ATDA 2017 : L’Europe et l’Afrique, main dans la main pour développer le numérique en Afrique
lundi 30 octobre 2017
Notre confrère Cio Mag organisait pour la sixième année consécutive les Assises de la transformation digitale en Afrique du 25 au 27 octobre 2017 à Paris. Pour la première fois, TIC Mag était “Partenaire Média” de l’événement.
Les participants, réunis au ministère de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique, se sont fixés comme objectif de rédiger un mémorandum sur les faiblesses du numérique africain ainsi que des propositions pour y remédier. Cette contribution sera remise aux chefs d’Etats présents au 5ème sommet UA-UE d’Abidjan les 29 et 30 novembre 2017.
De nombreuses délégations venues de toute l’Afrique : Algérie, Bénin, Cameroun, Congo, Côte d’Ivoire, Egypte, Mali, Maroc, Sénégal ou encore Tunisie ont pu intervenir au cours des différentes rencontres organisées durant ces trois jours. Beaucoup de débats, de témoignages et de questions avec à l’arrivée des clarifications très utiles concernant certains points. De quoi s’agit-il ?
Deux niveaux de responsabilités
Derrière une volonté partagée de faire avancer le numérique en Afrique, on distingue au moins deux approches : d’un côté, le secteur privé mettant en avant l’urgence qu’il y a d’agir à la mise en place d’un plan du numérique adapté aux entreprises, leur donnant les moyens de se développer et de faire face à la concurrence internationale. Un plan regroupant des recommandations qui ne sont pas vraiment nouvelles, mais somme toute légitimes en terme de stabilité, de cadre réglementaire, d’harmonisation fiscale et juridique ;
De l’autre côté, le secteur public en prise à de nombreuses difficultés, à l’écoute des demandes du privé. Mais se trouvant aussi confronté à d’autres priorités toutes aussi essentielles : des enjeux de santé publique, de sécurité, d’éducation, de lutte contre les pauvretés et devant arbitrer dans l’intérêt du plus grand nombre.
Parmi ces experts soucieux de faire comprendre la complexité des situations, M. Luc Missidimbazi, conseiller TIC auprès du Premier ministre du Congo, n’a pas manqué de rappeler avec conviction qu’”il n’était pas acceptable de gaspiller et d’endetter les Etats pour des infrastructures qui ne répondent pas suffisamment aux besoins d’une majorité de la population” tout en précisant, pour illustrer son propos, que “sans usage, le câble ne sert à rien” et que “chaque centime dépensé au maillage en fibre optique d’un territoire est un effort financier qui ne va pas à la résolution d’autres problèmes tout aussi importants.”
Pour les uns, l’absence de politiques fiscales incitatives affaiblit la capacité des Etats à mettre en place des politiques publiques efficaces. Pour les autres, abaisser la pression fiscale par une politique volontariste de diminution des charges pour les entreprises, afin de libérer les investissements et de favoriser les initiatives privées, est à chaque fois un pari risqué. Si cela peut amener des fonds mondiaux à investir dans le pays qui en consent l’effort, rien ne garantit que les retombées économiques de ces investissements compensent le manque à gagner, ni que l’activité et les services créés profitent bel et bien aux populations locales.
La formation des jeunes
Les besoins en formation sont revenus fréquemment durant ces trois jours de débats, l’absence d’informaticiens suffisant à expliquer le déficit chronique du continent en numérique. Plusieurs intervenants ont voulu en témoigner tout en présentant leurs propres initiatives pour y remédier :
Les grands groupes comme Orange ou Atos cherchent systématiquement, lorsqu’ils s’implantent à l’étranger, à embaucher sur place et à former les jeunes qu’ils recrutent à leurs métiers.
Pour les pouvoir publics, les problèmes de formation au numérique ne peuvent correctement s’appréhender sans prendre en compte le fait que l’Afrique reste plus touchée par l’analphabétisme que le reste du monde. Si la responsabilité des Etats est de former leurs jeunesses aux métiers du numérique, il ne faut pas oublier que ces formations commencent par l’acquisition des savoirs de base.
Avant de vouloir enseigner le code aux jeunes, on doit donc faire en sorte qu’ils aient un socle de connaissances suffisant. Rien ne justifie non plus qu’on apprenne le code à tous les enfants et il est faux de croire que ceux qui ne sauront pas coder seront les analphabètes de demain.
Quant aux bailleurs de fonds institutionnels (AFD, Banque mondiale, Union européenne, etc.) très actifs en Afrique, ils ont leur propre stratégie d’investissement qui n’a pas toujours comme effet de répondre aux souhaits exprimés par les Etats qui les sollicitent.
Start-up et rêve américain
Parmi ceux qui poussent les jeunes à créer leur start-up, combien ont réellement tenter l’expérience, en partant de rien, pour la voir prospérer et y travailler durablement ? 80% des start-ups déposent leur bilan dans les trois premières années. Parmi les 20% restants, beaucoup sont des entreprises unipersonnelles qui résistent un peu plus longtemps du fait de cette caractéristique.
Aujourd’hui, la réussite d’une start-up demande de solides compétences, des fonds, du temps et au moins une idée en adéquation avec des besoins non satisfaits. C’est une aventure humaine mais en aucun cas une énième ruée vers l’or où l’on va pouvoir s’enrichir rapidement. Il ne suffit pas d’avoir une pelle, une pioche et un seau. C’est une “entreprise” délicate, difficile et risquée qui lorsqu’elle n’est pas perçue comme telle et menée avec précaution et professionnalisme se termine trop souvent dans la précarité et l’endettement.
