Dix ans après l’octroi d’une licence de téléphonie mobile à Sentel, le moment est venu de s’interroger sur ce qui a vraiment changé sur le marché sénégalais des télécommunications. Lorsque fut adopté la loi n° 96-03 du 22 février 1996 portant Code des télécommunications, il s’agissait de répondre aux exigences des institutions de Bretton Woods dont la devise est symbolisée par le triptyque « privatisation, libéralisation, régulation ». Les conséquences de cette loi furent la privatisation de la Sonatel en 1997 et l’instauration d’un régime de concurrence limitée pour la téléphonie mobile et d’un régime de concurrence totale pour les services à valeur ajoutée, la téléphonie fixe continuant à bénéficier d’un régime de monopole. L’année 1998 fut marquée par l’arrivée d’un second opérateur de téléphonie mobile, Sentel filiale de Millicom International, suite à un appel d’offres à propos duquel les Sénégalais ne reçurent pas la moindre information si ce n’est le résultat final ! La concurrence dans ce secteur permit à la fois la baisse du prix de l’abonnement et celui des tarifs des communications avec pour résultat un accroissement exponentiel du nombre d‘abonnés qui passera de 100.000 à 4.720.835 en une décennie et une extension de la couverture du réseau qui dessert aujourd’hui près de 90% de la population. En 2001, un nouveau code des télécommunications fut adopté qui permit notamment la création de l’Agence de régulation des télécommunications (ART) dont la mise en place aurait dû précéder l’ouverture du marché à la concurrence L’existence d’une telle structure aurait peut être empêché que la Sonatel, usant et abusant de sa position dominante sur le marché des services Internet, n’oblige la douzaine de fournisseurs de services Internet (FSI) à mettre, l’un après l’autre, la clé sous la porte au point d’être actuellement la seule à offrir ce type de services. Conséquence directe, simple coïncidence ou raison parmi d’autres, toujours est-il que le nombre d’abonnés à Internet n’a que faiblement progressé durant cette période passant de 5000 en 1998 à un peu plus de 44.000 en juin 2008 quand un pays comme la Tunisie, qui compte à peu près le même nombre d’habitants que le Sénégal, en est à plus de 150.000 abonnés. L’année 2004 a été caractérisée par la décision de l’Etat de mettre officiellement fin au monopole accordée à la Sonatel pour la fourniture de services de téléphonie fixe, cela étant en l’absence d’un autre opérateur autorisé à fournir ce type de services, rien n’a changé dans ce secteur. Certes en 2008, une licence globale, fixe, mobile et Internet, a bien été accordée à Sudatel, après un processus d’appel d’offres peu orthodoxe qui a soulevé une vive polémique et de nombreuses questions, mais le démarrage des activités du nouvel opérateur n’est toujours pas effectif prolongent d’autant le monopole de facto la Sonatel. Au final malgré l’existence officielle de trois opérateurs (Sonatel, Sentel et Sudatel) sur le marché sénégalais des télécommunications, les segments de la terminaison et de la collecte de trafic sur les réseaux fixes, le transit national et international, la transmission de données, la location de capacités, le marché IP, l’accès aux services spéciaux et les services de signalisation nécessaires au roaming international, font l’objet d’un monopole de la Sonatel qui domine par ailleurs largement le segment de la téléphonie mobile dont elle détient 79,5% de parts en termes de trafic. Conclusion, les fruits de la libéralisation du marché des télécommunications n’ont pas tenu la promesse des fleurs. Liberté de choix, amélioration de la qualité et diversification des services et baisse des tarifs, notamment nationaux, restent hypothétiques pour les Sénégalais dont la seule certitude est d’avoir perdu leur opérateur national passé entre les mains du grand capital international, comme quoi libéralisation ne rime pas avec libération !
Amadou Top
Président d’OSIRIS