S’il y a un domaine dans lequel l’alternance n’a jusqu’ici imprimé aucune
rupture fondamentale par rapport à la gestion précédente, c’est bien dans le
secteur de la communication au Sénégal. Pire, on ose à peine croire que le
pouvoir actuel écoute une seule seconde les moindres avis d’un spécialiste en
communication, au regard des rapports heurtés, sans finesse et sans commerce de
qualité que les autorités étatiques entretiennent avec la presse sénégalaise
depuis un certain temps. Car le bras de fer que ces responsables cultivent de
manière récurrente avec les professionnels de la communication en général et
ceux des médias privés en particulier, dénote un manque de vision d’une
politique alternative dans un domaine aussi stratégique et une inculture
charriant des conséquences négatives dans l’image globale que les opinions
nationales et internationales se font de plus en plus des dirigeants sénégalais
crédités cependant au lendemain de l’alternance d’un fort capital de sympathie
et de crédibilité à tous les niveaux ! Hélas tout cela semble fondre
inexorablement comme du beurre importé sous le chaud soleil du Sahel...
Voudrait-on cependant parvenir à une bonne gouvernance, à l’émergence d’une
citoyenneté responsable, à l’apaisement d’un climat social favorable à
l’instauration et à l’éclosion de toutes les initiatives de développement, qu’il
faudrait s’y prendre autrement en matière de politique de communication dans ce
pays ! De manière générale, la presse constitue un partenaire de choix dans la
formulation, la mise en œuvre et le suivi-évaluation de tout projet ou
initiative visant à transformer, de manière qualitative, les conditions
socio-économiques et autres de vie de la population. Il s’agit par conséquent de
savoir négocier les relations à entretenir avec elle dans le respect de ses
spécificités, d’étudier les formes idoines de cheminement sans compromission de
par et d’autre, de gérer dans l’art, les contradictions et autres frictions
inévitables entre les professionnels de l’information et de la communication et
les responsables étatiques à tous les niveaux de la sphère décisionnelle. En
somme, la communication est une chose trop sérieuse pour être confiée au plan de
la formulation et de la mise en œuvre d’une politique sectorielle comme
d’ensemble, à des amateurs et autres mystificateurs qui la réduisent à une
phraséologie et à une incantation de mots désincarnés et qui ne s’appuient sur
aucune aisance conceptuelle et pratique dans ce domaine.
Pourtant l’impératif d’instaurer un environnement démocratique favorable à
l’éclosion des initiatives et des idées novatrices, de concevoir autrement le
rapport du pouvoir à l’univers journalistique en particulier et à la
communication en général, sonne comme une urgence de premier plan dans l’agenda
de nos responsables gouvernementaux. Car devoir penser que l’intimidation, le
musellement, les coups bas, le harcèlement, en somme le bras de fer permanent
peuvent constituer les lignes forces d’une politique de communication, pour
gagner la bataille d’opinion, relève d’une vision simpliste et d’une myopie
politique, aux antipodes des rapports fort civilisés et respectueux que les
professionnels de l’information doivent entretenir mutuellement avec les
autorités administratives à tous les échelons d’un pays. Or, il apparaît dans
une lecture au premier degré des relations entre ces deux instances, une
situation négative et à court terme, plus préjudiciable aux autorités dans la
nécessaire et impérative mission de communiquer avec les populations, démarche
nécessitant forcément le recours aux canaux de communication, surtout ceux qui
ont acquis une forte crédibilité. C’est le cas en général du secteur de la
presse privée qui a fini de démontrer au Sénégal comment asseoir un
professionnalisme de qualité dans la collecte et le traitement quotidiens de
l’information. Même ici, si naturellement on peut relever des insuffisances de
temps en temps. Ce qui est loin du reste d’être une exception sénégalaise. La
lecture globale, à première vue que l’on peut se faire de la situation de la
communication au Sénégal se décline ainsi : - un manque de rupture au lendemain
de l’alternance dans la définition du rôle et de la fonction des médias dits
d’Etat, au regard des mutations profondes que connaît la société sénégalaise.
