Arrivée de Free au Sénégal : d’importants bouleversements en perspective
lundi 30 septembre 2019
Après une campagne publicitaire reposant sur la technique du « teasing » déjà utilisée en novembre 2005 pour le passage de la marque Hello à Tigo, l’opérateur Tigo Sénégal, racheté en avril 2018 par le consortium Saga Africa Holdings Limited, s’est mué en Free Sénégal le 1er octobre 2019. L’adoption de cette marque s’explique par le fait Xavier Niel, propriétaire du groupe français Free, est l’actionnaire principal de ce consortium dans lequel il est associé avec Yérim Sow, propriétaire du groupe sénégalais Teylium et avec Hassanein Hiridjee, propriétaire du groupe malgache Axian. Cela étant, que l’on ne s’y trompe pas, l’arrivée de Free sur le marché sénégalais de la téléphonie mobile ne se limite pas à une opération de rebranding mais découle en réalité d’une volonté de s’imposer durablement sur celui-ci. Fidèle à la stratégie qui lui a si bien réussi en France, Free Sénégal a fait une entrée fracassante sur le marché des télécommunications en proposant la 4G à Dakar et dans la plupart des capitales régionales, en promettant des débits trois fois plus rapides que la moyenne actuelle et en offrant des forfaits voix et données, à première vue, particulièrement attractifs comprenant notamment une connexion gratuite à WhatsApp. La promotion de ces offres s’appuie sur un marketing particulièrement agressif avec des annonces sur une multitude de supports allant des réseaux sociaux aux médias classiques en passant par les caravanes promotionnelles, l’installation de kiosques, l’affichage publicitaires, etc. Il est vrai que Free fait face à l’impérieuse nécessité de rentabiliser au plus vite un important investissement qui, au-delà de l’acquisition de Tigo et de la licence 4G, a consisté à développer de nouvelles plateformes de services, densifier et étendre son réseau avec l’installation de quatre cents (400) nouvelles antennes-relais et déployer un réseau en fibre optique s’étendant sur quelques 1600 km. L’engouement, voire le choc, provoqué par l’entrée en scène de Free, comparable à une armée entrant brutalement et par surprise sur le champ de bataille, a suscité toutes sortes de réactions. Ainsi, certains ont-ils déjà prédit la disparition de l’opérateur Expresso qui occupait, au 31 juin 2019, la troisième place sur le marché de la téléphonie mobile avec 21,12% des parts de marché, derrière Tigo, second avec 25,55% et SONATEL loin devant les deux autres opérateurs avec 53,33% des parts de marché. D’aucuns, invoquant le principe de la neutralité d’Internet inscrit dans le Code des télécommunications, s’interrogent sur la légalité de l’offre permettant d’accéder gratuitement à WhatsApp et en appellent à la vigilance du régulateur afin d’éviter ce qu’ils appellent une segmentation d’Internet qui ouvrirait la porte aux paiements de certains services spécifiques. D’autres se posent la question de savoir si Free ne pratique pas le dumping, et donc la vente à perte pour attirer une nouvelle clientèle. Le régulateur interpellé par voie de presse a que l’essentiel était que les forfaits proposés soient d’une part conforme à la réglementation en vigueur et d’autre part auditables. D’autres encore se sont attelé à faire des tests de connexion à Internet afin de s’assurer que les débits descendants et ascendants promis sont bien au rendez-vous. Les premiers résultats laissent entrevoir, sans surprise, qu’il y a un grand écart entre les débits théoriques et les débits réels. Enfin, certains s’interrogent sur l’étendue de la couverture du réseau de Free comparé notamment à celui de la SONATEL qui a l’avantage de l’antériorité et est particulièrement développé en dehors de Dakar. Globalement, les observateurs s’entendent pour dire que la différence entre Free et les autres opérateurs, devra plus être mesurée en termes de qualité de service qu’en termes de niveau des prix. Du point de vue des consommateurs que nous sommes, il faut simplement espérer que la concurrence revigorée par l’arrivée de Free produira des effets bénéfiques et durables en matière de baisse des prix, de diversification et d’innovation dans l’offre de services et surtout d’amélioration de la qualité de service, qu’il s’agisse de la stabilité et de la couverture du réseau ou encore de la constance des débits offerts. La réaction des autres opérateurs que sont SONATEL et Expresso est donc particulièrement attendue. Quoi qu’il en soit, s’il est prématuré de se prononcer sur ce que pourraient être les gains et les pertes de parts de marché des uns et des autres, il est clair que le marché sénégalais de la téléphonie et de la fourniture de services Internet mobile s’apprête à subir de profonds bouleversements et à vivre une nouvelle ère.
Amadou Top
Président d’OSIRIS