Quand l’économie populaire investit le secteur des TIC
mardi 31 mai 2011
Au début du mois de mai 2011, les câblodistributeurs ont organisé une conférence de presse pour faire connaitre leur combat en vue d’obtenir la mise en place d’un cadre légal organisant la câblodistribution au Sénégal. Cette activité, qui se pratique dans une relative discrétion, compte tenu de son statut aux marges de la légalité, a pour principal objet la rediffusion, via des systèmes de câbles reliés à des paraboles, de chaine de télévisions proposées sur les bouquets cryptés diffusés par satellite ou par MMDS. Au fil des années, elle a pris une telle ampleur qu’en 2008, les responsables de Canal horizon estimaient que le nombre « d’abonnés » clandestins dépassait celui des abonnés légaux qui étaient alors quelques 25 000. Pour endiguer le phénomène, Canal + avait fait venir au Sénégal des membres de sa cellule anti-piratage qui avaient mené des opérations de démantèlement des installations clandestines. Connue sous l’appellation de « Police Canal », cette structure a permis de mettre fin au fonctionnement de plusieurs milliers de branchements illégaux et entrainé l’ouverture de plusieurs dizaines de procédures judiciaires devant les tribunaux sénégalais. La pression ainsi exercée a incité les câblodistributeurs à diversifier leur activité en s’intéressant également aux bouquets MMDS diffusés par le groupe Excaf-Communication et par Delta-Net TV ainsi qu’à la chaine cryptée Walf TV. Il s’en est suivi une multiplication des saisies de matériel par la Brigade nationale de lutte contre la piraterie et la contrefaçon (BNLPC), la multiplication des procédures judiciaires et même l’intervention du Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA) qui sommera les câblodistributeurs de cesser leur activité considérée comme illégale en l’absence d’une concession de diffusion octroyée par l’État. Cependant, la décision du Tribunal régional de Kaolack, prise en août 2010, de débouter le groupe Excaf-Communication estimant que les activités incriminées n’étaient pas illégales a changé la donne. D’abord regroupés au sein de l’Association des réseaux câblés du Sénégal (ARCS) fondée en juin 2005 puis de la Société de redistribution de télévision par câbles et services (SORETEC) créée en 2009, les câblodistributeurs se battent désormais pour la reconnaissance leur activité et sa réglementation par l’État. Preuve de leur volonté de se conformer à la légalité, la SORETEC a signé, en octobre 2010, une convention avec les promoteurs d’ABsat qui leur permet de rediffuser en toute légalité les chaines de ce bouquet. Auparavant, certains opérateurs locaux s’étaient d’ailleurs plus ou moins orientés dans cette voie en commercialisant discrètement un « bouquet cablo ». D’autre part, dans le cadre des discussions engagées sur le projet de nouveau code la presse, le ministère de la Communication a proposé la mise sur pied d’une inter-commission regroupant toutes les parties prenantes (ARTP, CNRA, MICOM, distributeurs, câblodistributeurs, etc.) en vue d’élaborer un projet de convention de concession et un cahier des charges consensuels pour organiser la câblodistribution qui tarde cependant à donner des résultats concrets. Le combat des câblodistributeurs en vue de leur reconnaissance officielle est une illustration supplémentaire du rôle joué par l’économie populaire, souvent désignée par le qualificatif de « secteur informel » par opposition au secteur dit « moderne » de l’économie, dans la diffusion des technologies de l’information et de la communications (TIC) dans la société sénégalaise. En effet, contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’économie populaire est très présente dans le secteur des TIC qu’il s’agisse de la vente et de la réparation de téléphones portables, la vente de cartes de recharge téléphonique et même de cartes SIM ou encore de la réparation et du recyclage d’ordinateurs. Le développement de la téléphonie, via les télécentres, puis celui de la téléphonie mobile doit d’ailleurs beaucoup au secteur « informel ». Grâce à ses capacités d’adaptation, sa souplesse de fonctionnement et la densité de sa présence sur le territoire, il constitue une extraordinaire « force de vente » capable d’atteindre tous les segments de la société y compris les plus pauvres comme aucun réseau commercial mis en place par une entreprise « moderne » ne pourrait le faire. Le secteur « formel » de l’économie l’a si bien compris qu’il n’hésite pas à recourir aux services du secteur « informel » et au delà des discours officiels, on s’aperçoit que les deux sont plus complémentaires que concurrents.
Olivier Sagna
Secrétaire général d’OSIRIS