatel-Orange engagée dans une course folle et quasi exclusive vers le profit financier au détriment de toutes les autres valeurs qui fondent une saine gestion, telle qu’elle se comprend et se définit au 21ème siècle. Une course qui la conduit droit au mur et met en risque ses millions d’abonnés et l’économie nationale, dans un secteur plus que stratégique.
Qu’on ne me dise surtout pas que depuis 2005, la Sonatel-Orange fait de la RSE une priorité. Non, je conteste, car il y a toute une mer à boire entre les déclarations de bonne intention déclamées pour des besoins de communication et de relations publiques, et les faits qui, eux, sont têtus et qui sont caractérisés à la Sonatel-Orange par des pratiques peu orthodoxes que nous ne sommes ni les seuls, ni les premiers à dénoncer et qui au finish risque de plomber la croissance de l’entreprise.
Nous pouvons passer outre les petits désagréments occasionnels mais fréquents tels que l’absence ou la défectuosité du réseau, qui depuis des années peinent à être corrigés en dépit des plaintes d’usagers désabusés. Cette absence de solution à un problème récurrent est la preuve que quelque part, quelque chose ne marche pas. Quoi ? Il appartiendra aux experts chargés éventuellement de procéder à un audit de nous édifier.
Passons également sur le manque à gagner et les pertes directes des entreprises dont l’activité dépend du secteur si vital des télécommunications et qui voient leurs activités bloquées à chaque fois que la Sonatel-Orange connaît des dysfonctionnements. Le plus gênant, c’est que ces entreprises se retrouvent à chaque fois dans la position fort embarrassante de devoir présenter des excuses à leurs partenaires ou clients. Par la faute de la Sonatel-Orange qui elle n’est réellement efficace que lorsqu’il s’agit de recouvrer ses factures.
Si nous demandons de fermer les yeux sur ces dysfonctionnements, qui auraient dû pourtant gêner tout dirigeant d’entreprise digne de ce nom, c’est parce que nous considérons que dans les domaines technologiques, toute entreprise, qu’elle quelle soit, peut les connaître.
En revanche, ce qui reste intolérable et justifie cet appel à auditer la Sonatel-Orange, pour la redresser, c’est sa réaction (ou plutôt son manque de réaction) face à ces dysfonctionnements, et cela depuis des années que les clients le signalent, se plaignent, écrivent des lettres ou font état de leur insatisfaction à travers la presse, les sites internet, les réseaux sociaux... Cette apathie chronique ne peut être que le signe d’une crise profonde qu’il importe de diagnostiquer au plus vite.
Oui, ce qui inquiète, c’est ce hiatus entre les résultats financiers mirobolants et la piètre qualité des services fournis, c’est cette incapacité de l’entreprise à offrir des réponses adéquates et immédiates à ses clients en cas de besoin, qu’ils soient particuliers ou entreprises. C’est là le signe d’un malaise certain.
Les récents dysfonctionnement sur la facturation de la ligne « téranga » (mobile par abonnement) qui aura duré des mois ou encore plus récemment les interruptions répétées sur le réseau internet (ayant en janvier 2011 duré dans certains cas jusqu’à trois jours ou plus sans être résolues) sont là pour en témoigner.
Et pour vous convaincre du peu de cas fait de ces dysfonctionnements, essayez d’appeler le 1441 (service dit « clientèle » !) ou le 1413 (service dit « dérangement »). L’amateurisme, l’incompétence et parfois la mauvaise foi de ceux qui vous répondent (si vous avez la chance qu’ils ou elles prennent votre appel) est simplement déconcertant.
Appelez la direction commerciale de la Sonatel, appelez les agences, appelez même la direction générale pour signaler cet amateurisme, cette incompétence et cette mauvaise foi, ici aussi la désinvolture, le « je-m’en-foutisme » et parfois l’arrogance avec laquelle on vous répond - si toutefois on vous répond- sont indignes de la petite boutique du coin.
Bref à tous les niveaux de l’échelle qu’on se situe, on oublie à la Sonatel-Orange la sacralité du lien qui existe entre l’abonné et le prestataire de service qu’est la Sonatel-Orange. On oublie que du PDG à l’agent le moins gradé, la Sonatel-Orange existe non pas par la volonté de France Télécom mais bien grâce à l’argent que le client verse à la Sonatel-Orange.
