Afrique : Le piratage ou comment « le moins cher » finit par coûter cher
lundi 31 juillet 2017
Béatrice Damiba est Présidente de l’association Convergences, qui lutte contre le piratage en Afrique. À l’occasion de la 21e édition du Festival Écrans Noirs (du 15 au 23 juillet 2017), elle revient sur la nécessité d’enrayer le piratage en Afrique.
Dans des villes comme Abidjan, on évalue à 46% les foyers télévisés accédant à la télévision via un réseau de distribution informel. Même si elles représentent un coût d’opportunité intéressant au premier abord pour les téléspectateurs, ces méthodes de piratage entraînent sur le continent une perte de 120 milliards de francs CFA (208 millions USD) par an pour le secteur audiovisuel et entravent un développement pérenne de la production africaine.
L’enrichissement illicite ne profite qu’à certains : Plusieurs formes de piratage sévissent dans les pays africains. Très ancrées dans les habitudes des ménages, elles émergent sous différentes formes selon les mœurs des pays. Prenons l’exemple du système de « câblodistributeurs » qui s’est imposé au Sénégal, en Guinée Conakry, en Côte d’Ivoire ou au Cameroun.
Communément appelés « réseaux araignées » ou « câblos », ils s’enrichissent au détriment des réalisateurs et professionnels du cinéma locaux. Leur fonctionnement est simple et ingénieux : il s’agit d’un système de redistribution de chaînes via des réseaux de câbles reliés directement depuis la base du « câblodistributeur » jusqu’à la télévision du foyer. Nul besoin de parabole, ni de décodeur. Ce câblodistributeur récupère des décodeurs pirates, ou bien utilise des abonnements individuels pour en redistribuer les chaînes, via son réseau, à moindre prix. Pire encore, sur certains marchés, des opérateurs considérés comme tout à fait formels, parfois des chaînes locales, utilisent cette technique pour diffuser certains programmes, souvent des films récents ou du sport, sans payer de droits de diffusion.
Le piratage technologique n’est pas en reste, et encore plus destructeur de valeur puisqu’il est à la fois tentaculaire et invisible : décodeurs pirates, captation du signal grâce à une parabole, streaming illégal,... autant de méthodes qui demandent beaucoup plus de ressources pour être combattues. Les techniques de piratage sont nombreuses, les raisons parfois légitimes, l’opportunité financière difficilement contestable mais les dommages collatéraux sont dévastateurs pour l’ensemble d’un secteur et donc d’une économie.
Le « moins cher » a toujours un prix caché : Quel que soit leur nom d’usage selon les pays, ces « câblodistributeurs » s’accaparent de façon souterraine, le paiement de plus de trois millions de foyers. S’il faut retenir un chiffre, c’est celui ci : 120 milliards de franc CFA. L’équivalent de 208 millions USD qui ne sont pas réinvestis dans le secteur audiovisuel, ni dans la production ni dans la technologie. Ces milliards de franc CFA s’envolent chaque année et ne s’ancrent dans aucune dépense utile au secteur : pas d’emploi, pas de contribution à l’économie, pas de production, pas de professionnalisation.
Cette gratuité apparente est un fléau réel. L’association Convergences ne cesse de le répéter. À l’occasion du premier Marché du film d’Afrique centrale qui se tiendra pendant le festival Écrans Noirs à Yaoundé, il faut rappeler que le piratage de la télévision payante risque de déprimer la croissance du secteur en plus de décourager l’investissement et la pénétration du marché par des éditeurs internationaux. Certains d’entre eux, comme France TV, Turner, Canal+ International et ou encore beIN SPORTS, ont déjà exprimé leur mécontentement à travers des communiqués de presse à l’encontre d’opérateurs ou de câblo-araignées piratant leurs chaînes. Dans un contexte économique et sociétal où chaque investissement compte, car il contribue à structurer et valoriser l’écosystème, je suis persuadée qu’il est nécessaire de résister à la tentation ensemble.
Béatrice Damiba, Présidente de l’Association Convergence
(Source : Balancing Act, 25 juillet 2017)