La mondialisation en marche : Orange s’impose au Sénégal
jeudi 30 novembre 2006
Le remplacement des marques, « Alizé », « Sentoo » et « Keurgui TV » au Sénégal et « Ikatel » au Mali par le label « Orange » du groupe France Télécom, est une des dernières illustrations de l’impact du processus de mondialisation sur le secteur des télécommunications. Envisagé depuis 2003, cette mesure a été retardée par le combat, mené et perdu, par l’intersyndicale des travailleurs de la Sonatel qui dénonçait d’une part la perte d’identité qui en découlerait et d’autre part le paiement d’un « brand fee » de 1,6% indexé sur le chiffre d’affaires annuel de la société venant s’ajouter au « Management fee » de 1% déjà payé par la Sonatel à France Télécom. En novembre 2005, il y avait déjà eu un précédent avec la décision prise par Sentel de remplacer la marque commerciale « Hello » par le label « Tigo » dans le cadre de la politique du groupe Millicom International Cellular visant à faire utiliser cette marque commerciale par l’ensemble de ces filiales en Amérique latine, en Afrique et en Asie. Sentel étant une firme étrangère installée au Sénégal seulement depuis 1999, la décision avait été plutôt bien d’accueillie, d’autant plus qu’elle était survenue suite à une campagne publicitaire particulièrement réussie reposant sur la technique du « teasing ». Cela étant, la réalité de la mondialisation dans le secteur se limite pas, loin s’en faut, au remplacement des marques locales par des marques internationales. Ce processus a commencé dans les années 70, dans la cadre des politiques néolibérales visant à démanteler les services publics au nom de la réduction de l’intervention de l’Etat dans l’économie. Cette politique connue sous l’appellation de « dérégulation » des télécommunications s’est d’abord matérialisée aux Etats-Unis avec la décision d’un tribunal de mettre fin au « Bell system » qui verra cette compagnie, qui exerçait un monopole sur le marché américain des télécommunications, donner naissance à une vingtaine d’entités indépendantes. Dans cette lancée, un accord sur la libéralisation des services de télécommunications de base sera adopté par l’OMC en 1997, donnant le coup d’envoi à la libéralisation des marchés nationaux de télécommunications avec pour corollaire la privatisation des opérateurs publics. Dès lors, dans les pays en voie de développement, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) feront de la privatisation des opérateurs historiques une des principales conditionnalités de leur aide. C’est dans ce contexte qu’est intervenue en 1997 la privatisation de la Sonatel avec la prise de participation majoritaire de France Télécom, un groupe public français ( !), dans son capital. Aujourd’hui, en Afrique, la plupart des opérateurs de télécommunications ont été privatisés ou sont en voie de l’être avec pour conséquence de dessaisir les états d’un instrument capital pour le développement politique, économique, culturelle et social à l’échelle locale, nationale, régionale et continentale. De plus, la politique consistant à organiser la privatisation en faisant appel à des « partenaires stratégiques » a eu pour conséquence la confiscation de ce secteur stratégique et particulièrement rentable par des multinationales étrangères au continent africain. Au final, la mondialisation du secteur des télécommunications a donc eu pour conséquence de déposséder l’Afrique de sa capacité à définir des stratégies et des politiques qui lui soient propre en la matière, de la déposséder de son infrastructure de télécommunications puisqu’elle est désormais la propriété de firmes étrangères et de la déposséder de l’essentiel des revenus générés par le secteur puisque la majeure partie des bénéfices est rapatriés dans les pays développés. Dans un tel contexte, la perte d’identité que constitue la substitution du label « Orange » aux marques locales, aussi déplorable soit elle, ne constitue qu’un épiphénomène d’un processus beaucoup plus profond de dépossession et de domination économique.
Amadou Top
Président d’OSIRIS