Tigo secoué par un scandale d’écoutes téléphoniques : les mails des cadres piratés, de l’art de s’espionner entre collègues
mardi 29 novembre 2011
Au moment où les acteurs du secteur des télécommunications piaffent d’impatience pour connaître l’épilogue du procès qui opposera, ce 30 novembre à Paris, l’Etat du Sénégal et Tigo, un gros scandale pollue l’atmosphère au sein de la filiale de Millicom International Cellular. Il s’agit d’opération d’écoute téléphone, de pratiques peu orthodoxe sous-tendues par l’espionnage mutuel et la délétion sur instruction du top management. Un environnement peu enviable qui montre la porte de sortie aux cadres récalcitrants et traque les syndicalistes. Et, bonjour le déballage !
Derrière les apparences trompeuses des imposants bâtiments de Tigo, filiale de Millicom International Cellular (MIC) se cache un véritable calvaire du personnel, notamment les techniciens. Des pratiques d’une autre ère sont érigées en règle de gestion au sein de la société de téléphonie mobile, depuis que le président de la République, Me Abdoulaye Wade, a décidé de voir le contrat d’attribution de la licence de Sentel, devenue aujourd’hui Tigo.
Les mails des cadres piratés
De la culture de la délation à l’espionnage qui a réveillé chez les victimes des instincts de survie, tous les moyens sont bons pour apeurer le personnel avec le licenciement comme épée de Damoclès suspendue sur leur tête. Depuis quelques temps, les ingénieurs situés à des positions stratégiques de l’organigramme de Tigo sont épiés sans qu’ils n’a sachent rien du tout. Et les techniques les plus sophistiqués que la police utilise parfois dans le cadre de ses enquêtes sont utilisées. « Des écoutes téléphoniques ont été ainsi organisées en interne par le top management qui a décidé des changements bouleversant pratiquement la vie des travailleurs », révèlent des agents de Tigo sous le couvert de l’anonymat pour des raisons évidentes. Pis, renseignent ces syndicalistes, poussant la pratique policière jusqu’à son summum, « l’espionnage est en vigueur » dans l’entreprise. Des cadres ont eu la désagréable surprise de recevoir des sanctions et autres demandes d’explications, sur la base du contenu des messages qu’ils ont envoyé via leurs mails ».
Un commissaire divisionnaire sollicité
Ce qui prouve à suffisance que leurs adresses mail ont été piratées et traquées comme dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Dans cette même veine, les ingénieurs qui ne peuvent pas refuser de se faire surveiller nuit et jour, sous peine d’être virés, ont été équipés de téléphones Black-Berry repérable et se déplacent dans les voitures de service désormais équipées de système GPRS, suivi et repérable sur n’importe quel point du territoire national. Le plus cocasse dans cette affaire, qui risque de faire imploser sur le plan social la société Tigo, c’est la sollicitation des services d’un commissaire divisionnaire dont nous terrons le nom pour le moment. Ce dernier a été pris par la Direction pendant une durée déterminée, pour apprendre aux responsables de la Direction contrôle de la boîte les méthodes d’investigations modernes, avant de décrocher, il y a quelques mois seulement. Toutes choses ayant abouti à des auditions de membres du personnel dans les locaux même de la direction du contrôle.
De l’art de « s’espionner » entre collègues
Les arroseurs arrosés. L’on peut résumer ainsi la conséquence fâcheuse née de ces pratiques peu orthodoxes en vigueur au sein de la société de téléphonie mobile Tigo. Il faut dire que lorsque l’espionnage des cadres - principalement les ingénieurs a commencé à produire les résultats escomptés en faisant tomber des têtes, avec à la clé des licenciements et des demandes d’explication - la réaction des rescapés ne s’est pas fait attendre. Utilisant leurs compétences et l’expertise qu’ils ont pu acquérir depuis leur formation initiale, certains ingénieurs ont pris la précaution de se prémunir en plaçant, à leur tour, de hauts responsables de la direction sous écoute et en pistant leurs messages mail. Et ce qu’ils ont découvert - une nébuleuse sur des marchés de gré à gré et sur la violation de la législation - leur sert aujourd’hui de bouclier. Une situation compromettante qui fait qu’en ce moment le climat est très tendue dans ladite entreprise où « tout le monde se méfie de tout le monde ».
Culture de la délation
Pour entrainer les autres membres du personnel, situés à d’autres niveaux de responsabilité, dans la dynamique de dénonciation des « infidèles » de la direction, un séminaire a été organisé en interne pour leur apprendre comment se dénoncer « mutuellement ». Et sur le document de travail de la rencontre distribué aux participant, dont nous avons copie, il est mentionné : « politique de dénonciation ». Mieux, note le document, « le but de cette politique est d’encourager des salariés à remonter leurs préoccupations sans risque de victimisation, de discrimination ou autre inconvénient ultérieur (...) Cette politique est applicable pour l’ensemble des employés ». A partir de ce moment, l’ensemble des ingénieurs, des chefs de services et autres agents sont dans l’œil du cyclone.
