Naissance d’un opérateur régional de télécoms ou renforcement de la présence étrangère ?
samedi 31 mars 2007
Après son implantation au Mali en 2002, en Guinée Bissau en 2006 et tout dernièrement en Guinée, la Sonatel est désormais un opérateur d’envergure régionale en matière de téléphonie mobile avec une présence dans quatre pays d’Afrique de l’Ouest. Le label Orange, qui a remplacé toutes les marques commerciales de la Sonatel depuis novembre 2006, est désormais présent dans neuf pays africains si l’on ajoute aux quatre déjà cités, le Botswana, le Cameroun, la Côte d’ivoire, la Guinée équatoriale et Madagascar. En dehors de France Télécom, les principaux opérateurs possédant des réseaux régionaux sont MTN, une société sud-africaine présente dans quinze pays (Afrique du Sud, Bénin, Cameroun, Congo, Cote d’ivoire, Ghana, Guinée, Guinée Bissau, Liberia, Nigeria, Ouganda, Rwanda, Soudan, Swaziland et Zambie), CelTel, filiale à 100% du groupe koweitien MTC, présente également dans quinze pays (Burkina Faso, Congo, Gabon, Kenya, Madagascar, Malawi, Niger, Nigeria, Ouganda, RDC, Sierra Leone, Soudan, Tanzanie, Tchad et Zambie) et Maroc Télécom, filiale du groupe français Vivendi, présent dans trois pays (Gabon, Maroc et Mauritanie). En réalité, MTN est le seul dont les capitaux soient africains, les autres étant soit des sociétés étrangères à l’Afrique comme MTC soit des filiales africaines de groupes étrangers comme la Sonatel et Maroc Télécom. Le déploiement de la Sonatel en Afrique de l’Ouest, après sa tentative infructueuse de prise de contrôle de Gabon Télécom, est donc plus une illustration du renforcement des opérateurs étrangers sur le marché africain des télécommunications que la naissance d’un nouvel opérateur régional africain puisque son capital est détenu à 42,33% par France Télécom. Cette situation découle directement du processus de privatisation des opérateurs publics et d’ouverture à la concurrence du marché de la téléphonie mobile en Afrique qui ont eu pour principal résultat (pour ne pas dire objectif) de livrer ce secteur extrêmement rentable à des firmes étrangères. En l’espèce, il s’est agi d’une double dénationalisation avec d’une part la suppression des opérateurs publics de télécommunications et leur remplacement par des entreprises privées et d’autre part la destruction de l’identité africaine de ces sociétés pour en faire des filiales de sociétés étrangères même si certaines ont gardé leur appellation d’origine, les transformant en quelque sorte en des sociétés à peau blanche dotées de masques noirs pour faire un clin d’œil à Frantz Fanon. Alors que partout dans le monde, la protection des économies nationales ou régionales est à l’ordre du jour, les dirigeants africains appliquent naïvement les recettes libérales que leur ont inculqué les institutions de Bretton Woods en acceptant, sans contrepartie, de soumettre leurs économies aux règles d’un libéralisme que les puissances qui en sont les portes drapeau se gardent bien d’appliquer sur leurs propres marchés. A l’heure où la construction de l’unité africaine tente de prendre un second souffle avec la création de l’Union africaine (UA), il n’est pas inutile de rappeler que la réalisation de cette ambition politique restera une chimère tant qu’elle ne s’adossera pas parallèlement à un projet visant à faire de l’Afrique une puissance économique comptant d’abord et avant tout sur ses propres ressources. Dès lors les dirigeants politiques et économiques africains doivent s’atteler, chacun en ce qui les concerne, à favoriser l’éclosion d’entreprises de taille internationale, notamment dans le secteur stratégiques des technologies de l’information et de la communication. Concrètement, il s’agit de mettre en œuvre un « patriotisme économique » à l’échelle continentales visant notamment à appuyer les entreprises africaines du secteur des TIC dans le combat à armes inégales qui les opposent aux grandes multinationales occidentales plutôt que de les brader une par une au plus offrant.
Amadou Top
Président d’OSIRIS