Construire les bases d’une industrie africaine des contenus numériques
dimanche 31 août 2008
L’organisation par Kheweul.com des 48 heures de la musique sénégalaise sur Internet est une initiative qui mérite d’être saluée. Cette opération, qui a vu 63 équipes composées de d’informaticiens, de développeurs et d’infographistes créer gratuitement des sites web utilisant les technologies de dernière génération, a permis à 200 musiciens venus de toutes les régions du Sénégal, appartenant à différentes générations et représentant divers styles musicaux, de disposer de leur site web. L’engouement suscité tant chez les artistes, comme la montré la présence à la cérémonie de remise des trophées des Samba Diabaré Samb, Yandé Codou Sène, Doudou Ndiaye Coumba Rose, Fallou Dieng, Fanta Mbacké Kouyaté, Pape et Cheikh, etc., que chez les spécialistes du Web qui ont travaillé avec enthousiasme pendant 48 heures d’affilée, ont été des preuves éclatantes de la réussite de cette manifestation. Au-delà de la sensibilisation des musiciens aux opportunités offertes par Internet pour faire connaître leur existence et surtout leurs productions à travers le monde, cette initiative a permis de révéler le potentiel de compétences et de créativité existant chez les jeunes développeurs de sites web au Sénégal. A une autre échelle, si l’on souhaite véritablement que la Stratégie de croissance accélérée (SCA) ne soit pas qu’un document de plus dont les recommandations dormiront dans les tiroirs des décideurs, il faut désormais multiplier ce genre d’opération, non seulement en direction des autres composantes du monde des arts et de la culture (écrivains, poètes, cinéastes, peintres, sculpteurs, stylistes, etc.) mais également au profit de tous les secteurs d’activités économiques et sociales (agriculture, tourisme, éducation, santé, artisanat, etc.). En procédant de la sorte, il s’agit de viser deux objectifs stratégiques complémentaires à savoir d’une part la modernisation, la promotion et la valorisation de ces différents secteurs d’activités en vue notamment d’améliorer leur efficacité et leur compétitivité et d’autre part la construction des bases d’une industrie sénégalaise des contenus numériques qui sera à la fois créatrice d’emploi et de richesses matérielles et immatérielles à travers l’affirmation de la présence culturelle du Sénégal et de l’Afrique dans le cyberespace. Internet fonctionnant clairement sur le modèle de l’auberge espagnole dans laquelle on ne mange que ce que l’on apporte, il est grand temps que les Africains cessent de se lamenter sur le faible pourcentage de contenus véhiculant sur Internet la vision, la culture, les langues et les valeurs du continent pour s’atteler résolument à la production de contenus numériques en tous genres. Qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore, nous vivons hélas à l’heure de la marchandisation de la culture et il n’y a aucune raison que l’Afrique qui possède d’immenses ressources culturelles ne se positionne pas fortement sur ce marché qui n’a rien de secondaire. Depuis près de deux décennies, les industries culturelles sont en effet devenues un des moteurs du capitalisme dans un certain nombre de pays occidentaux où elles sont fortement créatrices d’emplois et de richesses. Enfin, à l’heure où la mondialisation étend son influence à pas de géant avec pour corollaire une forte tendance à l’uniformisation des valeurs, des formes d’organisation, des processus et des produits, la valorisation du patrimoine culturel africain à travers sa numérisation et sa mise en ligne est sans doute un des meilleurs gages contre son altération, son aliénation voire sa disparition et donc un atout décisif pour l’illustration et la défense de la diversité culturelle qui est source d’enrichissement et d’épanouissement humain. Cependant pour atteindre cet objectif, il est nécessaire de dépasser le cadre national et placer cette problématique dans un cadre sous-régional voire continental pour des raisons d’échelle économique mais aussi afin de prendre en compte la diversité et l’unité culturelle de l’Afrique mises en évidence par Cheikh Anta Diop.
Amadou Top
Président d’OSIRIS