Passage au numérique : Agir avant qu’il ne soit trop tard
vendredi 30 avril 2010
Malgré la signature par le Sénégal, le 17 juin 2006 à Genève (Suisse), de l’Accord régional relatif à la planification du service de radiodiffusion numérique de Terre dans la Région 1 dans les bandes de fréquences 174-230 MHz et 470-862 MHz (GE06) et de l’Accord régional régissant l’utilisation de la bande de fréquences 47-68 MHz par le service de radiodiffusion et d’autres services de Terre à titre primaire dans la Zone africaine (GE89) qui programment l’arrêt de mort de la radiodiffusion analogique à l’horizon 2015 pour la bande UHF (utilisée par la télévision) et 2020 pour la bande VHF (utilisée par les stations FM), rien n’indique que le Sénégal se prépare sérieusement à faire face aux mutations qui en découleront pour le paysage audiovisuel. Qu’il s’agisse des autorités publiques impliquées, directement ou indirectement, dans la gestion de ce dossier (ministères de la communication et de la culture, ARTP, CNRA, etc.), des professionnels des médias, des producteurs audiovisuels, des vendeurs d’appareils électroménagers, des associations consuméristes comme des citoyens, c’est en effet le grand silence en la matière. Pourtant, le passage au numérique pose des enjeux fondamentaux pour le Sénégal et l’Afrique qui ne fabriquent ni les équipements de production et de postproduction numériques (caméras, magnétoscopes, consoles, moniteurs, mélangeurs, logiciels, etc.), ni les programmes (surtout les films et les programmes de télévisions) ni les appareils permettant leur réception (postes de radio, téléviseurs, téléphones portables, etc.). Alors que dans nombre de pays, le déploiement de la télévision numérique a débuté depuis plusieurs années et doit s’achever à l’horizon 2011, l’inertie constatée en la matière au Sénégal risque de priver, d’une manière ou d’une autre, des millions de téléspectateurs d’images de télévision et donc d’informations. En effet, si la télévision numérique présente de nombreux avantages tels une meilleure utilisation des ressources en fréquence, la réception d’un plus grand nombre de programmes, une baisse des coûts de transmission, une meilleure qualité des images et du son, la possibilité d’offrir des services et des programmes interactifs, etc., elle nécessite l’adjonction d’un adaptateur externe à tous les téléviseurs n’ayant pas été conçus pour recevoir des signaux numériques. De plus, la convergence entre le contenu et le contenant qu’elle implique, compte tenu des rapprochement qui s’opèrent entre l’industrie du contenu, les éditeurs, les diffuseurs et les opérateurs audiovisuels ainsi que les opérateurs de télécommunications, nécessite l’adaptation du cadre légal et réglementaire régissant l’allocation des fréquences, la régulation des différents modes de communication et des contenus, le fonctionnement des réseaux, la publicité, etc. Au-delà, elle requiert également une mise à niveau des entreprises de production audiovisuelle afin qu’elles s’adaptent pleinement à cette nouvelle donne. Comme chacun peut le constater, la migration vers le numérique est donc loin de se résumer à une problématique technique relevant de la seule compétence des experts. Elle soulève au contraire une multitude de questions d’ordre politique, économique, culturel, social, juridique voire sociétal et les réponses apportées doivent prendre en compte l’avis du plus grand nombre et surtout protéger l’intérêt général. Dès lors, il urge d’organiser le débat sur ce sujet afin que les problèmes soulevés puissent être largement et sérieusement débattus, dans toutes leurs dimensions, par l’ensemble des acteurs impliqués et au-delà par les citoyens, organisés ou non dans les formations politiques, les syndicats, les associations, etc. Compte tenu de la lenteur avec laquelle les nouveaux textes législatifs et réglementaires sont élaborés et surtout adoptés, et les orientations politiques traduites en actes concrets, les cinq années qui nous séparent de la date butoir de juin 2015 ne seront pas de trop pour conduire les consultations nécessaires, mener à bien la réflexion, concevoir une stratégie cohérente et réaliste de passage au numérique, élaborer de nouveaux textes, mettre en place les instruments de politiques nécessaires et accompagner le processus comme il se doit. Le sujet est d’autant plus sensible que 80% des ménages sénégalais possèdent un poste de télévision. Il ne faudrait donc pas qu’au détour d’une mutation technique mal préparées ceux-ci rejoignent et accroissent par la même occasion le nombre des victimes de la fracture numérique.
Olivier Sagna
Secrétaire général d’OSIRIS