Le Ministère des postes et télécommunications du Sénégal légalise la censure d’internet, nos libertés menacées
vendredi 30 juin 2017
Le projet de code des communications électroniques révisé de mai 2017 du
Ministère des Postes et Télécommunications du Sénégal, aux frais du
contribuable sénégalais, se servant des citoyens comme alibi dans une
pseudo-consultation, en plus de contenir beaucoup d’articles
problématiques, imprécis, flous, et des manquements délibérés comporte
des dispositions qui portent atteinte directement aux droits fondamentaux des
sénégalais.
En effet, après avoir consacré un accès ouvert à internet en son article
26 ; l’article 28 du même code insère des exceptions à la neutralité du
net sous le couvert de mesures raisonnables de gestion du trafic. Ces
dernières peuvent être mises en œuvre par les opérateurs sur la base de
considérations techniques et sécuritaires ou l’autorité de régulation
(ARTP) peut en donner l’autorisation pour motif économique. Cela aboutira
à des situations où des contenus, des services ou, plus généralement, des
communications peuvent être surveillés, filtrés, ralentis, ou bloqués
par les opérateurs, c’est la censure d’internet. A l’inverse, ils
peuvent aussi les favoriser, mettre en avant, ou imposer, c’est la
discrimination, en somme un internet à deux vitesses, un pour les riches et
un autre pour les pauvres dans un pays ou la fracture numérique est déjà
béante. Autrement dit l’ARTP et les opérateurs déciderons désormais de
ce que les sénégalais doivent voir et faire sur internet.
En outre, il y a le risque certain de comportement anticoncurrentiel dans la
gestion du trafic de la part d’opérateurs ayant une position dominante sur
au moins un des segments de la chaine de valeur du marché de l’accès à
internet.
Dorénavant, la liberté d’expression, le libre accès à l’information, la
liberté de choix des utilisateurs et le pluralisme des médias ainsi que la
compétitivité et l’innovation sont menacés au Sénégal.
ASUTIC estime que dans le contexte du Sénégal, aucun argument technique ou économique fondé ne peut être avancé pour justifier les mesures
raisonnables de gestion du trafic, excepté l’application d’une décision
de justice.
Certes, la neutralité du net a bien sûr ses limites, elle implique le
respect des lois en matière de mœurs, et les mêmes restrictions légales
que les autres médias, mais à l’analyse, on constate que le Ministère
n’aborde la question de l’accès ouvert à internet que sous l’angle
des pertes de chiffre d’affaire sur le trafic voix par les opérateurs. La
préservation d’une situation de rente, du profit à court terme pour les
opérateurs a ainsi conduit le Ministère à élaborer un projet de code
comportant des dispositions potentiellement attentatoires aux libertés
d’information, d’expression des sénégalais et à la concurrence. Ainsi,
le Ministère des postes et télécommunications du Sénégal se soumet aux
intérêts des opérateurs et ignore ceux des citoyens sénégalais qu’il est
censé représenter et protéger, servant ainsi de courroie de transmission
au lobbying permanent de l’opérateur historique dont il espère qu’il
servira le Gouvernement du Sénégal en retour.
Légaliser et entamer un processus de surveillance, de filtrage, de censure
c’est mettre le doigt dans un engrenage dangereux. Aujourd’hui, c’est
le blocage des OTT (Viber, Whatsup, etc), le filtrage de contenus jugés
gênants, demain, ce sera les œuvres protégées par le droit d’auteur.
Après demain, ce sera une surveillance des correspondances privées des
citoyens, des opposants politiques, des journalistes ou encore des lanceurs
d’alertes. Une fois que les outils de surveillance sont installés sur les
réseaux, il peut être tentant d’étendre leur usage. Cela peut facilement
mener jusqu’aux types de surveillance de masse. Les citoyens perdent ainsi
la souveraineté sur leurs vies numériques.
Aussi, au-delà des questions techniques, économiques et juridiques, cette
loi soulève un véritable enjeu de société. La vie des sénégalais se
passe de jour en jour dans les réseaux téléphoniques et internet, qui
donnent des moyens sans précédents de surveillance aux opérateurs,
fournisseurs de services et à l’appareil d’Etat. Voulons-nous vivre sous
surveillance permanente ? Allons-nous accepter que, petit à petit, l’ARTP
et les opérateurs soient les seuls juges des contenus à publier ou à
consulter sur internet, le juge judiciaire étant progressivement écarté de
ses fonctions ? Ce serait une défaite de la séparation des pouvoirs et des
droits des citoyens. Le premier acte légal de cette défaite vient d’être
posé par le Ministère des postes et télécommunications du Sénégal.
Le développement du secteur des télécommunications est une nécessité,
mais elle ne doit pas être recherchée à n’importe quel prix ; elle ne doit
porter atteinte ni aux libertés ni à la vie privée des sénégalais. Telle
doit être la position du Gouvernement du Sénégal ! Par conséquent, en
élaborant un tel article qui donne des pouvoirs de surveillance des
sénégalais aux opérateurs et appauvrit leurs droits, le Ministère des
Postes et Telecommunications ne place pas au cœur de la politique numérique
du Sénégal la question du respect des droits et libertés des citoyens
sénégalais.
Parce que cette loi :
- Génère des pratiques anticoncurrentielles,
- N’est pas en conformité avec l’article 19 de la Déclaration universelle des droits humains,
- N’est pas en conformité avec l’article 9 de la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples,
- N’est pas conforme aux articles 3, 5, 7 de la loi d‘orientation sur la société de l’information,
- N’est pas conforme aux articles 8, 10, 11, 13 de la Constitution du Sénégal
L’Association Sénégalaise des Utilisateurs des TIC « ASUTIC » :
- Rejette l’article 28 dans sa formulation actuelle,
- Invite le Ministère à supprimer toutes les clauses, excepté celle relative à l’application d’une décision de justice afin que cet article consacre un véritable accès ouvert à internet, qui est à la fois :
1) Une garantie d’une économie numérique sénégalaise stimulant équitablement la compétition, l’innovation et la concurrence,
2) Une garantie pour la liberté d’expression et d’information, réduisant les risques de censure et de surveillance des citoyens sénégalais.
- Lance un appel pour un débat national sur les enjeux qui entourent la question de la neutralité du net afin que le citoyen puisse, décider souverainement de la société numérique sénégalaise d’aujourd’hui et de demain.
Fait à Dakar, le 30 Juin 2017
Le Président Ndiaga Guèye
(Source : ASUTIC, 30 juin 2017)