« Full » dématérialisation en Côte d’Ivoire : les archivistes s’inquiètent, les prestataires rassurent
lundi 10 juillet 2017
« Full demat » ou dématérialisation tout azimut. Le terme est de plus en plus usité pour qualifier la tendance actuelle qui consiste à numériser des documents pour en faciliter l’accès aux différents acteurs d’une chaîne de valeur, en vue d’améliorer l’efficacité des services rendus aux clients par une administration publique ou une marque. En amont de tout processus de dématérialisation, les archivistes s’offusquent cependant du cadre dans lequel cette dynamique se met en place en Côte d’Ivoire.
« Lorsqu’il y a des projets (de dématérialisation, Ndlr), du fait que le responsable informatique ne connait pas les techniques documentaires qu’il faut employer en amont pour bien organiser les documents, il a tendance à forcer pour aller tout de suite vers l’acquisition de matériels pour faire de la numérisation », s’offusque Koné Adama. Chef de service de la documentation et des archives de l’Assemblée nationale, et président de l’Association pour la promotion des sciences de l’information documentaire en Côte d’Ivoire, il fait observer qu’ « en général, suite à cette dématérialisation, on procède souvent à la destruction des documents physiques, et c’est longtemps après souvent que nous nous rendons compte qu’il y aurait fallu bien organiser les documents physiques, et que parmi ces documents il y en a dont la durée d’utilité administrative pourrait arriver à terme, et alors on pourrait les détruire automatiquement, et qu’on aurait pu se rendre également compte qu’il y a des documents qui ont des valeurs historiques qu’on ne pourrait détruire ». L’organisation documentaire, explique l’administrateur, permet de « répertorier ces documents, de les mettre de côté et de faire en sorte que malgré que nous ayons numérisé ou informatisé le système, que ces documents soient gardés en copie physique, parce que ces copies physiques sont les meilleures copies que nous pourrons avoir pour tout le temps ».
A quand une loi sur l’archivage électronique ?
Réagissant à ces propos lors du Salon international de la dématérialisation, de l’externalisation et de la relation client tenu les 7 et 8 juillet 2017 à Abidjan, William Kadio Kassi, le chef de service dématérialisation à l’Autorité de régulation des télécommunications/TIC (ARTCI) reconnait l’importance du métier d’archiviste dans tout processus de dématérialisation. « L’archivage électronique n’est pas de l’informatique. C’est un métier supporté par l’informatique », soutient William Kassi. Qui annonce, d’ici la fin 2017, la mise en place d’un référentiel technique et d’une procédure d’agrément provisoire pour les prestataires de service d’archivage électronique. Des briques importantes pour dynamiser le marché de l’archivage électronique, certes, mais moins rassurantes pour les archivistes qui réclament plutôt une loi, en dépit du décret pris en 2016, organisant l’archivage électronique. « On a une loi sur l’accès à l’information, une loi sur la conservation des documents et une loi sur les transactions électroniques. Pourquoi ne pas avoir une loi sur les archives numériques, puisque les archives sont les documents qui regroupent tous ces éléments, même les documents des transactions ? » s’interroge Koné Adama. Non sans faire remarquer que le métier d’archiviste, qui relève du ministère de l’Intérieur, est organisé en Côte d’Ivoire par une loi datant de 1976.
Reconversion des documents
Un autre risque de la dématérialisation soulevé par M. Koné Adama, la reconversion des supports. « Aujourd’hui, les prestataires, parce qu’ils nous vendent des solutions informatiques, sont prêts à nous faire croire que tout va bien. Mais qui aurait pensé qu’aujourd’hui on ne pourrait plus utiliser les disquettes. Ça veut dire que les supports d’enregistrement sur lesquels on nous amène à conserver tous nos documents seront amenés à changer demain. Et lorsqu’ils seront caducs, quel coût il va nous falloir pour acquérir les nouveaux supports ? En général, la reconversion des documents coûte plus chère que la dématérialisation », s’inquiète l’administrateur à l’Assemblée nationale.
