Régulation des télécoms : Apporter des réponses rapides et pertinentes à l’échelle africaine
samedi 30 avril 2005
La troisième assemblée générale de l’Association des régulateurs des télécommunications d’Afrique de l’Ouest (ARTAO) s’est tenue du 12 au 14 avril 2005 à Dakar sur le thème « Les télécommunications comme infrastructures de développement : Perspectives africaines ». A cette occasion, les analystes du secteur des télécommunications ont une fois de plus rappelé les indicateurs peu reluisant caractérisant le développement de la Société de l’information en Afrique : 0,4% des contenus accessibles sur le Web sont d’origine africaine, les internautes africains représentent 1,1% de ceux de la planète, le taux de pénétration du téléphone fixe est en moyenne de 2% et celui du téléphone mobile de 10%. Avec une telle situation comment l’Afrique peut-elle espérer tirer profit des opportunités offertes par les technologies de l’information et de la communication pour contribuer à son développement ? Les raisons de cette situation sont bien connues : Manque de moyens financiers pour investir dans le déploiement des infrastructures de télécommunications, cherté de l’équipement informatique et de télécommunications importé dans son intégralité, forte proportion de la population vivant dans des zones peu voire pas desservies par les réseaux routiers et électriques, faiblesse des revenus de l’écrasante majorité, taux d’analphabétisme élevés doublés par des taux encore plus importants d’analphabétisme numérique, etc. On oublie cependant souvent de dire que cette situation est largement imputable aux états africains qui n’ont pas su ou voulu mettre en œuvre les politiques adéquates et ont laissé prospérer des pratiques inacceptables aujourd’hui lourdes de conséquences. En effet, pendant des années les opérateurs historiques, pourtant sous contrôle public, se sont contentés de développer les réseaux de télécommunications dans les zones rentables au mépris du respect de l’égalité des citoyens devant la loi et d’un aménagement harmonieux du territoire. L’accès universel, objectif figurant pourtant dans quasiment toutes les politiques nationales de télécommunications, est resté un vœux pieux tellement ont été rares les efforts visant à mailler les territoires avec des accès publics équitablement répartis. Enfin, les prix des services de télécommunications ont souvent été et restent d’une cherté sans commune mesure avec leurs coûts réels. Avec la mise en œuvre des politiques de réforme du secteur des télécommunications, les choses n’ont souvent fait qu’empirer. En effet, dans la majeure partie des pays, la privatisation des opérateurs historiques a précédé la libéralisation des marchés avec pour principale conséquence le remplacement de monopoles publics nationaux par des monopoles privés étrangers. De même l’ouverture à la concurrence du seul secteur de la téléphonie mobile a entraîné le développement de réseaux cellulaires de première génération, techniquement incapables de servir de support au déploiement d’Internet, et la stagnation des réseaux de téléphonie fixe déjà peu développés. Enfin, la création tardive d’organes de régulation dotés de faibles moyens humains, techniques et financiers, dépourvus d’une réelle autorité et de pouvoirs de sanction et surtout n’ayant pas de véritable autonomie vis-à-vis du pouvoir politique, par ailleurs souvent actionnaire dans les opérateurs historiques, n’a pas permis que se développe une concurrence saine et loyale ni que l’intérêt général et la protection des consommateurs soit véritablement garantis. Aujourd’hui, dans le sillage des efforts menés en vue d’accélérer le processus d’intégration africaine, il est de plus en plus question d’harmoniser la régulation du secteur des télécommunications à l’échelle des régions comme en témoigne le travail mené au sein de la Southern African Telecommunication Regulatory Association (SATRA) et de son homologue ouest-africaine l’ARTAO. Cela étant au-delà des déclarations de principes, les états africains, qui restent terriblement interventionnistes en matière économique, sont-ils prêts à abandonner le contrôle qu’ils exercent encore sur ce secteur stratégique et hautement rentable à travers leur participation dans le capital des opérateurs historiques et les relations incestueuses qu’ils entretiennent avec les organes de régulation ? De plus, si régulation à l’échelle des régions il doit y avoir, qu’elles seront les dispositions prises pour que la téléphonie rurale soit véritablement une priorité et que cela se traduise effectivement dans les cahiers des charges imposés aux opérateurs existant ou entrant sur le marché ? Quelles seront les mesures prises en matière de grille tarifaire pour mettre fin à l’aberration qui fait qu’en Afrique, partie la plus pauvre du monde, le coût des services de télécommunications est de loin le plus cher au monde au monde alors qu’ils reposent sur des technologies déjà amorties ailleurs et sont souvent de piètre qualité ? Last but not least, quelles actions concrètes seront mises en œuvre pour interconnecter les réseaux de télécommunications de telle sorte que le trafic intra africain ne soit pas traité par des opérateurs européens ou américains à l’extérieur du continent et que le coût des communications internationales soient réduits ? Enfin comment faire en sorte qu’émergent des opérateurs de télécommunications à capitaux majoritairement africains capables de se déployer à l’échelle des régions voire du continent afin que le secteur des télécommunications ne devienne pas la chasse gardée des opérateurs étrangers ? Tels sont quelques uns des défis qui interpellent notamment les responsables des organes de régulation africains et auxquels l’Afrique attend des réponses rapides et pertinentes.
Amadou Top
Président d’OSIRIS