La réforme du secteur des télécommunications, initiée dans le milieu des années 1990, comportait trois volets majeurs à savoir la privatisation, la libéralisation et la régulation. La privatisation s’est déroulée sans heurts majeurs du fait de l’association des travailleurs de la Sonatel au processus et l’introduction du titre à la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM) d’Abidjan a été un succès. La libéralisation a permis l’entrée sur le marché de deux nouveaux opérateurs, Sentel et Sudatel, et la fourniture de services à valeur ajoutée est totalement libéralisée. Pour ce qui est du volet régulation, les choses se sont par contre nettement moins bien passées. Alors que les autorités sénégalaises s’étaient engagées à créer un organe de régulation indépendant, ou du moins autonome, avant le 31 décembre 1997, l’Agence de régulation des télécommunications (ART) n’a vu le jour qu’en janvier 2002 et n’a été opérationnelle que l’année suivante après l’adoption des décrets organisant son organisation et fonctionnement, nommant les membres du Conseil de régulation et étendant ses prérogatives au domaine des postes. Cependant, l’Agence de régulation des télécommunications et des postes (ARTP) a été décapitée dès mai 2003, son directeur général, Mactar Seck, ayant été accusé par le Chef de l’Etat de vouloir vendre « ses fréquences » ! En fait ce n’était qu’un prétexte pour porter à sa tête Malick F. M. Guèye qui n’avait aucune expérience de la régulation mais qui était un proche de la famille présidentielle ! Deux ans plus tard, il sera limogé suite à une enquête de l’Inspection générale d’Etat (IGE) ayant mis à nu des malversations et des actes de mauvaises gestion et sera remplacé par Daniel G. Seck. Ce dernier se distinguera pour avoir démenti puis reconnu que le gouvernement avait lancé un appel d’offres restreint qui débouchera sur l’octroi de la 3ème licence à Sudatel dans des conditions nébuleuses et sans l’implication réelle de l’ARTP. Ndongo Diaw, qui le remplacera, se rendra célèbre avec l’affaire Global Voice dont l’actuelle affaire MTL est une des retombées indirectes. Outre ces scandales, il faut bien constater que l’ARTP a échoué à mettre en œuvre une régulation économique qui soit à la fois indépendante et crédible pour un secteur caractérisé tant par l’ouverture à la concurrence que par les préoccupations de service public. Pour preuve, la Sonatel est en position dominante dans neuf des dix sous-secteurs des télécommunications et partage avec Tigo la position dominante sur le dixième sous-secteur qui est celui de la téléphonie mobile ! D’un monopole de jure nous sommes donc passé à un monopole de facto sans que l’ARTP n’ait pris la moindre mesure pour empêcher cet état de fait et au contraire encourager la concurrence. Emblématique de cette situation est le marché des services Internet qui ne comporte plus que deux fournisseurs, le second n’étant d’ailleurs qu’un revendeur des services de la Sonatel, alors qu’il en comptait une douzaine dans la seconde moitié des années 90. Concernant le service universel, l’ARTP s’est contenté de collecter des taxes auprès des opérateurs sans jamais rendre compte de leur utilisation. Pire, à l’heure où les réseaux de téléphonie mobile couvrent l’essentiel du territoire et de la population, aucune initiative n’a été prise pour redéfinir ce que devrait être le service universel dans ce nouveau contexte et deux ans après son lancement le projet-pilote de service universel de la région de Matam est bien en peine de présenter des résultats. L’ARTP n’a pas répondu non plus aux attentes du secteur privé qui attend, depuis des années, la prise d’une série de décisions telles que l’autorisation de la téléphonie sur IP, le dégroupage de la boucle locale, l’utilisation de la boucle locale radio, la portabilité du numéro, l’autorisation des opérateurs de réseau mobile virtuel (MNVO), etc. afin d’accroître le champ de la concurrence, de multiplier les niches d’affaires et de contribuer à faire baisser les prix des services. Enfin, l’ARTP ne s’est guère souciée de protéger les intérêts des consommateurs si l’on en juge tant par la piètre qualité des services Internet qui leur sont fournis ou encore le niveau exorbitant des tarifs de l’Internet mobile sans qu’elle n’intervienne. A l’heure où les nouvelles autorités politiques disent s’inscrire dans la rupture d’avec les pratiques du passé, il est indispensable qu’elle repense la régulation du secteur des télécommunications.
Olivier Sagna
Secrétaire général