Que peut-on attendre du nouveau code des télécommunications ?
lundi 31 janvier 2011
Le 28 janvier 2011, l’Assemblée nationale a adopté un nouveau code des télécommunications intégrant, dans la législation sénégalaise, l’essentiel des directives communautaires adoptées par l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) ainsi que des actes additionnels au Traité de la Communauté économique des états de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Théoriquement, ce cadre juridique communautaire devrait permettre de créer un vaste marché des télécommunications avec des règles communes facilitant les économies d’échelle pour les opérateurs, entrainant une réduction des tarifs pour les utilisateurs et favorisant l’indépendance du régulateur. Jusqu’alors, seuls le Burkina Faso et le Cap-Vert avaient intégré ces dispositions dans leurs législations nationales et il reste donc beaucoup d’efforts à faire avant que les douze autres pays de la CEDEAO ne s’acquittent de cette obligation. Cependant, avant d’être pleinement applicable, le nouveau Code des télécommunications devra être adopté par le Sénat, ce qui ne devrait être qu’une formalité, mais surtout, être complété par de nombreux décrets d’application qui, s’ils ne sont pas pris rapidement, le rendront inapplicable comme c’est le cas pour nombre de lois votées depuis des années. Ceci dit, il faut souligner que le nouveau code des télécommunications n’a fait l’objet d’aucun débat systématique ni dans la presse, ni dans l’opinion publique, ni à l’Assemblée nationale. Cette situation est regrettable car les technologies de l’information et de la communication (TIC) ont désormais un tel impact sociétal que toutes les questions qui en découlent ne peuvent être traitées par les seuls spécialistes. Dès lors, il est grand temps que les partis politiques, les syndicats, les organisations de la société civile et les citoyens d’une manière plus générale se saisissent de ces problématiques afin que les politiques publiques les concernant fassent l’objet de larges consultations, soient les plus inclusives possibles et mettent l’intérêt général au dessus de toutes les autres considérations. Sur le fond, à l’heure où le passage de l’audiovisuel analogique au numérique est à l’ordre du jour, il faut déplorer que le nouveau code exclut les médias audiovisuels de son champ d’application alors qu’ils sont désormais accessibles via Internet et qu’ils le seront de plus en plus via la téléphonie mobile. De même la définition qui est donnée de l’accès/service universel est particulièrement floue puisqu’elle se limite à parler, sans plus de précision, d’un « ensemble minimal de services de télécommunications et de TIC de bonne qualité » avec pour conséquence principale de ne faire peser aucune obligation contraignante sur l’Etat comme sur les opérateurs et d’interdire aux citoyens d’avoir une connaissance précise de leurs droits. Sur le plan institutionnel, les prérogatives du ministère chargé des télécommunications et des TIC en matière d’élaboration de la législation et de la réglementation ont été clairement réaffirmées. Quant à l’ARTP, si elle a été renforcée en passant du statut d’établissement public à celui d’autorité administrative indépendante, elle n’en reste pas moins rattachée à la Présidence de la république. Cependant, elle est désormais dotée d’un collège, dont les membres inamovibles sont nommés par décret suite à un appel public à candidatures, qui est à la fois son instance délibérante et son organe décisionnel. Le texte consacre également le passage sous la tutelle de l’Etat du domaine « .sn » jusqu’alors géré sur le plan administratif et technique par le NIC Sénégal hébergé par l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) ce qui constitue un grave recul. Enfin, sous prétexte de mutualisation des ressources, les sommes collectées pour le Fonds de développement du service universel des télécommunications (FDSUT) seront désormais partagées avec les secteurs de l’énergie et de l’audiovisuel confirmant ainsi le rôle de vache à lait assigné par l’Etat au secteur des TIC dont les entreprises peinent pourtant à accéder aux financements dont elles ont besoin pour investir, innover et être compétitives. Au final, c’est donc un texte mi-figue mi-raisin qui a été adopté et sa portée réelle sera inversement proportionnelle au degré d’ingérence que le pouvoir politique exercera sur le secteur. En effet, par le passé, les autorités n’ont jamais hésité violer l’esprit, voire la lettre, de la législation lorsqu’il s’est agi de réaliser certaines opérations à caractère économique ou politique réduisant les dispositions législatives et réglementaires à de simples chiffons de papier...
Olivier Sagna
Secrétaire général d’OSIRIS