« Sénégal Numérique 2016-2025 » : Une stratégie qui soulève beaucoup de questions
vendredi 30 septembre 2016
Suite à l’atelier de partage sur le document provisoire de stratégie « Sénégal Numérique 2016-2025 », notre pays semble enfin s’acheminer vers l’adoption d’une politique nationale en matière de développement du numérique. Il faut cependant rester prudent car en 2000, c’est à ce stade que le processus avait avorté laissant notre pays sans feuille de route jusqu’à ce jour. En effet, le seul document de stratégie dont nous disposons est la lettre de politique sectorielle du secteur des télécommunications, couvrant la période 2005-2010, qui d’une part est caduque et d’autre part prenait marginalement en compte le secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC). Grâce à des initiatives et des positions hardies prises tant par l’Etat, le secteur privé que la société civile, le Sénégal a certes été considéré comme un champion en matière d’insertion dans la société de l’information au début des années 2000. Cela étant, il faut bien reconnaitre que depuis lors son étoile a beaucoup palie et qu’il ne constitue plus une référence en Afrique. Des pays qui étaient inexistants en matière d’innovation numérique tiennent aujourd’hui le haut du pavé, tels le Rwanda, le Kenya et le Ghana. Cette situation s’explique par le fait, comme nous l’avons dit à maintes reprises, qu’une addition de projets, fussent-ils pertinents, ne saurait tenir lieu de stratégie car ne s’insérant pas dans une vision globale, ne permettant pas d’exploiter les synergies possibles et ignorant certaines problématiques essentielles. L’existence de ce document de stratégie est donc à saluer, mais son examen laisse apparaitre d’importantes faiblesses parmi lesquelles nous retiendrons principalement le silence sur la problématique de la souveraineté numérique, pourtant devenue une préoccupation critique dans le monde au point que certains parlent de l’émergence d’un cybernationalisme ainsi que la non prise en compte de la dimension intégration africaine tant à l’échelle régionale que continentale dans un contexte où il est avéré que le développement d’une société numérique viable ne peut être pensé, d’un point de vue politique, culturel aussi bien qu’économique, qu’en intégrant les pays qui nous entourent ainsi que ceux avec lesquels nous partageons la sous-région et au-delà le continent. En dehors de ces considérations, ce qui pose problème c’est le manque d’ambition de la stratégie et la faible place que l’Etat y occupe. Du point de vue des investissements prévus, le fait que l’Etat envisage de contribuer seulement pour 17% des 1365 milliards FCFA nécessaires à sa réalisation, soit 225 milliards CFA sur la décennie, ne rassure guère ! La modicité de cette enveloppe en dit long sur la faible priorité accordée au secteur car comme dans les autres domaines, les priorités déclinées par les autorités politiques doivent normalement se traduire sur le plan budgétaire pour être crédibles. De plus, quelle garantie avons-nous que le secteur privé investira quelques 1000 milliards CFA durant la prochaine décennie ? Le document manque également de grands projets structurants dont la réalisation permettrait de transformer le paysage numérique du pays et d’offrir des opportunités en termes de marchés au secteur privé national. En matière d’infrastructures, il n’est pas indiqué comment réduire la fracture numérique existant entre Dakar et le reste du pays alors que le taux de pénétration d’internet se situe bien en deçà de 50%, malgré les évaluations de l’ARTP. En termes de modernisation de l’administration, l’objectif de dématérialiser en dix ans, 50% des procédures administratives apparait comme minimaliste, dans le contexte du développement du Cloud computing et de l’annonce de la mise en place d’un data center à Diamniadio. De même, si le document parle d’introduction des TIC dans l’ensemble du système éducatif, il ne précise pas quelles devraient être les grandes étapes de cette politique ni les modalités de sa mise en œuvre sur le plan des équipements, des logiciels, des contenus pédagogiques et de la formation des enseignants. La stratégie n’aborde pas non plus des questions importantes comme l’utilisation des logiciels libres, la protection des données personnelles, la promotion de la culture du numérique, etc. Le plan d’action devrait donc être révisé afin de répondre à un certain nombre d’interrogations posées par la mise en œuvre de la stratégie. Last but not least, élaborer une stratégie est une chose mais la matérialiser en est une autre et se pose inéluctablement la question du leadership et du dispositif institutionnel adéquat nécessaires à sa mise en œuvre dans la durée et à ce niveau le problème reste entier.
Alex Corenthin
Secrétaire aux relations internationales