TIC et développement économique local
jeudi 20 novembre 2003
A l’instar des autres grandes métropoles du Sud, Dakar n’échappe pas aux problèmes liés au développement local. Ces difficultés sont accentuées par le développement démographique et urbain non toujours maîtrisé, et l’apparition spontanée d’habitations précaires, généralement accrochées à la périphérie de ces grandes métropoles. Des franges entières de la population, naguère uniquement considérées comme des acteurs du secteur primaire se sont retrouvées, une génération plus tard, agglutinées dans des banlieues sous équipées en infrastructures essentielles. La division du travail rémunéré se conjugue essentiellement autour de la dualité entre économie classique et économie informelle.
En termes d’accompagnement, les pouvoirs publics se sont parfaitement adaptés à cette nouvelle situation notamment en matière de fiscalité locale. Le recouvrement des patentes, par exemple, se fait par une commission composée de représentants de la collectivité locale, urbaine ou rurale, des agents du service des impôts et du service du trésor. Cette commission, qui va directement au contact du citoyen, sur le terrain, statue individuellement sur l’acteur économique qui paie immédiatement la taxe due.
Dans notre entendement d’habitant du Sud, développement économique rime souvent avec autosuffisance alimentaire, progrès technologique, acquisition d’équipements « modernes ».
Ces objectifs ne peuvent être atteints sans une « production » suffisante et de qualité. Production de denrées, production de biens de consommation et de services. Il est important de noter que, au jour d’aujourd’hui des entreprises, implantées au coeur de la région de Dakar, fonctionnent encore selon des règles datant de la révolution industrielle. Pourtant, à cette révolution a succédé, depuis quelques décennies, une autre révolution, liée celle-là au développement des technologies de l’information et de la communication (TIC) qui commencent à engendrer les plus grandes mutations que l’humanité ait connues, compte-tenu de l’accélération de la production et de la circulation de l’information. A l’homme qui savait, de façon figée ou cyclique, qui comprenait presque tout, a succédé l’homme « informé », qui sait également mais surtout en « temps réel ».
Cet homme se retrouve désormais élément symbiotique, mais cependant informé et agissant, d’une civilisation de type local - global, dont les activités se définissent en termes de synergie dans un référentiel calé sur une horloge universelle.
Depuis les temps immémoriaux, les régions ont toujours existé dans nos contrées et s’appelaient « terroirs » ou « pays » et correspondaient jadis à des royaumes autonomes (Sine, Cayor, Saloum, Djolof, Walo, Fouta, Tékrour, Macina, Songhaï, etc.). Aujourd’hui nous parlons de provinces et de régions historiques.
Dans la présente analyse, nous nous intéressons principalement aux pistes d’applications TIC, qu’il est nécessaire d’ouvrir et de développer, au niveau local, afin de permettre une participation réellement active des pouvoirs locaux à la définition d’un développement économique durable, parce que basé sur une société du savoir et de l’information.
Le rôle des technologies de l’information et de la communication peut être considéré comme stratégique, dans le cadre d’un plan de développement local. Au Sénégal, en effet, l’irruption de ces supports a, en quelques années, été une porte de sortie alternative pour un système éducatif qui commençait à s’essouffler. De nombreuses structures de formations privées ont vu le jour et forment des jeunes en première formation et des moins jeunes, dans le cadre de la formation permanente, aux métiers liés aux TIC (informatique, comptabilité, télécommunication, maintenance électronique, création de sites Web, etc).
Cette activité est fortement soutenue par les collectivités locales (communes, communautés rurales et conseils régionaux) qui allouent , chaque année, des milliers de bourses de formation à leurs ressortissants.
La prolifération des cybercafés, dans la région de Dakar, notamment, a suivi celle des télécentres et a fait chuter, en l’espace de 4 ou 5 ans, le prix de la connexion horaire de 3 $ à 0,5 $, ce qui a permis de mettre l’Internet à la portée des plus humbles.
Une région comme Dakar, du fait de sa configuration géographique, étouffe sous l’action conjuguée d’un taux d’urbanisation très élevé et d’un déficit encore important en matière d’infrastructures. Les problèmes liés à la circulation automobile qui en découlent freinent, de manière implacable, le développement économique local et national. Des centaines de milliers de personnes convergent, chaque jour, vers les ministères, les marchés, les commerces, les centres d’état civil, les mairies, etc. concentrés au centre ville de Dakar.
