Sénégal : Surtaxe sur les appels internationaux entrants, qui fait quoi et pourquoi ?
dimanche 18 septembre 2011
Depuis le 24 Août dernier, nous assistons à ce je pourrais qualifier de remake de l’épisode de l’été 2010 sur la surtaxe du tarif de terminaison des appels entrants vers le Sénégal. En effet, l’Etat du Sénégal a remis au goût du jour son cher projet de prélever un impôt sur les revenus générés par les appels internationaux entrants en fixant un tarif seuil de 141 FCFA par minute. Comme nous pouvions nous y attendre, les acteurs de cette œuvre que nous aurions souhaité que ce soit une fiction et qui est malheureusement la triste réalité, restent pratiquement les mêmes. En lieu et place d’une analyse comparable à celle que j’avais fait l’année dernière, j’ai plutôt voulu décrypter le rôle de chacun de ces acteurs et essayer de mettre en exergue leurs motivations, cachées ou pas.
L’Etat du Sénégal
Les autorités sénégalaises ont été plus ou moins constantes dans leur volonté de tirer le maximum des revenus que génère le secteur des télécommunications. Suite au décret de 2010, dont l’élaboration a été visiblement bâclée, l’Etat du Sénégal s’est cette fois-ci efforcé de prendre son temps pour produire un texte mieux élaboré, même si tellement de choses restent imparfaites dans ce nouveau texte d’Août 2011. De plus, pour cette saison, l’Etat a pris le « soin » de s’entretenir au préalable avec les parties prenantes que sont les opérateurs, les émigrés, les syndicats ... ce qui, du reste, n’a point empêché une vive contestation suite à la publication du décret. A mon humble avis, seul un mouvement social sans précédent du personnel de la Sonatel, paralysant toute l’activité économique, pourrait ramener à la raison cet État avide d’argent.
L’ASCOSEN (Pour ne pas dire M. Momar NDAO)
Il est extrêmement rare, de voir une association de consommateurs, avoir une proximité telle avec un Etat jusqu’à faire partie d’une délégation chargée de faire une tournée internationale afin d’expliquer aux sénégalais vivants à l’étranger le bien fondé de cette surtaxe sur les appels internationaux entrants. L’Association des Consommateurs Sénégalais (ASCOSEN) est, comme aime à le répéter son fondateur, depuis 22 ans « au service » des consommateurs mais aussi et surtout depuis 22 ans dirigé par M. Momar NDAO qui représente cette association consumériste partout de telle manière que sa personne se confond parfaitement avec l’ASCOSEN. Comme la plus part des observateurs, je doute très sérieusement de son objectivité et de son désintérêt lorsqu’il défend bec et ongle l’Etat du Sénégal face aux différentes personnes démontrant de manières diverses et variées que cette surtaxe est économiquement déraisonnable et juridiquement illégale, donc de facto va à l’encontre des intérêts des consommateurs vivants au Sénégal et à l’étranger. Nos doutes ont été conforté par le décret, signé le même jour que le décret sur la surtaxe, nommant M. Momar Ndao de l’ASCOSEN, conseiller Technique du Président de la république du Sénégal. Je peux dire sans risque de me tromper que cette nomination a porté un sacré coup à sa prétendue objectivité. Heureusement qu’au Sénégal existent de vraies associations de consommateurs, qui n’ont pas tardé à exprimer leur désaccord avec le projet de surtaxe qui, selon eux, aura inéluctablement un impact sur les consommateurs sénégalais.
Le management de la Sonatel (Pour ne pas dire M. Cheikh T. Mbaye)
Je l’ai expliqué l’année dernière dans un post, le management de la Sonatel m’a (et je ne suis pas le seul) profondément déçu dans sa manière de traiter cette crise qui touche le secteur et continue à nous décevoir dans son attitude attentiste, peureuse et à la limite désintéressée. C’est à travers ce genre de crise que le Sénégal aurait dû découvrir la qualité des personnes qui composent le directoire de la première entreprise de la Zone UEMOA, si réellement qualité il y a. Au lieu de cela, nous assistons comme l’année dernière à un mutisme quasi coupable, à une communication extrêmement pauvre voire inexistante, mais aussi et surtout au recours à leur outil favori : le syndicat des travailleurs. Mais que pouvons nous réellement demander à une personne qui est à la tête de la Sonatel depuis plus de 22 ans ? Comment peut on encore avoir des choses à prouver et surtout avoir l’envi de se battre après une si longue période à la tête de cette entreprise ? D’un autre coté, étant certainement au crépuscule de sa carrière à la Sonatel, M. Mbaye n’aurait très certainement rien à perdre s’il se décidait à se lancer dans un combat frontal avec les initiateurs de ce projet de surtaxe, comme le font fréquemment les dirigeants des grandes multinationales dans le monde lorsque leur entreprise est menacé par des décisions politiques. Lorsque l’on dirige une entreprise qui a le poids qu’a depuis des années la Sonatel dans les revenus fiscaux d’un État, l’on doit avoir son mot à dire, et notre voix doit compter dans les grandes décisions que prennent les autorités, surtout si ces décisions touchent de plein fouet l’activité principale de cette entreprise. Si j’avais la prétention de donner un conseil à M. Mbaye, DG de la Sonatel, je lui demanderait de faire de ce scandale, son dernier combat pour pouvoir tirer sa révérence avec les honneurs parce je suis de ceux qui pensent que n’eut été l’anormale longévité de M. Mbaye à la tête de la Sonatel, cette entreprise ferait aujourd’hui parti des trois plus grands opérateurs africains. Il faut dire que 22 ans à la tête d’une entreprise, à la longue, on manque naturellement de vison et d’ambition pour sa structure. Lorsqu’on sait que MTN est née quasi en même temps que la Sonatel privatisée, je vous laisse de soin de comparer aujourd’hui les footprint de ces deux groupes. Et ne me dites surtout pas que le groupe Sonatel est dans le groupe France Telecom, dans le but de rendre absurde cette comparaison entre Sonatel et MTN (même si c’est le cas, ils ne sont pas comparables :)) Mais Cela prouverait au moins que la Sonatel en tant que « champion » sous régional n’a pas d’avenir et qu’elle est inéluctablement appelé à disparaître dans le groupe France Telecom qui va lui méme devenir groupe Orange en 2012.
