Alerte sur la nouvelle taxe mobile money : un risque de retour au cash pour l’économie sénégalaise
vendredi 12 septembre 2025
Dans le cadre de son plan de redressement économique 2025-2028, le gouvernement du Sénégal s’apprête à franchir un cap controversé : l’instauration d’une nouvelle taxe sur les transactions de mobile money.
Selon plusieurs sources, un projet de loi devrait être présenté prochainement à l’Assemblée nationale. L’enjeu financier est considérable. L’exécutif vise 220 milliards de FCFA de recettes supplémentaires sur trois ans grâce à cette taxation des services financiers numériques (SFN), dans un contexte de déficit budgétaire critique.
Un double prélèvement qui inquiète
La réforme prévoit l’application d’un taux de 0,5 % sur chaque transfert et de 1,5 % sur les paiements marchands, ce qui signifie que chaque usager sera directement touché, tandis que les commerçants supporteront un prélèvement additionnel de 2 %.. Concrètement, chaque Sénégalais utilisant le mobile money se verrait appliquer cette taxe systématiquement. Pour un transfert de 10 000 FCFA, l’utilisateur paierait 50 FCFA supplémentaires, tandis que le commerçant qui reçoit ce montant supporterait 200 FCFA de taxes.
Un paradoxe économique redoutable
Cette mesure présente un paradoxe majeur : alors qu’elle vise à augmenter les recettes publiques, elle risque de produire l’effet inverse en poussant les utilisateurs vers l’économie informelle. Plus de 90% des Sénégalais de plus de 15 ans utilisent actuellement le mobile money, un taux d’adoption remarquable dans un pays où la bancarisation reste faible. Les plateformes de paiement mobile ont traité près de 15 300 milliards de FCFA de transactions en 2025, générant des économies estimées à 125 milliards de FCFA par an pour les utilisateurs. Les populations les plus vulnérables – familles à faibles revenus, femmes, petits commerçants, étudiants – qui dépendent quotidiennement de ces services, seraient les premières touchées par cette surtaxation.
Les leçons africaines ignorées ?
L’expérience d’autres pays africains devrait pourtant alerter Dakar. Au Cameroun, l’introduction d’une taxe de 0,2% a provoqué la colère des agents de mobile money et soulevé des questions d’équité. En effet, les revenus d’un agent proviennent principalement des commissions perçues sur chaque transaction. Il reçoit en moyenne 40 à 45% de la commission, les 55 à 60% restants étant partagés entre l’opérateur de réseau mobile (MTN ou Orange), les banques partenaires et le gestionnaire de l’agent (le « superagent »).
L’exemple ougandais est encore plus parlant : face aux vives protestations suscitées par une taxe similaire, le gouvernement de Kampala a été contraint de faire marche arrière en moins de six mois. Le secteur et les utilisateurs semblent avoir progressivement accepté la taxe, qui génère des recettes modestes (un peu moins de 50 millions de dollars US en 2022-23, soit environ 10 % du total des droits d’accise perçus), bien qu’elle continue d’être critiquée pour la distorsion du traitement fiscal des SFN par rapport aux services financiers traditionnels.
Un risque de régression numérique
Ce qui se joue derrière cette nouvelle taxe dépasse largement la simple question fiscale. C’est l’avenir de la digitalisation de l’économie sénégalaise qui est en ligne de mire. En moins d’une décennie, le mobile money s’est imposé comme une infrastructure sociale et économique incontournable : transferts familiaux, petits commerces, paiements de factures ou de transports publics comme le TER et le BRT… Il est au cœur du quotidien des Sénégalais.
Mais avec l’introduction d’une taxe de 0,5 % sur chaque transaction, c’est un véritable coup de frein qui s’annonce. Chacun devra désormais payer plus cher pour des gestes de la vie courante. Le risque est évident : voir les usagers délaisser les solutions numériques pour retourner à l’argent liquide. Un retour en arrière qui ferait voler en éclats des années d’efforts en faveur de l’inclusion financière, de la transparence et de la traçabilité des transactions. En voulant élargir l’assiette fiscale, l’État prend le risque de casser l’un des rares moteurs d’innovation et de modernisation du pays.
L’urgence d’une concertation nationale
Face à ces enjeux, il urge d’organiser une large concertation nationale associant tous les acteurs du secteur. L’objectif : concevoir une fiscalité équilibrée qui préserve les acquis de l’inclusion financière tout en contribuant aux finances publiques. Le défi pour le gouvernement sénégalais sera de trouver le bon équilibre entre impératifs budgétaires et préservation d’un écosystème numérique qui bénéficie à l’ensemble de la population, particulièrement aux plus démunis.
(Source : Social Net Link, 12 septembre 2025)