Les conséquences fâcheuses d’une telle situation sont nombreuses et se
traduisent entre autres, par une utilisation irréfléchie et partant un rejet de
ces médias publics par des populations qui en arrivent à les assimiler
uniquement à des officines de propagande d’un pouvoir peinant à articuler son
discours avec la praxis que vivent au quotidien les masses sénégalaises. Une
situation qui contraste cependant avec les compétences professionnelles avérées
dont regorgent ces structures. - une incompréhension du rôle et de la place de
la presse privée dans ses rapports avec les tenants du pouvoir et dans le cadre
de sa mission globale de veille et d’alerte publiques, entre autres. - une
confusion terrible entretenue sur les profils des managers des politiques de
communication à tous les échelons de l’Etat. Résultat : le désordre créé fait
jouer à de nombreux charlatans de la communication des rôles qui ne
correspondent ni à leur formation, ni à leur expérience, ni à leurs capacités
conceptuelles et professionnelles. Il n’empêche, tout le mode s’affuble du titre
de Conseiller en communication, même des étudiants en début de cycle de
formation mais qui jouissent d’une proximité avec tel ou tel responsable...
Pourtant dans ce domaine aussi, faute de mieux, l’on pouvait continuer à se
conformer aux pertinentes recommandations de la convention collective élaborée
par le Synpics et qui définissent clairement les conditions à remplir pour être
attaché de presse, conseiller en communication et autres fonctions de management
dans les médias. En tout cas, le laisser-aller et le manque de transparence dans
le choix de ces planificateurs de la communication au sein des instances
administratives jouent négativement dans la visibilité des activités de ces
structures mais aussi influent négativement dans les relations entre la presse
privée et les autorités administratives, qui, faute de disposer d’une bonne aide
à la décision communicationnelle, n’en font qu’à leurs humeurs.
Alors, comment dans ce contexte entrevoir les relations adéquates à l’émergence
d’une presse émancipée et d’une véritable communication au service de citoyens
avertis et conscients de leurs responsabilités ? Une telle perspective, n’est
point une perpétuation d’une propagande d’Etat via des médias publics
infantilisés ou une démarche visant à soudoyer la presse privée pour nouer avec
elle de sombres desseins de collaboration hypothétique vouée à l ‘échec.
Il s’agit plutôt de marquer des ruptures dans la formulation et la gestion des
politiques et autres stratégies de communication devant déboucher sur une
acceptation de la mission de la presse dans sa diversité, sur une bonne
visibilité de la démarche et une vulgarisation des résultats des actions
entreprises par les pouvoirs publics, la société civile et par tout autre
porteur d’initiatives au profit des populations. Par conséquent, des ruptures
sont à marquer dans la formulation et la gestion des différentes politiques
sectorielles de communication en cours pour l’instauration d’un véritable climat
favorable à un dialogue national, orienté vers les questions de préoccupation
majeures de développement, acceptant de faire jouer aux médias du service public
leur véritable rôle d’ouverture systématique à toute la classe politique sans
exclusive et aux membres de la société civile qui s’affirment de plus en plus
comme forces sociales incontournables dans la marche de la société sénégalaise.
Le Sénégal, qui se targue de donner des leçons de démocratie et de bonne
gouvernance au reste de l’Afrique, devrait se regarder dans sa glace médiatique
pour mesurer aujourd’hui le long chemin qui lui reste à faire et ses
insuffisances par rapport à des pays dont on ne soupçonne pas les progrès de
plus en plus notables en matière de communication ! Il est vrai que si l’on
n’avance pas, on recule ! C’est mon talentueux collègue, directeur de l’Issic
Abdou Latif Coulibaly qui me faisait récemment cas du bond fulgurant en termes
d’implantation de chaînes de télévisions et de radios enregistrées par un pays
comme... la Rdc, au moment où on disserte encore sur l’éventualité de libéraliser
ce secteur au Sénégal ! Le Bénin, par exemple, peut nous inspirer positivement
sur les critères de choix objectifs, sans connotation politique mais selon des
critères professionnels avérés, de dirigeants des médias du service public. A ce
titre, l’affaire Madiambal Diagne aura eu le mérite de nous montrer à tous qu’il
y a loin de la coupe aux lèvres, entre le discours sénégalais et le vécu en
matière de médias .
