Régulation des services et applications OTT : Eviter les fausses solutions à un vrai problème
vendredi 31 août 2018
La rencontre récemment organisée par les acteurs de l’écosystème numérique pour exprimer leurs craintes par rapport au dernier alinéa de l’article 27 du Projet de loi portant Code des communications électroniques conférant le droit à l’Autorité de régulation des télécommunications et des postes (ARTP) d’ « autoriser ou imposer toute mesure de gestion du trafic qu’elle juge utile » est une bonne illustration de la manière dont les Etats africains ont l’art d’apporter de fausses solutions à de vrais problèmes. En effet, la régulation des services et applications Over The Top (OTT), décrits sous l’appellation de « services par contournement », pose un vrai problème à l’échelle mondiale, car ces derniers diffusent des contenus en ligne sans assumer, ni participer aux coûts d’établissement et de maintenance des infrastructures nécessaires à leur acheminement, ce à quoi sont par contre contraints les opérateurs de télécommunications et les câblodistributeurs. De plus, ils proposent essentiellement de la téléphonie sur Internet ainsi que la diffusion de contenus multimédia qui consomment de grosses quantités de bande passante ce qui n’est pas sans impacter négativement sur la fluidité du trafic Internet. Last but not least, les services de téléphonie sur Internet affectent les revenus des opérateurs de télécoms, notamment en ce qui concerne les télécommunications internationales, et par contrecoup leur rentabilité. Conséquence, depuis le début de la décennie, les revenus des OTT s’accroissent fortement tandis que ceux des opérateurs télécoms ont tendance à ralentir et les prévisions indiquent que les revenus des OTT devraient dépasser ceux des opérateurs télécoms à l’horizon 2021. Enfin, et cette dimension du problème n’est pas à négliger, les fournisseurs de services et applications OTT exercent leurs activités sans avoir à acheter des licences, comme c’est le cas pour les opérateurs télécoms, et échappent pratiquement à toute taxation compte tenu du fait que leurs sièges sociaux sont souvent situés dans des paradis fiscaux, entrainant la perte de recettes fiscales pour les Etats. A travers le monde, la réflexion est ouverte pour faire face de manière intelligente à ces problèmes, d’une part, sans remettre en cause certains principes comme la neutralité du réseau et la garantie de la liberté d’expression et, d’autre part, sans entraver la croissance économique nourrie par la transformation digitale. Malheureusement en Afrique, les Etats ne font pas preuve de la sagesse que l’on observe ailleurs et s’inscrivent dans la logique d’adopter des textes législatifs et réglementaires permettant de restreindre drastiquement l’accès aux réseaux sociaux. Frileux, pour ne pas dire réfractaires, au droit à l’information et à la liberté d’expression, nombreux sont les états africains à prendre des mesures consistant à couper purement et simplement l’accès aux réseaux sociaux à la moindre menace, réelle ou imaginaire, contre la sécurité publique et/ou la sécurité nationale. En la matière, tous les prétextes sont bons allant des situations de tensions politiques et sociales entourant les rendez-vous électoraux à la lutte contre le terrorisme, en passant par la nécessité de sécuriser l’organisation des examens ! Résultats de ces coupures « conjoncturelles » de l’accès aux réseaux sociaux pour des motifs foncièrement politiques, la paralysie de l’économie numérique et des pertes économiques chiffrées à des centaines de millions de dollars. Ailleurs, au nom de la protection des intérêts des opérateurs de télécommunications et/ou de la volonté d’accroitre les recettes fiscales, les Etats instaurent des taxes pour l’utilisation des réseaux sociaux, faisant ainsi d’une pierre deux coups car restreignant le droit à l’information et la liberté d’expression, sans avoir l’air, à travers la mise en œuvre de mesures de type censitaire. Le projet de Code des télécommunications reconnaissant en son article 26 tant le droit d’accès et d’utilisation des réseaux à tout citoyen que la neutralité du réseau qui s’impose aux fournisseurs d’accès à Internet, ni les opérateurs de télécoms ni le régulateur ne devraient se voir attribuer le pouvoir de décider de la suspension des réseaux sociaux pour des prétextes techniques, économiques ou politiques, pouvoir dont ne dispose aucun des régulateurs des pays démocratiques. Il faut donc supprimer le dernier alinéa de l’article 27 et mener une réflexion avec l’ensemble des acteurs de l’écosystème TIC afin de réguler la fourniture de services et applications OTT sans porter atteinte aux libertés fondamentales, sans freiner l’innovation, ni entraver le développement de l’économie digitale.
Alex Corenthin
Secrétaire aux relations internationales