Ceux qui veulent se lancer doivent bien savoir que l’”American Dream” est terminé, que l’”Eldorado numérique”, les licornes, les “Business Angels”, les “success-stories” sont des mythes et que leurs chances de les cotoyer un jour sont aussi minces que celles qu’ils ont de gagner à la loterie.
Il ne s’agit pas pour autant de renoncer à créer des start-ups, mais d’accompagner les jeunes entreprises, de les aider de diverses manières, en labellisant les plus prometteuses, en les organisant pour qu’elles créent des synergies, en leur fournissant une assistance juridique gratuite, en leur proposant des tuteurs, en cautionnant tout ou partie de leurs emprunts ou encore en leur facilitant l’accès aux marchés intérieurs et internationaux. Si l’on veut une belle récolte, il faut savoir semer et suivre patiemment toutes les étapes de la floraison.
Le numérique peut aussi détruire des emplois
Une étude très commentée et quelque peu provocatrice, parue en 2013 (dite “Frey et Osborne”) estimait à 47% le nombre des emplois qui seront supprimés dans les 20 prochaines années. Quoi qu’il en soit, il convient de rester attentif à la façon dont le marché de l’emploi évolue.
Lorsqu’un géant américain comme Amazon se dit prêt à venir en Afrique, peut-être devrait-on, avant de s’enthousiasmer, estimer le nombre de petits commerces de proximité qui vont devoir fermer leur porte si l’on n’y prend pas garde.
Faciliter la venue des entreprises étrangères à forte valeur ajoutée sur son sol peut aller à l’encontre de l’objectif recherché. Il n’est pas question pour autant de se priver de l’expérience d’entreprises qui peuvent “booster” l’essor d’une économie sous prétexte qu’elles sont étrangères ou qu’elles véhiculent des craintes, mais seulement de s’assurer que les perspectives de croissance sont bien au rendez-vous. Qu’il y ait des gisements d’emplois et des débouchés pour les jeunes dans l’informatique ne fait aucun doute, mais qu’ils profitent aux populations locales et répondent à leurs aspirations est moins évident.
Un engagement souhaité au plus haut niveau de l’Etat
Les grands projets industriels et technologiques ont besoin d’être initiés et portés au plus haut niveau. Qui, mieux qu’un Etat, peut demander aux banques de faciliter l’accès au financement de ceux qui souhaitent entreprendre ? Qui, mieux qu’un Etat, peut décider d’investir massivement dans la formation de sa jeunesse, d’en faire une priorité nationale ? Comme pour Victor Hugo (1802 – 1885) : “L’éducation, c’est la famille qui la donne ; l’instruction, c’est l’Etat qui la doit.”
Qui, mieux qu’un Etat, peut offrir des contreparties aux entreprises qui jouent le jeu, qui respectent les obligations et les feuilles de route ? Qui, mieux qu’un Etat, peut mettre en place de grands projets autour des questions de santé, de gouvernance, de commerce, d’énergie, de climat, etc. ?
C’est ce que M. Kaïs SELLAMI, président de la Fédération nationale des technologies de l’information et de la communication en Tunisie, appelle “l’indispensable autorité transversale de l’Etat”. ET fait remarquer “la stagnation de certains grands projets lorsqu’elle fait défaut.”
Les gouvernements africains décidés à agir avec discernement et détermination
C’est une bonne nouvelle et c’est ce que nous retiendrons de ces assises 2017. Des efforts financiers importants ont déjà été consentis par les gouvernants pour développer leurs réseaux de télécommunications. Deux tiers des africains ont accès à la téléphonie et le taux de pénétration de l’Internet sur le continent est de 26%.
Si on ne peut pas s’empêcher d’avoir un pincement au cœur lorsqu’on voit un câble à fibres optiques longer un bidonville, on peut aussi se dire que jamais un continent n’avait réussi à combler son retard dans un domaine stratégique aussi rapidement.
Il ressort de ces débats, des contradictions, des divergences et des ambitions qui reflètent probablement l’avancée des réflexions au sein des instances dirigeantes. Tout n’est pas réglé. L’Afrique n’est pas uniforme et il existe des réalités très diverses selon les pays. Mais, beaucoup d’entre eux semblent d’accord sur certains faits :
- Que le numérique transcende l’ensemble des économies et qu’il ne se résume pas à développer des applicatifs.
- Qu’ils ont un rôle à jouer pour planifier et mettre en œuvre une stratégie numérique globale au service du progrès économique et social.
- Qu’ils doivent encourager l’entrepreunariat et accompagner les entrepreneurs.
- Qu’ils ont tout intérêt à s’appuyer sur le secteur privé, mais qu’il convient de l’encadrer par des partenariats Public Privé (PPP), surtout lorsque ce dernier vient de l’étranger.
- Qu’on ne doit plus considérer l’Afrique comme un grand marché où l’on vient uniquement pour se servir.
Avec la mise en place d’un “Conseil africain du numérique” favorisant la coopération des Etats et non leur mise en concurrence et la mise en place d’un grand fonds d’investissement à l’échelle du continent, l’Afrique semble vouloir regrouper ses forces et mettre en place un contexte lui permettant d’agir et de traiter d’égal à égal avec les autres continents. Il existe désormais cette nouvelle voie, dans laquelle l’Union africaine semble vouloir s’engager résolument et qui pourrait bien l’amener à l’ère d’un numérique profitable dans les toutes prochaines années.
Philippe Mingotaud
(Source : TIC Mag, 30 octobre 2017)