Mais toutes ces questions qui agitent depuis quelque temps le Landerneau
médiatico-politico-syndical sénégalais ont besoin d’être débattues dans une
perspective de réflexion commune approfondie dans laquelle place sera donnée
largement aux acteurs de la communication, à tous ceux et celles qui ont
vocation à conceptualiser et à s’investir dans les sciences de l’information et
de la communication. Bien entendu, nous n’appelons pas à un monologue entre
spécialistes et praticiens uniquement pour analyser le mal communicationnel
sénégalais. Les états généraux de la communication dont nous souhaitons la
tenue, par-delà les pertinentes questions d’ordre corporatiste qu’elles vont
soulever, devraient permettre au Sénégal d’amorcer une nouvelle vision dans le
champ de la communication, dans une perspective de formulation d’une nouvelle
politique acceptée par tous les différents acteurs. Cette activité devrait, au
regard de l’actualité brûlante, figurer parmi les urgences de l’agenda
gouvernemental mais aussi syndical, pour l’organisation professionnelle la plus
représentative dans ce domaine qu’est le Synpics. Car en laissant s’installer le
statu-quo, c’est le Sénégal dans son ensemble qui perd, face à son expertise
communicationnelle reconnue et à la richesse de ses talents journalistiques qui
ont fini de faire leurs preuves et qui peuvent concevoir une nouvelle politique
dans ce domaine. L’éclairage conceptuel et l’arbitrage attendus de telles
assises, dépassant le traditionnel face à face ministère de l’Information (?),
syndicats de journalistes, pour donner à la rencontre le caractère scientifique
et la crédibilité attendus, militent en faveur de l’appel à la contribution de
l’expertise internationale. Certaines organisations internationales spécialisées
comme l’Unesco, la Fao et bien d’autres institutions reconnues devront être
sollicitées pour apporter leur contribution à cet effet.
Dans un secteur aussi vital que la communication pour le développement par
exemple, la Fao a appuyé de nombreux pays d’Amérique et même d’Afrique dans la
formulation de leur politique nationale. Il en est de même de l’Unesco, dont une
des vocations est naturellement la communication. Bien entendu, cette
sollicitation de l’expertise internationale n’est nullement une remise en cause
de la valeur des cadres pluridisciplinaires sénégalais. En venant exposer les
cas d’école qui ont fait recette ailleurs, en apportant leur contribution à une
réflexion d’ensemble, cette expertise va participer à l’émergence d’une vision
claire et durable d’orientation de la politique nationale de communication.
Naturellement, une telle démarche nécessite une approche participative tant dans
la formulation que dans la mise en œuvre des pertinentes recommandations issues
de cette rencontre inédite .Elle est par conséquent, aux antipodes d’une
perpétuation d’une propagande stérile et désuète ou d’une volonté inavouée
d’embrigadement de la presse privée dont l’émancipation de plus en plus marquée,
ne saurait être ignorée par tout décideur attentif aux signes que lui envoie sa
société. Malgré la cristallisation des positions, le respect et le dépassement
obligatoire attendus des pouvoirs publics vis à vis de la presse, militent en
faveur d’une véritable perspective de convergences et de solutions durables à un
mal beaucoup plus profond que ne le laissent entrevoir les soubresauts des
rapports heurtés entre le gouvernement et le segment le plus dynamique de la
presse sénégalaise. Il appartient par conséquent aux pouvoirs publics de ne plus
apporter de fausses solutions à un vrai problème, mais d’instaurer une nouvelle
vision et de nouveaux rapports de confiance mutuelle et de partenariat, fruits
des assises ainsi dessinées à grand trait, même si une vision conceptuelle de
leur élaboration ne manque point.
La responsabilité du ministère de tutelle, est engagée pour la tenue dans les
délais impartis de cette rencontre de décrispation devant amorcer une nouvelle
vision dans tous les aspects qui traversent le riche champ de la communication
au Sénégal. Une telle démarche est une exigence de bonne gouvernance et partant
de restauration d’un environnement citoyen responsable au Sénégal.
Antoine Ngor FAYE
Journaliste Formateur à l’Issic
antoinefaye@hotmail.com