Lutte contre la fracture numérique : Passer du discours aux actes
mercredi 31 mars 2010
L’Agence de régulation des télécommunications et des postes (ARTP) vient de rendre public les résultats d’une enquête nationale sur les technologies de l’information et de la communication au Sénégal (ENTICS) qui font apparaître crûment la réalité de la fracture numérique au Sénégal. Que l’on en juge : le nombre de lignes téléphoniques fixes à usage domestique se limite à 14,5 lignes pour 100 ménages avec un taux d’accès 2,4 fois plus élevé à Dakar que dans le reste du pays. Autrement dit, 85,5% des ménages sénégalais ne possèdent pas le téléphone fixe à domicile, instrument sans lequel il n’est pas possible de se connecter à Internet dans de bonnes conditions à l’ère du multimédia triomphant. Certes, le taux de pénétration de la téléphonie mobile est lui de 87,85% dans les ménages mais cette dernière sert essentiellement à émettre et recevoir des appels ainsi qu’à envoyer des SMS, les services évolués (MMS, GPRS, Internet mobile, etc.) qui nécessitent des terminaux coûteux et sont chèrement facturés, étant très peu utilisés. Pour ce qui est de l’informatique, le taux d’équipement est de 11,5 ordinateurs pour 100 ménages, cette moyenne étant beaucoup plus élevée à Dakar avec 27,5 ordinateurs pour 100 ménages alors qu’elle est seulement de 9,5 ordinateurs pour 100 ménages dans les autres villes et 8 fois moins élevée en milieu rural. Le taux de connexion à Internet des ménages est de 4,0%, avec une forte disparité géographique, qui fait qu’il est de 10,1% à Dakar qui concentre 72% des internautes. L’enquête montre également que les 923 031 internautes sénégalais, sont 83% à Dakar et 93% dans les autres villes du pays à se connecter hors de leur domicile, la grande majorité d’entre eux y accédant via des dispositifs d’accès collectifs (cybercentres publics et privés, etc.). Enfin, en matière d’usages, il s’avère que 13,1% des individus âgés de 12 ans et plus déclarent utiliser un ordinateur et que 15% utilisent Internet mais seuls 8,4% le font de manière courante. Globalement, les résultats de cette étude ne comportent pas de grandes surprises et montrent clairement que l’utilisation des TIC reste marginale dans les ménages et relativement faible dans l’administration comme dans les entreprises. Le très faible taux de pénétration de la téléphonie fixe montre que l’accès universel est loin d’être une réalité même si la téléphonie mobile présente un taux de pénétration satisfaisant qui doit cependant être relativisé en regard du nombre de personnes possédant plusieurs puces. Enfin, il ressort que les principaux freins à l’utilisation des TIC sont la cherté des communications et des ordinateurs, la mauvaise qualité de service, l’insuffisante couverture des réseaux, l’analphabétisme, la non-maitrise de l’ordinateur et la faible disponibilité des contenus locaux. Au-delà de pouvoir chiffrer précisément ce qui n’était jusqu’alors que des estimations, l’intérêt de cette enquête, qu’il importe de rééditer sur une base régulière, est d’indiquer clairement l’ampleur du travail à faire pour diminuer significativement l’impact de la fracture numérique. C’est le lieu de répéter que cela ne se sera durablement possible qu’en s’appuyant sur une stratégie nationale comprenant un nombre limité d’objectifs réalistes et réalisables, reposant sur la mobilisation effective de moyens conséquents et s’inscrivant dans un calendrier précis dont le respect sera mesuré par un mécanisme de suivi-évaluation. Cette stratégie devrait donner la priorité aux deux axes essentiels que sont l’infrastructure et les contenus. Il est en effet impérieux de déployer une infrastructure terrestre à haut débit, concourant à un aménagement numérique équilibré du territoire, plutôt que d’écouter ceux qui veulent nous faire croire que l’Internet mobile pourrait se substituer aux réseaux filaires alors qu’il n’est qu’une infrastructure complémentaire de l’épine dorsale constituée par les réseaux terrestres. Parallèlement, il faut prendre toutes les dispositions nécessaires à la création d’une large offre de contenus locaux intéressant les citoyens, les consommateurs, les entreprises, les administrations, les associations, etc. Sans ces mesures, il n’est pas concevable d’envisager le développement une société de l’information « à dimension humaine, inclusive et solidaire, ouverte, transparente et sécurisée » telle que définie par la loi d’orientation sur la société de l’information (LOSI). Il urge donc de faire moins de discours et de passer aux actes pour lutter effectivement contre la fracture numérique et développer la société de l’information.
Olivier Sagna
Secrétaire général d’OSIRIS