Le syndicat de la Sonatel (Pour ne pas me limiter à M. Aidara DIOP)
Il est de notoriété public que le syndicat actuel de la Sonatel est à la solde sa direction générale et ce n’est pas pour une fois mon avis mais celui de la majorité écrasante des sonateliens qui ne se reconnait plus en ce syndicat qui aurait une proximité suspecte voire malsaine avec la direction générale. Ces personnes trouvent effarant l’engagement avec lequel ces secrétaires généraux se battent contre le projet de surtaxe et la surprenante inertie dont ils font montre lorsqu’il s’agit de faire face au management de la Sonatel dans le but d’améliorer les conditions de travail des salariés qui, faudrait il le rappeller, ils sont censé représenter. La proximité entre syndicat et direction générale serait telle qu’il n’est pas rare que le directeur général offre un billet de pèlerinage à la Mecque à un de ces (ou ses) secrétaires généraux. je vous laissons apprécier le coté éthique d’un tel geste, bien sûr si cela s’est effectivement produit. Je pense qu’en plus de se battre farouchement et légitimement contre cette surtaxe, les syndicalistes de la Sonatel devraient se rappeler de leur mission première qui est la défense des intérêts des salariés et la lutte pour l’amélioration des conditions de travail, qui seraient très loin de correspondre à cette idée reçue qui voudrait qu’il fasse bon vivre à la Sonatel.
Le Sénégalais Lambda
Je ne peux vraiment pas dire que la Sonatel et ses alliés bénéficient d’un soutien exprimé de la population sénégalaise. Ceci pourrait s’expliquer aisément par l’idée selon laquelle la Sonatel pratiquerait des tarifs excessifs pour ses services, ce qui n’est pas complètement faux vu le niveau de qualité de service offert pour ces prix. De plus, la Sonatel affiche chaque année des bénéfices insolentes que les clients ressentent naturellement comme obtenus sur leur dos. Le client lambda pense, très certainement à raison, que la Sonatel devrait faire un effort sur le tarif final vu l’ampleur de ses bénéfices. Plutôt légitime comme « revendication ».
C’est naturellement que j’ai bouclé cette revue des acteurs et de leurs motivations avec le client qui est censé être au centre de toutes les décisions touchant le secteur des télécommunications au Sénégal. J’ai volontairement, grâce à mes œillères, tenté d’ignorer l’ARTP qui fait laborieusement office de régulateur d’un secteur qu’elle est loin de maîtriser, mais aussi de Global Voice Group (GVG) qui sera très certainement l’heureux et non moins prévisible adjudicataire de l’appel d’offre devant aboutir à la désignation du prestataire technique devant accompagner l’ARTP dans cette, passez moi l’expression, sale besogne. A mon avis, l’ARTP et Global Voice Group n’existe dans cette affaire que grâce au bon vouloir des autorités sénégalaises qui sont derrière ce décret. De plus, la jeune et triste richesse de leurs histoires respectives, jonchées de scandales financiers, joue largement en leur défaveur, donc inutile d’en rajouter une couche. Je vais terminer simplement en déplorant ce triste et sombre couplet de l’histoire des télécommunications sénégalaises (voire africaine) qui est entrain de se jouer sous nos yeux et malheureusement sous l’œil incrédule des institutions sous régionales et internationales telles que l’UEMOA, la CEDEAO et l’IUT qui ont, à mon avis, leur mot à dire pour stopper cette épidémie, il y va de leur crédibilité.
Le modou-modou des télécoms
(Source : L’Afrique des télécoms, 18 septembre 2011)