Basculer d’un support sur un autre, un risque à prendre en compte dans toute politique de dématérialisation. Interrogé à ce sujet par CIO Mag, Groga Serges, consultant en systèmes d’archivage électronique et gestion électronique des documents (GED), affirme que c’est « justement » l’une des raisons pour lesquelles il faut se faire conseiller afin d’opter pour des « systèmes qui sont capables de s’adapter aux nouvelles technologies qui naîtront ici et là ». « C’est extrêmement important. Évidemment, le client final n’est pas très éclairé, ce qui fait qu’il choisit sur le tas en se basant sur des considérations purement visuelles », là où il faut des applications qui cadrent avec les exigences requises.
Signature électronique
Outre l’organisation du travail d’archivage avant la numérisation et la reconversion des documents, l’avènement d’une loi donnant une valeur légale à la signature électronique est évoqué par les opérateurs impliqués dans la dématérialisation. « Une fois effectivement qu’il y aura une loi, on pourra signer un document sur internet, demander un acte de mariage, demander un acte de naissance par internet. Il faut que ça soit digitalisé, dématérialisé. C’est-à-dire que l’administration, au lieu d’avoir des documents archivés, aura des fichiers archivés, et ces fichiers on peut largement les exploiter, les croiser », argumente Olivier Blanchard, CEO Africa d’Acticall Sitel Group. Il observe que les pays africains ont aujourd’hui un tel déploiement de la 3G et de la 4G qui permet aux administrés et aux clients d’accéder à l’information partout, de communiquer entre eux, d’échanger sur les forums, de comparer des marques ou de dire que cette administration travaille correctement. « La dématérialisation, c’est ça : au lieu d’avoir une relation One to One, les marques, les administrations parlent à des groupes sur Facebook, sur WhatsApp », continue olivier Blanchard. Ajoutant que les entreprises « connues » qui n’ont pas réussi à faire cette bascule dans le monde de la dématérialisation ont disparu ou « ont eu de gros problèmes financiers ».
« La dématérialisation, c’est tout bénef ! »
Les entreprises publiques et privées n’ont plus d’autres alternatives que de se lancer dans la dématérialisation, malgré les risques non négligeables ? « Les entreprises n’ont plus de choix, tout le monde est obligé de basculer dans le numérique. Ceux qui sont réticents vis-à-vis du numérique vont payer plus cher que ceux qui se sont déjà engagés. On n’a plus d’autres alternatives que de véritablement se lancer et se lancer à fond (…) Aujourd’hui, celui qui réussit son intégration dans la GED y gagne à tous les niveaux », assure Groga Serges, consultant en systèmes d’archivage électronique. Même son de cloche chez le Groupement des opérateurs des TIC (Gotic). « L’objectif, c’est non seulement d’améliorer la productivité des services publics, réduire les risques de corruption ; c’est aussi d’améliorer le budget de l’Etat pour réduire la pression fiscale sur l’ensemble des ménages et des entreprises. Donc, la dématérialisation, c’est un enjeu de bonne gouvernance, de productivité administrative et de rentabilité sociale », précise Patrick M’Bengue, président du Gotic et PDG de Inova. Et de poursuivre en ces termes : « Quand la dématérialisation s’opère en plus avec les entreprises locales, cela participe aussi à développer un écosystème d’acteurs locaux. Pour nous, la dématérialisation c’est tout bénef, à la fois pour nos entreprises et pour nos citoyens. »
Il faut donc y aller. Dans le cadre du Plan national de développement (PND), l’Etat ivoirien envisage de dématérialiser 300 procédures administratives, en intégrant le savoir-faire local. Afin de gagner ces marchés, des consortiums d’entreprises locales se créent. Leur taille ne leur permettant pas d’y accéder individuellement, ou de faire face à la concurrence internationale. De quoi réjouir Patrick M’Bengue qui encourage les sociétés d’ingénierie informatique à mutualiser leurs compétences pour être au rendez-vous de ces appels d’offres. Dans cette dynamique, le cri de cœur des archivistes, en amont de tout processus de dématérialisation, sera-t-il entendu ?
Anselme Akéko
(Source : CIO Mag, 10 juillet 2017)