Twitter : pourquoi les dirigeants africains francophones sont-ils si nuls ?
mercredi 28 août 2013
Elles s’y sont (presque) toutes mises. Mais les personnalités politiques africaines ne sont pas toutes égales face à Twitter. Héritage culturel, facilité linguistique, frilosité… Sur le réseau social américain, les francophones perdent pied face aux anglophones. Explications.
(Mis à jour à 13h22)
Dans le classement des personnalités politiques les plus suivies sur Twitter, les francophones sont aux abonnés absents. Le Sud-Africain Jacob Zuma, Le Kényan Uhuru Kenyatta, le Rwandais Paul Kagamé et le Tanzanien Jakaya Kikwete font partie du Top 5, accompagné du Tunisien Moncef Marzouki, certes francophone mais dont le compte Twitter fonctionne en arabe.
Dans la sphère francophone, les réseaux sociaux ne sont donc pas rois, en particulier chez les politiques africains. Certains d’entre eux y sont même allergiques. Simple aversion personnelle ? Les explications sont sans doute plus nombreuses, tant la fracture semble importante avec les anglophones. Héritage culturel issu de la colonisation, pratiques de communication politique moins connectées, retard technologique, langue moins adaptée à internet… Jeune Afrique fait l’inventaire des raisons du retard de la francophonie sur Twitter.
Une question de technologie ?
C’est une des raisons qui revient le plus souvent pour expliquer le retard pris par les africains francophones sur internet : l’accès aux nouvelles technologies de l’information et de la communication serait moins bien assuré dans les pays francophones. À en croire les taux de pénétration de la Toile sur le continent, la fracture est en effet flagrante entre les pays, pourtant voisins, que sont la Côte d’Ivoire (4,4%) et le Ghana (14,1%) ou entre la RDC (1,2 %) et l’Ouganda (13%).
« Les pays anglophones sont plus réceptifs aux évolutions technologiques », explique ainsi Diarra Diakité, conseiller technique auprès de la présidence du Mali et initiateur du compte @presidencemali. « Mais il y a également une question de prédisposition culturelle », ajoute-t-il, évoquant la colonisation. « Avec les nouveaux terminaux, les nouveaux moyens de connexion, le mobile, les tablettes, il y a des choses qui existent et qui fonctionnent et il ne devrait pas y avoir un si grand écart entre francophones et anglophones. »
Si la pénétration d’internet est plus de deux fois supérieure au Sénégal (17,5%) qu’au Rwanda (7%), Macky Sall reste très loin de son homologue, Paul Kagamé, en termes de nombre de followers et d’influence sur le réseau. Et, alors que la totalité des 29 membres du gouvernement rwandais disposent d’un, voire de deux comptes Twitter, en Côte d’Ivoire, ils ne sont que 16 sur 30 à les imiter. Le Rwanda n’est certes pas uniquement un pays anglophone, mais les twittos rwandais s’expriment surtout en anglais.
Un héritage culturel
On entend parfois dire que les pays francophones ont conservé le pire de leur ancien colonisateur, l’esprit fonctionnaire, tandis que les anglophones ont gardé le meilleur, l’esprit d’entreprise. Si l’expression est exagérée, elle ne manque cependant pas de sens. L’Afrique anglophone truste les meilleurs taux de pénétration du web dans la population, d’autant qu’elle bénéficie par ricochet de la maîtrise des nouvelles technologies par les États-Unis et de la Grande-Bretagne.
« Les anciens pays de colonisation d’expression française traînent encore un certain nombre de boulets », déplore Diarra Diakité. « On est frileux, on met plus de temps et quand on réalise les avantages, on a déjà pris du retard », conclut-il. Globalement, les personnalités politiques francophones semblent peu enclines à pénétrer dans une nouvelle arène politique, qui peut leur sembler menaçante. « Twitter peut être un instrument à double tranchant », explique ainsi Olivier Nduhungirehe, représentant permanent du Rwanda aux Nations unies et très actif sur Twitter, « car les opposants ou ennemis politiques peuvent abuser de cet outil pour les pousser à la faute. »
Au Mali, la récente campagne pour l’élection présidentielle s’est tout de même jouée un peu sur Twitter. Des candidats comme Modibo Sidibé, Soumaïla Cissé ou le gagnant Ibrahim Boubacar Keïta, ont ainsi animé leur compte, par communicants interposés, tout au long de la bataille. Sur son compte, IBK a même annoncé que son rival était venu lui rendre visite, à son domicile, pour le féliciter, ce qu’a confirmé Soumaïla Cissé, trois quarts d’heure plus tard toujours sur le site de micro-blogging.