Ces difficultés pourraient être allégées, voire éliminées par :
– la mise en ligne d’informations centralisées au niveau de certaines structures (ex. liste des boursiers, liste des admis à un examen),
– le développement du commerce électronique : démocratisation du paiement par carte bancaire, numérisation des produits et création de sites Web dédiés à certaines catégories d’activités, principalement dans le secteur tertiaire (commerces, tourisme, etc.),
– le développement des systèmes d’informations géographiques,
– l’accès électronique au système de l’état civil,
– etc.
Pour favoriser ces transformations, il est important que les pouvoirs locaux participent à la politique du développement du haut débit dans leur territoire, et à la promotion des initiatives en provenance des ONG et du monde associatif, dans le cadre d’un partenariat bien pensé avec les acteurs du secteur privé.
Il est souhaitable, par ailleurs, que les pouvoirs locaux puissent susciter l’innovation dans les entreprises installées dans leurs territoires en termes de modernisation de l’outil de production, de lutte contre la pollution industrielle et de réduction des risques liés à la cohabitation avec les populations.
Les pouvoirs locaux doivent, toujours en relation avec les ONG et le secteur associatif, initier et promouvoir le développement de cybervillages. L’idée de départ est d’utiliser la puissance des TIC au service d’une communauté afin de mettre en commun les expériences et les activités d’un groupe socioprofessionnel (pêcheurs, automobilistes, agriculteurs, etc.), de la population active d’une localité donnée (ex. village traditionnel) dans un but de mutualisation des moyens. Le concept de cybervillage, relativement bien implanté dans les pays développés peine encore à percer dans les pays du Sud. Souvent les projets envisagés nécessitent une surface financière qui dépasse largement nos moyens. Compte tenu de ce facteur limitant, la mutualisation envisagée peut se faire dans le cadre de salles multimédias qui regrouperaient l’essentiel des moyens informatiques et de communication. Afin d’assurer la pérennisation du projet, il peut être prévu un couplage avec des activités de services telles que l’animation d’un cybercafé, la formation, la vente de produits locaux (artisanat, tourisme) en ligne, la réalisation de sites Web pour les PME locales, etc.
De nombreuses collectivités locales de la région de Dakar, et des autres régions du Sénégal, partagent cette vision du développement économique local par les TIC et commencent à initier des activités intéressantes et à intégrer les grands réseaux mondiaux, dans le sillage des objectifs du NEPAD .
Quelques exemples : la Région de Dakar a été choisie, au cours du forum Afrique sur la Société de l’Information et les Collectivités Locales, tenu à Nouakchott , du 8 au 10 juillet 2003, pour être le point focal, pour tout le continent africain, dans le réseau « IT4ALL Regions », réseau mondial des régions pour la société de l’information, dont le siège est à Bilbao. L’objectif principal de ce réseau est de développer une vision commune des régions du monde, dans la cadre de la société de l’information. La commune d’arrondissement de la Médina a développé, en partenariat avec le SIP de Yoff, un portail caractérisé par la présence d’une base de données économique axée sur les activités commerciales et artisanales locales. Sur le site de la Ville de Dakar est développée une fiche technique sur le programme de développement de la ville, principalement orienté sur la mobilité urbaine, les aménagements et la demande sociale. La commune d’arrondissement de Hann Bel Air initie des projets intéressants en matière d’inclusion sociale. Nous pouvons citer la mise en oeuvre, depuis l’année 2002, de comités de développement local dans chaque quartier (CDL). Ces CDL, qui vont ensuite être intégrés en réseau dans le site Web de la commune, favoriseront la circulation de l’information et le dialogue social, indispensable à tout développement économique au niveau local.
Pour conclure, il nous paraît utile d’insister sur l’importance que nous accordons à la formation des élus locaux et de la population en général dans l’utilisation des TIC. Les TIC permettent, en effet, de rapprocher les pouvoirs locaux des populations locales.
« On ne gouverne très bien que de très près. » dixit Abdoulaye FAYE, Président du Conseil Régional de Dakar.
Joseph SARR
(Source : Cities.Lyon)