Le fondateur du groupe Teylium est l’un des symboles de la réussite en Afrique de l’Ouest. Des télécoms à l’immobilier, du Sénégal à la Côte d’Ivoire, il a bâti, en moins de quinze ans, un empire dont la véritable surface financière reste mystérieuse.
À la fois « fils de » et jeune multimillionnaire, Habib Yérim Sow est une icône dans son pays. L’un des symboles, parmi quelques autres, de la réussite économique et financière d’un entrepreneur sénégalais. En moins de quinze ans, le fils d’Aliou Sow, fondateur de la Compagnie sahélienne d’entreprise (CSE), un immense groupe de BTP, s’est mué en homme d’affaires touche-à-tout. Mais nulle question d’héritage là-dedans. Si le poids de sa famille l’a très certainement aidé à lancer sa première société, Access Telecom, détentrice d’une licence de radiomessagerie au Sénégal, c’est la cession pour 76 millions d’euros d’une seconde entreprise, l’opérateur mobile ivoirien Loteny Telecom, au géant sud-africain MTN qui le rendra riche. Entre les deux événements, une décennie à peine s’est écoulée. De quoi faire de l’homme d’affaires, à quarante ans à peine, si ce n’est un mythe, tout au moins le symbole d’un capitalisme africain moderne et décomplexé. « J’aime son style et il me fait une très bonne impression, juge un financier international qui l’a rencontré. Mais il faut bien avouer qu’il a une façon très particulière d’envisager les partenariats. En fait, il aime travailler seul. » Bien davantage qu’un entrepreneur, Yérim Sow est un homme d’affaires. Non un bâtisseur, mais un investisseur habile et intelligent. Méfiant et prudent comme il se doit. Holding du groupe basé à Maurice, direction installée à Genève, liens étroits et récurrents avec Dubaï. Pour le reste, l’homme ne brille pas par sa transparence vis-à-vis des médias. Malgré des sollicitations répétées, depuis plus d’un an, il a toujours refusé de répondre à nos questions, se contentant de nous envoyer une courte présentation écrite. Même silence du côté du conseil d’administration. Administrateur du groupe de Yérim Sow, Philippe Ledesma a ainsi refusé de répondre à notre demande d’entretien. Joint par téléphone, celui-ci, avocat chez Legis & Partner à Port-Louis et également conseiller du commerce extérieur de la France, considère sans doute que la transparence n’est pas une nécessité dans le monde économique africain... L’autre administrateur du groupe est l’homme d’affaires mauricien José Poncini. Maurice, avec sa fiscalité souple et sa modernité financière, accueille le holding Teylium, qui y a été enregistré en août 2001 et regroupe les participations de Yérim Sow. Il en est, officiellement, le seul et unique propriétaire. Mais l’île n’est qu’une adresse postale puisque, dans la pratique, c’est depuis une petite rue de Genève, près du lac, qu’est effectivement dirigé le groupe. La rue du Prince est idéalement située, à deux pas des principales banques de la planète. Une quiétude sans doute voulue et qui atteint son objectif : il est très difficile de mesurer le poids exact du groupe. Certains indices permettent toutefois de penser qu’il pèse lourd.
Selon un document fourni par Teylium, les fonds propres du groupe atteignaient à la fin 2006 les 195 millions de dollars. Quelque 135 millions avaient alors été immobilisés dans des investissements à travers le continent. Parmi ces derniers, certains valent déjà de l’or. L’acquisition de 5 % du capital d’African Financial Holding en 2006 permet à Teylium de détenir aujourd’hui une participation estimée à environ 5 millions d’euros. La part que Yérim Sow possède également dans le centre d’appels franco-sénégalais PCCI, qu’il a aidé à créer, n’est pas non plus négligeable. Surtout, les 15 % que le groupe détient toujours au capital de MTN Côte d’Ivoire vaudraient aujourd’hui la bagatelle de 50 millions de dollars au minimum. De quoi alimenter de nouveaux investissements, notamment dans l’immobilier, l’activité aujourd’hui prioritaire de Teylium.
