Feuilleton Sentel/Etat du Sénégal : Saison 5
dimanche 28 février 2010
Nous ne reviendrons pas sur les précédents épisodes du feuilleton Sentel/Etat du Sénégal dont un résumé est disponible dans l’édition d’octobre 2008 de Batik sous le titre « Feuilleton Sentel, suite ou fin ? ». Toujours est-il qu’à l’image des « telenovelas » et autres séries indiennes qui envahissent nos écrans, ce feuilleton a connu un énième rebondissement suite à la parution d’un article de Lawrence Delevingne, dans le journal « Business Insider » du 4 février 2010, intitulé « Le plaisir de faire des affaires en Afrique : Comment des hommes politiques sénégalais ont essayé d’ébranler Millicom pour 200 millions de dollars ». Selon l’auteur, à l’automne 2008, Karim Wade, fils du Président de la république, aurait exigé de Millicom le paiement de 200 millions de dollars pour conserver sa licence de téléphonie mobile. En réponse, Millicom aurait proposé de payer 21 millions de dollars pour obtenir le droit de déployer un réseau 3G. L’offre aurait été rejetée et en mai 2009, les représentants de Millicom auraient rencontré Thierno Ousmane Sy, Conseiller spécial du Président de la république pour les NTIC, qui aurait ramené la somme à 160 millions de dollars. Assimilant cette démarche à des pratiques corruptives, l’auteur de l’article affirme que la corruption qui règne au Sénégal constitue un risque pour les investisseurs privés mais également pour les contribuables américains dont les impôts financent à hauteur de 450 millions de dollars les projets envisagés dans le cadre du Millenium Challenge Account (MCA). Relayé par la presse sénégalaise, cet article qui s’appuie sur des pièces versées devant le tribunal arbitral du CIRDI par Millicom, a visiblement déstabilisé les autorités sénégalaises qui ont allumé toute une série de contre-feux. C’est ainsi qu’elles ont fait publier un démenti signé par le Premier ministre, rendu publique une lettre du PDG de Millicom adressée au Président de la république, menacé de porter plainte contre Lawrence Delevingne devant la justice américaine, accusé Millicom d’interférer dans la procédure en cours devant le tribunal arbitral, donné des interviews dans la presse et suscité des articles en leur faveur dans des journaux qu’elles contrôlent. Un des vice-présidents du Sénat, Daouda Faye, a même proposé la création d’une commission d’enquête parlementaire sur l’affaire Sentel mais dès que des voix se sont élevées pour demander qu’elle s’intéresse également aux conditions dans lesquelles Expresso avait obtenu sa licence, il se ravisa prétextant que l’affaire était pendante devant la justice. Quelle que soit la vérité des faits, cette affaire montre, s’il en était besoin, que le secteur des télécommunications est géré dans l’opacité la plus totale, les institutions de la république, qu’il s’agisse des ministères des télécommunications et des finances ou encore de l’Agence de régulation des télécommunications et de la poste (ARPT) étant totalement marginalisées. Pour preuve, c’est encore le Conseiller spécial du Président de la république pour les NTIC qui vient de signer le communiqué démentant la vente par l’Etat des 9,9% des actions qu’il détient dans le capital de la Sonatel alors que dans tout autre pays cette question aurait été traitée par le ministère chargé de la gestion des participations étatiques dans des entreprises. De telles pratiques répétées, dans un secteur aussi stratégique et brassant autant d’argent que celui des télécommunications n’est pas un bon signal adressé aux investisseurs nationaux et surtout étrangers. En effet, pour paraphraser le Président Barack Obama, nous dirons que l’économie a besoin non pas d’hommes forts qui s’ingèrent régulièrement dans le cours des affaires sans que l’on sache vraiment à quel titre mais d’institutions fortes capables, garantes d’un environnement caractérisé par la transparence, la stabilité, la prédictibilité et surtout la sécurité juridique et judiciaire. En attendant, le prochain épisode, Sentel, dont la licence a été officiellement résiliée depuis le 29 septembre 2000, devrait continuer à poursuivre provisoirement ses activités pour la dixième année consécutive...
Olivier Sagna
Secrétaire général d’OSIRIS