Que sait-on des défis que la presse en ligne africaine relève quotidiennement ? Des supports emblématiques ont accepté d’éclairer « Le Point Afrique ».
Régulièrement, Le Point Afrique vous propose une revue de presse africaine. Distance oblige, c’est par le prisme de la presse en ligne que s’effectue cette moisson d’opinions et d’analyses de journalistes du continent autour d’un même fait d’actualité. Or, sur plus d’une cinquantaine de titres répertoriés, force est de constater que certains médias sont plus fréquemment cités que d’autres. Ils sont bien souvent béninois (Bénin Monde Infos, La Nouvelle Tribune), burkinabés (Aujourd’hui au Faso, Fasozine, L’Observateur Paalga, Le Pays) ou guinéens (Le Djely, ex-Guinée Conakry Infos). Au-delà de la pertinence de leurs analyses, cette surreprésentation tient surtout à la place et au traitement « maison » qu’ils accordent à l’actualité panafricaine et internationale, quand d’autres sites sont plus focalisés sur l’actualité nationale. L’heure est donc venue de mieux les connaître, de comprendre pourquoi ils ont choisi de s’insérer dans ce secteur de la presse en ligne qu’on a coutume de qualifier de « précaire », et dont les modèles économiques tendent à se réinventer. Il s’agit aussi de mieux cerner leur vision, les enjeux politiques qui les préoccupent, et enfin ce tropisme panafricain. Nous avons donc sondé quatre d’entre eux (Bénin Monde Infos, Le Djely, La Nouvelle Tribune et Le Pays), dont nous dressons, pour commencer, une présentation sommaire.
Bénin Monde Infos (Bénin), un œil sur le monde
Prolifique, ce site d’informations produit chaque jour près d’une quinzaine d’articles sur le Bénin et l’Afrique dans un style concis et efficace. Il a été créé en 2015 par un groupe de professionnels des médias soucieux de répondre aux exigences de la classe moyenne urbaine. « On observait un désir d’avoir l’information à portée de main, de pouvoir y accéder très rapidement, surtout dans les grandes villes. Avec le boom des téléphones portables et des réseaux sociaux qui arrivent à ravir la vedette aux médias traditionnels, la presse en ligne avait un rôle à jouer », explique Bernadin Mongadji, directeur de publication de Bénin Monde Infos. Il ajoute que le site d’infos « se veut aussi une rampe de lancement à un journal papier ». Indépendant et financé par la publicité, Bénin Monde Infos compte une dizaine d’employés, dont six journalistes : à la fois des « anciens », expérimentés, et « une nouvelle génération de professionnels des médias ». Le desk Afrique, encadré par Christophe Sessou, se compose de deux personnes, et propose chaque jour environ cinq papiers sur l’actualité africaine (autre que béninoise). Un décryptage de l’actualité très synthétique, qui n’exclut pas le point de vue de la rédaction.
Le Djely (Guinée), « dépositaire de l’information »
Créé par deux professionnels de la communication et un journaliste, ce site d’infos guinéen à l’allure sobre est sur la Toile depuis février 2015. Le choix de s’orienter vers la presse en ligne procède d’un double constat : le moindre coût de lancement d’un média sur le Web, et les précieux avantages logistiques du télétravail pour le responsable éditorial du projet, Boubacar Sanso Barry, qui est une personne à mobilité réduite.
Le terme « Djely », qui signifie « sang » dans le Mandé, désigne le griot. Pour autant, ce site d’infos n’est ni proche des puissants ni prompt à la louange. « La référence, c’est plutôt la parole de Djely, celle qu’on recueille quand on rencontre un sage, une autorité morale, et qui nous renvoie à nos valeurs intrinsèques », clarifie Boubacar Sanso Barry. « Notre défi est de nous extraire des antagonismes politiques, parfois ethniques en Guinée, de ne parler ni au nom de, ni contre, et enfin de ne jamais dépendre d’un lobby politique ou financier », ajoute-t-il. Fondé sur des ressources propres, Le Djely commence à engranger quelques revenus grâce à la publicité et à des contrats à plus longue durée avec certaines institutions. L’équipe, composée de cinq journalistes, propose chaque jour des reportages et des articles entre analyse et éditorial, très souvent inspirées par l’actualité panafricaine. « Nous assumons notre propre point de vue et l’objectif n’est pas de faire du politiquement correct. Nous sommes sans concessions sur les dérives démocratiques et la corruption des élites. Nos limites sont l’éthique, la déontologie, et la prise en compte de la nécessaire unité du pays quand on traite l’actualité en Guinée », précise Boubacar Sanso Barry.