Le groupe possède deux filiales dans le domaine : Teylium Properties Group, qui développe une dizaine de projets immobiliers, de bureaux et de résidences, et Chain Hotels & Resorts pour la construction d’hôtels. Le groupe cofinance l’édification de nombreux programmes à Dakar, dont le Sea Plaza, un projet de 50 millions d’euros visant à construire un hôtel 5 étoiles de 180 chambres qui sera géré par l’exploitant international Radisson, et un ensemble commercial tout autour, le Rivonia Tower, constitué d’immeubles et de bureaux, et Coralia, un programme de résidences de luxe. Il est impliqué également dans la réalisation du Waterfront de la capitale sénégalaise, un programme immobilier visant une clientèle très huppée. On lui prête aussi des ambitions en Guinée et en Afrique du Sud. Issu d’une famille de constructeurs, Yérim Sow aura donc fini par remettre un pied dans le béton. Mais il n’y consacre pas, loin de là, tous ses actifs. En Côte d’Ivoire, pays dans lequel Sow avait créé Loteny Telecom, l’homme d’affaires sénégalais a lancé de nombreuses entreprises, parmi lesquelles Continental Beverage Company et Bridge Bank Group, dont les activités ont débuté mi-2006. La première commercialise l’eau minérale Olgane, concurrençant le français Castel. Elle a investi 2 milliards de F CFA dans une unité de production située à Bonoua et inaugurée en avril 2007 par Simone Gbagbo, la première dame ivoirienne.
La seconde filiale du groupe dans le pays est une banque, plutôt tournée vers les entreprises. Une activité que Yérim Sow apprécie : actionnaire minoritaire de la Bank of Africa, il a été largement aidé dans ses affaires par l’ex-Banque sénégalo-tunisienne (BST), dirigée par le banquier Abdoul Mbaye, proche de Yérim Sow. En Côte d’Ivoire, Bridge Bank ne pourrait être qu’un établissement financier de plus dans un pays qui en compte déjà beaucoup. Mais, en mars 2007, le siège de la banque, des plus modernes, a été inauguré en grande pompe par le Premier ministre ivoirien de l’époque, Charles Konan Banny. Rappelant à tous que Teylium a de solides amitiés. Il en a, apparemment, d’autres auprès de plusieurs bailleurs de fonds, qu’il a réussi à convaincre de l’appuyer dans certains de ses projets. Un prêt de 10 millions d’euros lui a été accordé par la SFI, filiale de la Banque mondiale, pour la construction de l’hôtel Radisson. Et 7 millions supplémentaires ont été demandés pour la réalisation de l’ensemble commercial attenant. La Banque d’investissement et de développement de la CEDEAO (BIDC) a annoncé vouloir investir également dans le projet, à hauteur de 4,6 millions d’euros.
À la fin de 2007, la SFI a également accordé un prêt de 5,55 millions de dollars à Teylium Telecom, dans le cadre de ses investissements au Cap-Vert. La filiale du groupe prévoit en effet d’investir un total de 15 millions dans T Plus, l’opérateur mobile qu’elle a acquis à 70 % en 2006. Car Yérim Sow, en homme d’affaires aux multiples casquettes, n’est pas totalement sorti des télécoms. Loin de là. Outre le reliquat de sa participation dans MTN Côte d’Ivoire, son acquisition de T Plus au Cap-Vert, Teylium a pris mi-2006 le contrôle majoritaire de la société Intercel Guinée. Sa filiale spécialisée dans les télécoms, Teylium Telecom, dirigée d’Abidjan par Malick Guèye, s’est également portée candidate à une licence en Guinée-Bissau, finalement remportée par la Sonatel, filiale sénégalaise du français Orange, et à une autre au Ghana, décrochée, celle-ci, par le nigérian Glo. Son idée ? Bâtir un petit groupe de téléphonie présent dans quelques pays à fort potentiel. De quoi ajouter à sa puissance économique, déjà grande, et qui pourrait encore s’accroître demain : présent dans les télécoms, l’industrie, la finance et l’immobilier, Teylium entend également s’investir dans les mines et les hydrocarbures. Un vrai conglomérat digne d’un investisseur au nez creux.
Frédéric Maury
(Source : Jeune Afrique, 5 décembre 2008)