La Poste, symbole d’une transition digitale trop longtemps différée
mardi 2 septembre 2025
La relance de La Poste sénégalaise annoncée par le Premier ministre Ousmane Sonko s’inscrit dans une logique claire : repositionner cette institution centenaire au cœur de l’économie numérique. L’ambition est forte, les pistes sont pertinentes : création d’une banque postale, gestion des paiements de masse, appui au e-commerce, mise en place d’une messagerie électronique nationale. Mais au-delà des annonces, une question s’impose : comment a-t-on pu attendre aussi longtemps pour engager ce virage qui s’imposait depuis plus longtemps ?
La Poste du Sénégal n’est pas un cas isolé. Elle incarne un mal partagé par de nombreuses institutions : le manque d’anticipation face à la révolution digitale. Pendant que des opérateurs privés plus agiles occupaient le terrain du paiement mobile, de la logistique connectée ou de la distribution numérique, l’institution est restée figée dans des schémas anciens. Résultat : là où il aurait fallu une évolution continue, on parle aujourd’hui de « relance ».
Pourtant, La Poste n’est pas dépourvue d’atouts. Elle détient le plus vaste réseau d’agences du pays et une présence inégalée jusque dans les zones les plus reculées. Cette capillarité territoriale est un trésor stratégique : aucun autre acteur, ni public ni privé, ne peut se prévaloir d’une telle proximité avec les populations. Dans un contexte où l’État cherche à rapprocher ses services des citoyens et où le secteur privé a besoin de relais physiques pour gagner la confiance des usagers, La Poste pourrait devenir une plateforme de mutualisation. Ses guichets pourraient accueillir aussi bien les paiements publics que les produits financiers privés, servir de points de retrait pour le e-commerce, ou encore appuyer la distribution de services numériques nationaux comme l’identité digitale ou la messagerie sécurisée.
La comparaison avec la France est éclairante. Confrontée elle aussi au déclin du courrier papier, La Poste française a engagé depuis plus de quinze ans une diversification et une digitalisation profondes. Elle a misé sur la banque postale, devenu un pilier de son modèle économique. Elle a lancé l’identité numérique certifiée, permettant aux citoyens de s’authentifier en ligne pour leurs démarches administratives. Elle a transformé ses facteurs en acteurs de proximité, capables d’apporter des services sociaux ou digitaux jusque chez les particuliers. Bref, elle a utilisé son réseau comme levier pour inventer de nouveaux usages.
Le contraste est saisissant. Là où la France a cherché à réinventer son service postal, le Sénégal a laissé filer des opportunités, au point de voir La Poste marginalisée dans ses propres métiers. C’est exactement le même scénario que dans la presse nationale, qui n’a pas su négocier à temps la transition numérique et se retrouve aujourd’hui affaiblie, dépendante de plateformes étrangères pour distribuer ses contenus.
Il ne s’agit pas de jeter la pierre à La Poste sénégalaise ni aux médias traditionnels. Mais il faut être lucide : le numérique n’attend pas. Les acteurs qui repoussent les réformes ou qui hésitent trop longtemps se condamnent à subir la vague, purement et simplement.
La relance annoncée peut être une chance, à condition de tirer les leçons du passé. Le Sénégal a besoin d’institutions publiques et privées qui comprennent que la transition digitale n’est pas une option mais une exigence vitale. La Poste, avec son maillage territorial et sa légitimité historique, possède les atouts pour devenir l’ossature territoriale de la souveraineté numérique. Encore faut-il que la vision politique se traduise en actes rapides et concrets.
Car une chose est sûre : dans le numérique, les retards ne se rattrapent jamais totalement.
(Source : Le Techobservateur, 2 septembre 2025)