La Sonatel-Orange a un devoir et une obligation de respect vis-à-vis de ses clients, et comme elle a démontré son incapacité à s’y conformer, cela mérite qu’un organisme indépendant y regarde de plus près et que l’Etat du Sénégal exige de la Sonatel-Orange un service de meilleur qualité. Cela vaut que les vraies associations de consommateurs exigent un audit et que le peuple se mobilise.
Car il semble bien qu’à la Sonatel-Orange, on a oublié depuis longtemps que la mission première de cette entreprise n’est pas de s’enrichir sur le dos du client ou de collecter de l’argent pour faire des placements dans les banques, ou que sais-je encore, mais bien de fournir un service irréprochable à ses abonnés dans le domaine stratégique des télécommunications.
Dans l’affaire dite « Gloabl-Voice », la mauvaise foi et la vigueur avec laquelle la Sonatel-Orange a récemment manipulé une opinion mal informée (en profitant certes de la faiblesse d’un gouvernement constamment secoué par des scandales de corruption) est aussi une autre facette de son manque d’éthique, et donc une autre raison de l’auditer. Car on sait bien que la défense des « intérêts des consommateurs » n’a jamais été, et ne sera jamais d’ailleurs, une préoccupation de la Sonatel-Orange.
La preuve ? Lorsque l’Etat a demandé l’application à compter du 1er février 2009 d’une redevance de 2% sur l’accès et l’utilisation des télécommunications (Rutel), Sonatel-Orange s’est contentée de s’exécuter sans aucun bruit, et d’annoncer à ses clients que cette taxe sera répercutée sur la facturation.
Mieux, alors même que ne s’était pas totalement estompé tout le boucan autour de l’affaire Global Voice, lorsque l’Etat sénégalais a annoncé en octobre 2010 que la même Rutel allait passer de 2 à 5 %, la même Sonatel-Orange, s’est juste contentée d’un communiqué laconique pour annoncer aux consommateurs qu’elle répercuterait cette taxe sur la facturation ! Quid du combat épique pour la cause des citoyens ? Oublié.
Bref, il apparaît clairement que tout le bruit autour de l’affaire Global Voice n’avait rien à voir avec la défense des intérêts de quelque consommateur que ce soit, comme la Sonatel-Orange l’a malhonnêtement fait croire aux usagers. En réalité, si la Sonatel-Orange a mobilisé tant de ressources humaines et financières et fait tant de bruit pour dénoncer le contrat entre l’Etat et Global Voice, la véritable raison est à chercher ailleurs. Cet « ailleurs » vaut bien un détour et un audit indépendant sur les ... appels entrants en provenance de l’étranger. Qu’ils soient taxés ou pas est une autre affaire.
La vérité est que, sur cette question des « appels internationaux entrants », si la Sonatel-Orange a soudainement cherché à s’allier aux consommateurs qu’elle méprise royalement en d’autres circonstances, c’est parce que ses intérêts vitaux étaient en jeu. Ni plus, ni moins. Nous répétons que cela vaut bien que l’Etat fouille et audite ce domaine, sans tarder.
Oui et nous revenons ce par quoi nous avons commencé, il faut auditer et redresser la Sonatel. Et lorsque nous parlons d’audit, nous ne parlons pas uniquement de finances, mais de toutes les procédures et pratiques de cet ogre à l’appétit si vorace qu’il en devient suspect.
Surtout, il faut agir vite avant qu’il ne soit trop tard et que nous nous réveillions un beau matin sans téléphone, sans internet, avec une Sonatel-Orange à genoux et incapable de faire face à notre désarroi et sans aucune possibilité de trouver des remèdes urgents, ce qui pourrait engendrer des dysfonctionnements aux conséquences incalculables, comme ce fut jadis le cas avec Enron aux Etats-Unis.
Enron, c’est le type de désastre que nous voulons éviter à une entreprise qui certes, se plaît-on à dire, fait la « fierté » du Sénégal, tout juste comme il n’y a guère Madoff, à n’en pas douter, faisait aussi la fierté de sa famille, de ses clients, de ses partenaires, de l’Amérique...
Il est vrai que tout cela demande un immense effort, une capacité d’anticipation et une lucidité qui s’accommodent mal de parti-pris et autres petites combines politiciennes ponctuées de débats creux et passionnés, mais qui au fond ne sont mus que par des intérêts personnels.
Tidiane Sy. Journaliste sénégalais,
Fondateur d’Ouestaf News, élu en 2008 « News and Knowledge Fellow » par les Fondations Ashoka et Knight, Hamadou Tidiane SY est aussi un Fulbright New Century Scholar depuis 2003.
(Source : Ouestaf, 18 janvier 2011)