La Nouvelle Tribune (Bénin), éternel « quotidien d’opposition »
Le quotidien béninois, créé en 2001, a lancé sa version internet en 2008. Le site d’info évolue à partir de 2014 vers une rédaction et un mode de fonctionnement propres, grâce à la publicité, et à la faveur d’une meilleure pénétration d’Internet dans les villes béninoises. « En neuf ans, notre lectorat a augmenté de 1 000 %, avec l’explosion des supports de téléphonie mobile », indique le responsable du site La Nouvelle Tribune Euloge Foly, soucieux de mentionner aussi que le Web est « le seul domaine où la presse africaine a réussi à fidéliser des lecteurs ». « La presse occidentale a mis du temps à s’adapter aux changements, ce qui nous a laissé le temps de nous établir et de gagner la confiance de nos lecteurs », note-t-il. Aujourd’hui, l’équipe du site se compose de près de 10 personnes, dont 4 journalistes. Comme Bénin Monde Infos, La Nouvelle Tribune mise sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Whatsapp) pour favoriser sa diffusion. Elle y vulgarise ses contenus et joue la carte de l’interaction avec les internautes. Taxée à chaque changement de gouvernement de « journal d’opposition », La Nouvelle Tribune a une ligne éditoriale « bien plus simple », rectifie, amusé, le responsable du Web : « On ne cherche pas à s’aligner systématiquement sur des positions politiques, on défend avant tout le bien-être du peuple. » Le journal publie des reportages, des analyses, mais aussi des tribunes.
Le Pays (Burkina Faso), sarcastique et impertinent
Le quotidien Le Pays, basé à Ouagadougou, a été créé le 3 octobre 1991. Il compte une vingtaine de journalistes mais aussi des correspondants et des collaborateurs ponctuels. Indépendant, il s’autofinance avec les recettes publicitaires. Le site d’infos a quant à lui été créé il y a une dizaine d’années, comme un prolongement sur le Web du journal « papier ». Son équipe a été renforcée récemment avec notamment un webmestre et un journaliste chargé d’actualiser les contenus. Les articles du Pays, qualifiés de « commentaires » par le directeur des rédactions Boundi Ouoba, proposent une analyse politique pointue de l’actualité africaine et internationale. À l’instar d’autres titres burkinabés, l’ironie y est très présente. Mais à la question de savoir si cette marque de fabrique d’une certaine presse nationale est culturelle, Boundi Ouoba répond par la négative. Il revendique toutefois le souhait d’« égratigner certains acteurs politiques, leur incurie ou leur turpitude ». « Ce trait virulent sarcastique est aussi une contribution au changement sur le continent africain », ajoute-t-il.
Fréquentation en hausse
Comment ces sites d’infos peuvent-ils se maintenir alors que la pénétration d’Internet reste très faible en Afrique de l’Ouest ? Elle s’établit à 1,8 % en Guinée, 5,6 % au Bénin et 10,2 % au Burkina Faso selon Internet Live Stats. L’accès à Internet est plus élevé au Sénégal (23,4 %) et en Côte d’Ivoire (22 %), deux pays qui ont accueilli les pionniers ouest-africains de la presse en ligne (Seneweb et Abidjan.net) dès la fin des années 90. Toutefois, il reste en deçà des chiffres recueillis au Nigeria ou au Kenya, où près de la moitié de la population a accès à Internet. Par ailleurs, les coûts d’accès à Internet sont plus élevés en Afrique de l’Ouest.
Malgré ces contraintes, les médias dont nous avons recueilli le témoignage assistent à un accroissement et à un élargissement de leur lectorat. « 60 % de nos lecteurs se connectent par leurs téléphones portables », souligne le Béninois Euloge Foly, rappelant l’essor de la téléphonie mobile sur le continent. La fréquentation de ces médias augmente également grâce aux vecteurs que sont la francophonie et les diasporas. « Aujourd’hui, on nous lit dans les quatre coins du monde avec une forte concentration en Afrique et en France », note Bénin Monde Infos.
Manque de reconnaissance et d’encadrement
Si les annonceurs ont saisi l’intérêt de soutenir la presse en ligne, il semble que les décideurs politiques aient encore du chemin à parcourir sur ce point. « Dès que nos chefs d’État donnent une interview, c’est sur un média européen ou américain. Il y a comme un complexe, alors qu’ils pourraient aider la presse nationale à évoluer », déplore Euloge Foly. « En Guinée, on ne reconnaît pas assez que la presse en ligne est devenue un maillon fort du secteur de la presse. Elle est plus accessible pour la jeunesse que la presse écrite, et elle constitue aujourd’hui la première source d’information, y compris dans les rédactions des médias traditionnels », abonde Boubacar Sanso Barry.
L’éclosion de titres de la presse en ligne s’accompagne toutefois de quelques « dérives », selon le journaliste guinéen : un certain « laxisme dans le recrutement » de journalistes, une propension à faire du journalisme « un fonds de commerce » et l’appui financier, souvent, d’acteurs politico-économiques. Des revers qui nuisent à l’image d’une presse indépendante et professionnelle, et observés bien au-delà de la Guinée. Les collusions entre certains organes de presse et des partis politiques, ainsi que les « copier-coller » d’articles dont certains sites d’infos ont fait leur spécialité, sont régulièrement dénoncés.
