Il y a deux ans, dans un article au titre très évocateur sur les télécommunications en Afrique « Pourquoi Orange aime l’Afrique ? », le magazine Jeune Afrique relatait les « conquêtes » de France Télécom sur le continent.
Cette saga du groupe français de ces douze dernières années (1996-2008) contée par JA permet au moins, de faire deux constats : d’une part, le manque d’initiative, la léthargie des Africains face à cette dynamique de la mondialisation qui permet au capital « étranger » de s’installer sans coup férir et de truster tout le secteur des télécommunications continentales et, d’autre part, la stratégie éculée mise en œuvre par ce même capital pour préparer la sauce avec laquelle l’Afrique risque d’être mangée à nouveau.
Ainsi en dix ans, nous raconte JA, le groupe France Télécom a pu se réimplanter ou s’implanter dans quatorze pays, pour l’essentiel des pays anciennement colonies françaises, au moment où la plupart d’entre elles célèbrent le cinquantenaire de leur souveraineté internationale retrouvée.
Orange n’a que dix ans en Afrique mais France Câble et Radio, FCR, cette autre filiale de France Télécom y était déjà en 1960, au lendemain des indépendances, pour « aider » les Africains du pré-carré français à gérer leurs télécommunications internationales. Au moment de fêter le cinquantenaire de leur indépendance et en dépit des énormes ressources générées par le segment international du marché des télécoms, la majorité de ces Etats n’avaient toujours pas réussi à résorber le gap technologique existant entre leur ancienne métropole colonisatrice et eux. Le Sénégal l’avait fait.
Dans cette nouvelle course vers le continent noir déclenchée par le vent de libéralisation/privatisation du secteur des télécoms, c’est surtout la bannière Orange qui, en décembre 2008, flotte le plus haut jusque dans les anciennes « terres » de la « Perfide Albion », sa filiale égyptienne comptant plus de la moitié des 29 millions de clients Orange recensés.
Après avoir écumé l’Afrique de l’Ouest et du Centre et estampillé toutes ses branches africaines de la marque de sa filiale (opération de rebranding qui lui permet de récupérer 6% du chiffre d’affaires de chacune de celles-ci comme droit d’utiliser la marque Orange), France Télécom/Orange pouvait s’attaquer à l’Afrique de l’Est en restant fidèle à sa stratégie : cibler les pays à gros potentiels de croissance (faible taux de pénétration du téléphone mobile et/ou forte population).
C’est JA qui nous conte la stratégie. En dépit des énormes investissements nécessaires, celle-ci s’avère payante grâce à cette particularité du marché africain : une « écrasante prédominance de l’offre prépayée - l’achat de cartes de recharge de communications générant un très fort cash flow ». Avec 380 millions en fin 2008, les cabinets d’études du marché africain projettent des estimations de 550 millions de clients en 2013 pour un continent qui a récemment doublé le cap symbolique du milliard d’Africains.
Le titre de l’article de JA, « Pourquoi Orange aime l’Afrique ? », en devient plutôt provocateur pour ne pas dire plus. En effet, quelles sont-elles, les motivations de cet amour fou pour l’Afrique et les Africains, sinon le profit et le gain faciles...
C’est encore JA, dans ses colonnes, qui rapporte le mieux cette « philanthropie incommensurable » de France Télécom pour l’Afrique, dont le patron sur le continent est « en mission pour le royaume d’Orange » (sic). Le magazine africain de référence rapporte : « parmi les motifs de satisfaction pour Marc Rennard, la sensation de participer, avec l’essor des télécoms, au développement du continent. « Au Mali, le président, Amadou Toumani Touré, nous racontait récemment : “Avant, les chefs de village me demandaient une mosquée, une école ou un dispensaire, aujourd’hui ils veulent Orange.” ».
Pour conserver la longueur d’avance qu’elle a acquise depuis une douzaine d’années avec les opérateurs historiques du Sénégal et de la Côte d’Ivoire dans son escarcelle, France Télécom/Orange préparerait la nouvelle étape de son expansion : la concentration par rapprochement entre majors et opérateurs de moindre envergure (Jeune Afrique faisait état en juillet 2010, de rapprochement probable entre FT/Orange et Millicom-Tigo, acquisition de Méditel au Maroc ou encore d’achat d’une licence globale en Tunisie) tout en restant à l’affut de deux prochaines prises, les géants que sont l’Ethiopie et la RD Congo.
Dans la même foulée, se justifient les gros investissements consentis dans le réseau de câbles sous-marins qui ceinturent l’Afrique et qui permettent de drainer le trafic téléphonique aujourd’hui et, demain, le futur trafic des communications de Haut Débit. C’est ce qui explique ce curieux paradoxe d’une Afrique surcâblée, en dépit du retard accusé par le continent.
Dans cette course aux licences ou aux rachats d’opérateurs historiques, il y a bien des opérateurs africains comme MTN le géant sud-africain du mobile, Maroc Télécom filiale de Vivendi très entreprenante en Afrique de l’Ouest autant dire ...un cheval de Troie qui s’est adjugé les OPT du Mali, du Burkina Faso... De capitaux proprement africains, seul le groupe d’investissement libyen LAP s’était signalé par quelques participations... Sont annoncés, par contre, d’autres acteurs du Moyen Orient, d’Inde, de Chine ou même d’Océanie, autant dire des ogres, venus se faire une place au soleil d’Afrique.
SONATEL qui aurait pu être gaillardement de cette cohorte, avait commencé à être le groupe ambitieux qui allait tenir la dragée haute et jouer sa partition ...au lieu de se battre aujourd’hui pour de maigres quote-part sur la taxe de répartition que les opérateurs internationaux veulent bien nous consentir.
Voilà qui permet de mieux prendre la mesure des nouveaux enjeux...
Momar Gassama
Cadre des télécoms retraité de l’OPT et de SONATEL
Dakar
(Source : Sud Quotidien, 10 octobre 2011)