Faire des télécoms un outil de développement au service du plus grand nombre
mercredi 30 juin 2004
La « réunion de concertation sur la libéralisation des télécommunications » qui sera organisée au Sénégal les 2 et 3 juillet 2004 nous donne l’opportunité de redire ce que nous clamons sous différentes formes depuis longtemps. Le modèle de libéralisation du secteur des télécommunications imposé par les bailleurs de fonds n’est rien d’autre qu’un hold-up « légal » destiné à la fois à faire main basse sur les systèmes de télécommunication des pays les plus pauvres et imposer, sur le long terme, une entrave à leur développement en même temps que l’on exerce un contrôle sur les modalités de leur implication dans la mondialisation. Certains diront que c’est une véritable fixation maladive, mais nous persistons et signons : La question stratégique du développement des télécommunications dans les pays les plus pauvres ne peut être résolue par la simple application des recettes universelles labellisées IUT-FMI-Banque Mondiale imposant l’ouverture totale des marchés des pays sous-développés aux puissants opérateurs du Nord, avec comme par hasard, le retour dans la plupart des pays jadis colonisés d’opérateurs originaires des ex métropoles coloniales. L’Accord Général sur le Commerce et les Services (AGCS) et les règles générales de libéralisation fixées dans son accord cadre permettent en effet d’opérer sans grand frais ces manœuvres iniques qui, sous prétexte de lever « des obstacles non nécessaires au commerce », instaurent en fait des relations commerciales à sens unique dans lesquelles les pays développés dictent leur loi aux pays sous-développés. A l’heure ou nous nous apprêtons à solder l’erreur historique qui a consisté à passer d’un monopole public national à un monopole privé étranger, sans même que cette décision ait pu être justifiée par la nécessité de confier un canard boiteux à un partenaire stratégique seul capable de le sauver du désastre, les conditions d’arrêt du monopole de la Sonatel dans le courant du mois de juillet 2004 interpellent la vigilance de tous les citoyens qui regardent les choses du point de vue des intérêts à long terme de notre pays. En effet, la santé, l’éducation, la formation, l’avenir de notre démocratie à travers l’usage généralisé des TIC dans l’administration, la préservation et la valorisation de notre identité culturelle par la maîtrise des outils de développement, de stockage et de diffusion des contenus endogènes, constituent autant de problématiques vitales tributaires de la manière dont nous gérerons l’environnement de la communication et de l’échange d’information grâce notamment aux réseaux de télécommunication. Or, il faut bien voir que, sous la contrainte de forces extérieures, nous avons bradé en 1997 une société nationale de télécommunication figurant parmi les plus performantes d’Afrique et qui constituait de ce fait un formidable outil de développement économique et social pour en en faire un simple pion dans la stratégie mondiale d’un opérateur qui n’a pour seul objectif que la rentabilité de ses investissements. Certes le réseau de télécommunication de la Sonatel est numérisé à 100%, certes nous avons une dorsale en fibre optique qui irrigue la plupart des régions du pays, certes nous disposons d’un réseau national IP, certes nous somme un hub important pour les câbles sous-marins transatlantiques en fibre optique, certes nous avons une bande passante internationale de plus de 310 mbps. Cela étant, plutôt que de s’auto glorifier à tout bout de champ de ces résultats réels et de s’en tenir à faire des comparaisons avec la triste situation qui sévit dans nombre de pays africains, les seules questions qui méritent d’être posées sont de savoir pourquoi, malgré tous ces avantages comparatifs, plus de 90 % de la population sénégalaise n’a toujours pas accès au téléphone, pourquoi moins de 1000 de nos 13 000 villages sont reliés au réseau téléphonique, pourquoi le nombre d’internautes avoisine les 150 000 personnes pour une population de 10 millions de citoyens qui ont autant droit à l’eau, à l’électricité, à la liberté qu’à l’accès au téléphone et à Internet ? Pourquoi devrions nous être condamné à payer aussi cher l’usage vital du téléphone à des sociétés qui viennent se refaire une bonne santé financière sous nos tropiques ? Pourquoi jusqu’à ce jour, les centaines de milliers d’emplois qui auraient pu être générés depuis une décennie dans le secteur des technologies de l’information et de la communication se font toujours attendre ? Pourquoi et au nom de quelle logique les acteurs du secteur privé sénégalais opérant dans le secteur des TIC ont ils été aussi brutalement écartés des innombrables opportunités qui pouvaient s’offrir à eux comme fournisseurs d’accès et offreurs de services à valeur ajoutée ? A cet égard, il n’est pas inutile de méditer la réflexion faite aux USA au moment de l‘adoption du High Performance Act en 1991 et qui disait : « Là où autrefois notre puissance économique était déterminée par la profondeur de nos ports ou l‘état de nos routes, aujourd’hui elle est déterminée aussi par notre capacité à transmettre de grandes quantités d‘informations rapidement et sûrement et par notre capacité à utiliser ces informations et à les comprendre. De même, que le réseau d‘autoroute fédéral a marqué le visage historique pour notre commerce, les autoroutes de l‘information d’aujourd’hui - capables de transporter des idées, des données et des images à travers le pays et à travers le monde - sont essentielles à la compétitivité et à la puissance de l‘Amérique ». Le vrai défi que nous devons relever au moment de prendre ce nouveau virage est de faire en sorte que les télécommunications soient effectivement un outil de développement pour sortir nos concitoyens de la pauvreté et non une vache à lait pour quelques firmes étrangères. C’est ainsi et seulement ainsi que la fracture numérique qui vient s’adosser, pour les aggraver, sur les fractures sociales et économiques déjà existantes, pourra être efficacement combattue en tirant notamment parti des nombreuses solutions techniques aujourd’hui disponibles qui, judicieusement combinées, devraient permettre de faire des bonds importants vers l’inclusion de plus d’hommes et de femmes dans la société de l’information en émergence. Le Sénégal qui assure la coordination des questions relatives aux TIC dans le cadre du NEPAD et porte l’initiative du Président Wade ayant conduit à la création du « Fonds de solidarité numérique » peut et doit donner l’exemple en osant sortir des sentiers battus, pour s’affranchir de toute sorte de diktat et mettre réellement le secteur des télécommunications au service des hommes et des femmes de ce pays et non le contraire.
Amadou Top
Président d’OSIRIS