« Presque tous les jeunes candidats à la présidentielle du 28 juillet dernier ont des comptes Twitter », constate Diarra Diakité. « Mais si vous ramenez cette pratique à la taille de la classe politique, l’usage n’est encore que très marginal. » Et d’ajouter : « La plupart du temps, ils s’en foutent complétement. Et ce n’est pas forcément un problème de générations : j’ai essayé de réunir les jeunes communicants dans les ministères, quand le MNLA faisait campagne en Europe, pour les contrer, mais personne n’a bougé le petit doigt. » « Certains hommes et femmes politiques sont tout simplement allergiques à l’idée même de passer des petits messages lus par n’importe qui ou de répondre à n’importe quel twittos », ajoute de son côté Olivier Nduhungirehe.
Chez les francophones, certains chefs d’État ne connaissent même pas l’existence de leur propre compte Twitter, rassemblant pourtant des milliers de followers. D’autres ont une relation lointaine, laissant soin à des communicants privés, souvent basés en France, de s’occuper de la communication. Le compte de la ministre des Postes et des Télécommunications togolaise, Cina Lawson, est ainsi officiellement géré par une agence étrangère.
Des intermittents du tweet
« Certains dirigeants du continent utilisent de plus en plus le réseau social uniquement à des fins électorales et leurs comptes s’arrêtent une fois élus », se désolait récemment Matthias Lüfkens, directeur de l’expertise digitale de Burson-Marsteller, dans Jeune Afrique. Exemple fragrant : le président camerounais Paul Biya, dont le compte est inactif depuis la fin de la présidentielle de 2011. Ou encore le Congolais Joseph Kabila, brillant auteur d’un unique tweet, le 7 octobre 2010.
On notera également le cas révélateur d’Ousmane Tanor Dieng, ancien candidat à la présidentielle sénégalaise, qui n’a plus tweeté depuis l’élection ou encore de Bernard Muna, lui aussi candidat au fauteuil présidentiel, au Cameroun, et absent du réseau social depuis septembre 2011.
« Une haute personnalité politique africaine a intérêt à posséder un compte Twitter », explique Catherine Dernis, directrice conseil de l’agence de communication Hopscotch Système Africa, qui travaille avec les politiques en Afrique. « À condition d’avoir une vraie stratégie d’animation et de produire un contenu à la fois régulier et informatif : laisser un compte vide ou inanimé peut jouer à contremploi de la communication. »
Dans la sphère francophone, Guillaume Soro, le président de l’Assemblée nationale ivoirienne, pourrait faire figure d’exemple. Tweetant plusieurs fois par jour, répondant à ses interlocuteurs, il a autour de lui une équipe acquise aux nouvelles technologies et rassemble quelque 20 000 abonnés. Soit le double du président Ouattara, clairement moins actif.
Un gage d’avenir ? Pour Olivier Nduhungirehe , cela ne fait aucun doute : « Twitter est devenu un instrument indispensable dans la communication », assure-t-il. « Il est désormais la première source d’information pour les jeunes. » Un bon moyen pour les ramener à la politique dont ils sont les premiers à se détourner.
Mathieu Olivier
(Source : Jeune Afrique, 28 août 2013)
La langue de Molière et Twitter
Il n’y a pas qu’en Afrique que les francophones ont du mal avec Twitter. Les Français s’y sont très largement mis, mais le nombre de caractères limité que contient un tweet ne joue pas en faveur du français. L’anglais présente au contraire l’avantage de pouvoir être abrégé à souhait, tel que « 4 » pour « for », ou « u » pour « you », par exemple, tout comme l’arabe. Le français est en revanche plus gourmand et on peut estimer que, pour un tweet, la langue de Molière nécessite environ vingt à trente signes de plus que l’anglais.