Un déficit... d’image : La belle réussite de la Sonatel fait grincer quelques dents
mardi 18 décembre 2001
L’histoire de la Société nationale des télécommunications du Sénégal (Sonatel) se raconte ici avec un brin de fierté. La Sonatel, c’est une entreprise d’État performante depuis sa création, en juillet 1985 - le fait est suffisamment rare pour être souligné -, une remarquable privatisation entamée en décembre 1997 et achevée en juillet 1999 avec France Télécom pour partenaire stratégique (42,3 % du capital), un outil de travail moderne, des bénéfices importants et en nette progression depuis trois ans : 38,1 milliards de F CFA en 1998 (58,1 millions d’euros), 40,7 milliards en 1999 et 42,5 milliards en 2000.
.. Cette année-là, près de 29 milliards de F CFA ont été distribués aux quelque dix mille actionnaires sous forme de dividendes, à raison de 2 610 F CFA par action en leur possession.
Et le conte de fées continue. Le 3 octobre dernier, la Sonatel présentait à son club d’actionnaires son bilan pour le premier semestre 2001 : 68,4 milliards de F CFA de chiffre d’affaires, un taux de croissance de 6,2 %, et ce, malgré une baisse de 35 % sur le tarif du téléphone international, et de 20 % à 35 % sur les tarifs d’accès à Internet.
Paradoxalement, jamais depuis sa création l’entreprise n’a été autant critiquée ! Que lui reproche-t-on au juste ? De faire trop de bénéfices sur le dos des Sénégalais, dont le pouvoir d’achat s’amenuise d’année en année. Et les critiques n’émanent pas de n’importe qui. La dernière en date est venue - indirectement - du président Abdoulaye Wade lui-même. Dans son édition du 4 novembre, Sud Quotidien rapporte que deux jours plus tôt, lors d’un séminaire international organisé à Dakar, Chérif Salif Sy, conseiller spécial du chef de l’État chargé des questions économiques et financières, a jeté un pavé dans la mare. « Le président de la République, a-t-il dit, trouve inadmissible et indécent » que, dans un pays comme le Sénégal, une société fasse chaque année des milliards de bénéfices. Avant d’ajouter : « On ne peut pas être juge et partie. Or, à l’heure actuelle, la régulation du secteur est toujours effectuée par la Sonatel. C’est une contradiction. » Même si la présidence dément l’information relatée par Sud Quotidien, le problème se pose : les consommateurs s’en prennent de plus en plus fréquemment à la Sonatel dans les colonnes des journaux. Ils l’accusent, entre autres, de profiter de sa situation de monopole sur la téléphonie fixe (assurée jusqu’en 2004) pour pratiquer des tarifs excessifs, en échange de services qui ne sont pas exempts de critiques.
On n’en sait pas plus des intentions du pouvoir, qui promet, depuis le mois de mars 2000, de restructurer le secteur des télécommunications. La création d’une agence de régulation est périodiquement annoncée. Une structure d’autant plus attendue que la Sonatel semble dépourvue de réelle tutelle. La disparition du ministère de la Communication et des Technologies de l’information, en mai 2001, n’a pas aidé à clarifier les choses.
De plus, il faudra bien un jour régler l’épineux problème des télécentres publics, ces batteries de cabines téléphoniques installées chez des commerçants ou des particuliers, qui en assurent l’exploitation. Lancés en 1993, ces télécentres ont connu une croissance exponentielle. On en recensait 5 700 en 1998, contre 13 000 en septembre dernier. Considéré, dans un premier temps, comme une importante source de revenus, le secteur est actuellement en phase de saturation. Résultat des courses : la plupart des exploitants ont mis la clef sous la porte. Aujourd’hui, en moyenne près de 130 télécentres sont contraints de fermer tous les mois, mettant en péril la situation des quelque 26 000 personnes qui en vivent. Au même moment, d’autres, notamment dans les zones rurales, profitent d’une situation de « monopole » ou de leur emplacement géographique pour augmenter les tarifs. Bref, le secteur a bien besoin de discipline. En attendant, la success story de la Sonatel devrait se poursuivre à un rythme soutenu jusqu’en 2004. À moins que, d’ici là, le gouvernement ne vienne changer la donne.
Tidiane Dioh
(Source : Jeune Afrique, 18 décembre 2001)