« Les professionnels des médias cherchent depuis la fin des années 2000 à évoluer vers une meilleure réglementation, et à s’impliquer dans la production de textes de loi. Le Sénégal dispose désormais d’une loi sur la presse en ligne, mais le cadre légal ne suit pas encore au niveau sous-régional », explique Ibrahima Lissa Faye, directeur de publication de Pressafrik et président de l’Association des professionnels et éditeurs de la presse en ligne (APPEL).
Liberté de presse
Au Bénin et au Burkina Faso, les médias sollicités saluent de façon générale la liberté de presse. « Depuis l’assassinat du journaliste Norbert Zongo en 1998, nous n’avons quasiment plus été inquiétés ; les journalistes ne craignent plus l’épée de Damoclès de la justice », témoigne le journaliste burkinabé Boundi Ouoba. « Mais cette liberté de presse, on ne nous l’a pas offerte sur un plateau d’argent. Elle a été acquise de haute lutte », rappelle-t-il. Au pays des hommes intègres, la dépénalisation partielle des délits de presse a été adoptée par le Conseil national de transition en septembre 2015. « On a connu quelques rares cas de plaintes pour diffamation, mais ce sont surtout des questions d’honneur, qui se règlent pour un franc CFA symbolique », précise le directeur des rédactions du Pays, qui se dit « très fier du paysage médiatique burkinabé ».
La loi consacrant la dépénalisation des délits de presse a été votée la même année au Bénin.
« En matière de liberté de presse, le climat est plutôt favorable dans l’ensemble, car les professionnels des médias sont vigilants. À chaque tentative d’intimidation de certains médias ou journalistes, on voit s’organiser des marches, des journées sans presse, qui permettent de faire reculer les gouvernements », observe Ibrahima Lissa Faye. Le journaliste émet toutefois des réserves concernant le code la presse adopté en juin 2017 au Sénégal, qu’il juge « liberticide ». « Certaines dispositions visent à protéger le secret défense, ou à empêcher les journalistes de travailler sur des affaires judiciaires en cours d’instruction », note-t-il.
Panafricanisme
Comment Bénin Monde Infos, Le Djeli, La Nouvelle Tribune et Le Pays justifient-ils leur ouverture à l’actualité panafricaine, dont ils proposent un traitement « maison », quand d’autres titres sont plus concentrés sur l’actualité nationale ?
Outre le souhait d’attirer des lecteurs à travers l’Afrique, cet ancrage panafricain procède selon Bernadin Mongadji d’un désir de confronter les réalités : « Nombre de pays africains ont vécu l’avènement de la démocratie et du multipartisme au début des années 90 et partagent les mêmes expériences politiques ou économiques », argue-t-il.
« La société guinéenne n’est pas sortie des réflexes liées au régime de Sékou Touré, et a tendance à être repliée sur elle-même. C’est donc surtout l’actualité guinéo-guinéenne qui prime. Nous avons voulu prouver très modestement aux Guinéens qu’il était important de s’intéresser à ce qui se passe ailleurs. C’est une façon de dire aussi que le succès et l’avenir sont dans l’intégration, l’interdépendance entre les divers pays africains », explique pour sa part le responsable éditorial du Djely.
Un panafricanisme tout aussi assumé au sein de la rédaction du Pays : « Nous avons une vision panafricaine des choses. Si une actualité tombe à Durban, ça nous intéresse. Il n’y a pas de frontière, pas de barrière. Cela implique simplement d’avoir une culture politique solide, et une culture générale très vaste », renchérit Boundi Ouoba.
La Nouvelle Tribune défend enfin une nécessité d’« africaniser » le traitement de l’information. « Il est parfois difficile de constater qu’on nous propose surtout des versions occidentales de l’actualité africaine. Nous avons choisi d’aller vers un traitement plus personnel de l’actualité africaine, incluant des points de vue. Il est important aussi que nous nous emparions de certaines actualités que les médias occidentaux ne reprennent pas forcément, et qui intéressent notre public », estime Euloge Foly.
L’actualité du moment
Quel est à leurs yeux l’enjeu politique majeur sur le continent africain, celui auquel ils confèrent une place particulière dans leurs colonnes ?
Pour Bénin Monde Infos, il s’agit de la démocratie. « Si nos pays sont bien gouvernés, nous n’assisterons plus à ces fléaux qu’on dénonce tous les jours, à commencer par l’émigration », avance Bernadin Mongadji. Même raisonnement pour Le Djely pour qui la question du respect de la limite des mandats présidentiels est cruciale. « Le débat commence à se poser en Guinée. C’est un sujet potentiellement porteur de conflits et d’instabilité. Si on enraye cette spirale, on peut se consacrer à d’autres défis économiques », déduit Boubacar Sanso Barry. « Pour nous, l’actualité du moment, c’est l’insécurité et notamment le terrorisme qui ne connaît pas de frontière », pointe le directeur des rédactions du Pays, Boundi Ouoba. La Nouvelle Tribune, enfin, insiste sur ces « enjeux éternels » que sont le développement et la réduction de la pauvreté.
Agnès Faivre
(Source : Le Point Afrique, 10 août 2017)