Développement de l’économie numérique : abandonner les incantations et passer à l’action
lundi 30 septembre 2013
Dans le courant du mois de septembre, la troisième édition du Forum national sur la gouvernance de l’Internet, organisé par le Chapitre sénégalais d’Internet Society (Isoc-Sénégal), a rassemblé la communauté du secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC), et au-delà tous ceux qui s’intéressent aux problématiques liées au développement de la société de l’information, pour discuter autour du thème « Le Sénégal dans l’économie numérique pour un développement durable : forces et faiblesses ». Autant le niveau de mobilisation des acteurs, la qualité des présentations et le niveau des débats a été riche, autant le bilan global que l’on peut tirer de cette journée est quelque peu décevant. En effet, dans son intervention introductive, Alex Corenthin, Président d’Isoc-Sénégal, a parfaitement campé le problème en soulignant que si le Sénégal peut s’enorgueillir d’exercer un certain leadership dans le domaine des ressources humaines, les entreprises sénégalaises évoluant dans le secteur de l’économie numérique ne sont toujours pas en mesure d’en tirer un avantage comparatif déterminant, à l’exception des opérateurs de télécommunications majoritairement détenus par des capitaux étrangers. Cette situation, il l’explique par l’inexistence d’une régulation digne de ce nom qui entraîne l’absence d’une véritable concurrence cause elle-même d’une faible compétition dans le secteur, du fait notamment du monopole qui continue d’exister en matière de fourniture d’accès à Internet. Pour être complet, il faudrait ajouter à ce tableau plutôt sombre, l’absence de vision et de volonté politique, dont la cause est sans doute à rechercher dans la sous-estimation, voire la mauvaise compréhension, des enjeux liés au développement de la société de l’information pour notre pays et au-delà pour notre continent, par nos dirigeants politiques et cela depuis près de deux décennies. Certes les discours et les proclamations foisonnent mais leur traduction en des stratégies, politiques et actions concrètes laisse particulièrement à désirer. Résultat de cette situation, le Sénégal qui, à la fin des années 90, était présenté par nombre d’analystes comme un des pays les mieux placés pour jouer les premiers rôles dans le développement de la société de l’information sur le continent, n’est plus guère cité lorsque l’on parle de développement de l’économie numérique en Afrique. Malgré les nombreuses réflexions menées, les diagnostics élaborés, les contributions rédigées, etc., le Sénégal ne dispose toujours pas d’une stratégie nationale pour le développement de la société de l’information, d’une manière générale, ni d’une stratégie nationale de développement de l’économie numérique, en particulier. Aujourd’hui, contrairement à ce qui se passe dans de nombreux pays africains (Ghana, Kenya, Maurice, Nigéria, Rwanda, etc.), il n’existe aucun projet structurant dans le domaine des TIC qui soit capable de créer les conditions d’un bond qualitatif et quantitatif pour le secteur des TIC. Lors de ce forum, des recommandations, pour la plupart déjà exprimées en d’autres occasions mais malheureusement jamais prises en compte, ont été formulées parmi lesquelles la création d’un fonds d’appui pour le développement de l’économie numérique, la réorientation de l’utilisation des sommes collectées dans le cadre du service universel, la mise en œuvre d’une dynamique de mutualisation des ressources numériques, notamment dans le domaine des infrastructures, la nécessité de changer de paradigme pour le secteur privé des TIC en passant d’une logique axée sur l’offre de services à une logique de réponse à des besoins exprimés, la promotion de la culture des logiciels libres, particulièrement au sein de l’appareil d’état et de ses démembrements, tant pour réaliser des économies sur le coûts des licences, développer les ressources humaines que pour des raisons de souveraineté, le défi de la production d’applications, de services et de contenus numériques locaux en phase avec les besoins et les valeurs des sociétés africaines et enfin la prise en compte effective de la dimension résolument multi-acteurs des questions liées aux TIC impliquant, au-delà du cercles restreint des techniciens, la participation de tous les citoyens, pour l’avènement d’une société de l’information la plus inclusive qui soit. Si nous voulons que le Sénégal fasse demain bonne figure au rendez-vous de la société de l’information, il est grand d’abandonner les incantations pour se consacrer en fin à l’action.
Amadou Top
Secrétaire général