Licenciements et mise au placard érigés en règle
Le climat délétère qui prévaut à la société de téléphonie mobil, Tigo a, du fait des écoutes téléphoniques, de l’ouverture des mails personnels et autres dénonciations, abouti à une cascade de licenciement. Aujourd’hui, rapportent des victimes de ces pratiques mesquines, « pas moins de 10 agents ont été licenciés de Tigo entre 2010 et 2011 ». Certains membres du personnel expliquent le départ de l’actuel Directeur général (DG) de l’Autorité de régulation des marchés publics (ARMP), Saër Niang de la direction du contrôle de Tigo, du sieur Pathé Diagne qui a rejoint Ericsson et de Pape Momar Diop, aujourd’hui à Expresso par le refus de voir leur dignité bafouée. Et, le plus souvent, la motivation des lettres de licenciement, est tout trouvée à travers la formule suivante (« pour perte de confiance ») retenue après une « analyse » des mails « privés ». Si beaucoup de cadres et ingénieurs ont été poussés à la sortie, d’autres se sont retrouvés au frigo.
Cascade de plaintes
Il convient également de signaler à ce niveau que les victimes de licenciement dans cette affaire ne sont pas restées les bras croisés. S’il y a une cascade de copie de lettre remerciement au niveau de la Direction des ressources humaines (DRH), il existe autant de plainte sur la table du président du tribunal. Là aussi, la justification de la saisine de la justice est facilement trouvée par les plaignants qui évoque : « le licenciement abusif ». C’est dire donc qu’il y aura - au-delà du procès tant attendu entre l’Etat du Sénégal et Tigo au Centre international de règlements des différends liés à l’investissement (CIRDI) de Paris, lors duquel le Sénégal réclamera 100 milliards à la société de téléphonie - d’autre contentieux. Et, à coup sûr, les licenciés demanderont d’importantes sommes d’argent en guise d’indemnisations.
Arrêt de l’investissement pour la maintenance
« Diète budgétaire ». C’est ce que le deuxième opérateur de téléphonie mobile du pays observe actuellement en ce qui concerne la maintenance de ses installations. Depuis que le contentieux l’opposant à l’Etat à propos de la renégociation de sa licence, Tigo a éliminé la quasi-totalité de ses investissement pour ladite activité de maintenance et de sécurisation des sites. Cette diète forcée n’épargne d’ailleurs pas le personnel, qui a désormais perdu « ses bonus trimestriels » (prime). Seuls les membres du cercle restreint des directeurs ont désormais droit à cette motivation équivalente au salaire des bénéficiaires. Indicateur éloquent quant au caractère drastique des mesures prise par le Top management de Tigo. Cette réduction des investissements qui répond à une logique de prudence, en attendant l’issue du procès de Paris, fait qu’actuellement, seule une quinzaine de sites ont bénéficié de maintenance à cause des derniers accidents enregistrés sur le réseau.
Rupture avec le bureau de contrôle
Pis, il nous a été donné de découvrir dans le cadre de nos investigations sur cette affaire, que même le bureau de contrôle qui s’occupait de la délivrance de quitus de mise en service des installations de la boîte a été congédié. Il était payé entre 800 000 francs et 1 millions de francs pour chaque prestation, selon qu’elle soit effectuée à Dakar ou dans les régions de l’intérieur du pays. Les différents interlocuteurs avec qui nous nous sommes entretenus, révèlent qu’« il n’y a désormais aucun contrôle, aucune mesure de résistance jadis effectuée par le bureau de contrôle sur le processus d’installation du dispositif de réception et d’émission des appels passant sur le réseau dudit opérateur de la téléphonie ». Ce qui fait qu’aujourd’hui les incendies et les chutes de pilonne sont fréquents à travers les différents sites de Tigo.
En dehors du bureau de contrôle, plusieurs gros prestataires qui travaillaient en sous-traitance avec l’entreprise Tigo, sont au bord du dépôt de bilan.
Effondrements de pilonnes et incendies
A titre d’exemple, deux incendies ont été enregistrés à Diourbel et aux HLM à Dakar. Dans cette même veine, l’on peu encore citer l’effondrement à Kidira et à Médina Yoro Foula, de pilonne que le commun des sénégalais appelle antenne. Il faut dire qu’aujourd’hui de réelles menaces pèsent sur le voisinage de ces installations dont la longueur fait 60 mètres et qui portent des paraboles dont le poids dépasse une tonne. Un de ces engins est d’ailleurs récemment tombé sur le domicile d’une commerçante du marché Gueule-Tapée de Cambérène. Et de gros risque continuent de planer sur les populations de Cambérène surplombée par une pilonne dont les pieds, en proie à la brise marine, présente une rouille avancée qui inquiète le voisinage.
Lucien Ndong du service de communication de Tigo : « Il ne s’agit que de simples rumeurs »
Dans le souci d’équilibrer l’information, la rédaction du journal « Le Pays » a cherché les éclairages de la Direction générale de Tigo, par le biais de son service de communication. Mais, M. Lucien Ndong avec qui nous sommes entretenus a - après avoir minutieusement écouté et noté les différentes questions relatives aux écoutes téléphoniques, à la traque des mails d’ingénieurs, aux licenciements abusifs et aux accidents mettant en danger les populations - a déclaré ce qui suit : « Il ne s’agit que de simples rumeurs et ça ne vaut pas la peine de donner suite à cette affaire ».
(Source : Le Pays au quotidien, 29 novembre 2011)