Devenu un moteur de l’économie africaine, le secteur subit une forte pression fiscale que dénoncent les opérateurs. Mais les autorités, heureuses de trouver des ressources, n’entendent pas céder aussi facilement. Après la lune de miel puis l’entente cordiale, assiste-t-on nous actuellement aux premières tensions au sein du couple que forment les opérateurs de téléphonie et les États africains ? Au cœur de la brouille qui les oppose, les fabuleuses ressources financières générées par les télécoms. Un énorme gâteau qui assurait 7 % des recettes fiscales des pays subsahariens en 2007, ce alors que la participation du secteur au PIB n’atteignait que 4 %. Pour Sonatel, la contribution au budget de l’État sénégalais dépassait même 12 % en 2009. « Assez ! » clament les industriels, qui jurent que la gourmandise des pouvoirs publics risque de déstabiliser leur business. « Aujourd’hui, regrette Rémy Fekete, avocat du cabinet parisien Gide Loyrette Nouel, le secteur assiste à une inflation inquiétante des prélèvements. »
Ainsi, quand le Sénégal supprime les frais de douanes et la TVA sur les téléphones importés en 2008, il instaure dans le même temps une taxe payée par les abonnés pour l’utilisation du réseau. Le prélèvement serait même sur le point de passer de 2 % à 5 % du montant de la facture des utilisateurs. Autre sujet de tension qui mobilise l’opérateur Sonatel et agite l’opposition sénégalaise, la mise en place depuis le 1er août d’un prix plancher qui pourrait, si la hausse est répercutée par les opérateurs étrangers, augmenter le tarif des appels internationaux entrants, de 115 % vers les fixes et de 53 % vers les portables. Le Ghana, le Congo, la Guinée et la République centrafricaine ont déjà succombé à cette tentation, déclenchant la peur d’une épidémie fiscale chez les opérateurs. Ce climat d’hostilité est également présent en Algérie, où l’État inflige un redressement fiscal de 415 millions d’euros à Djezzy. Une accusation de fraude que le Mali avait déjà brandie contre Ikatel (devenu Orange) en 2006.
Moins de taxes, plus de rentrées ?
D’après un rapport commandé par l’Association GSM (GSMA, qui rassemble les acteurs du secteur) en 2008, les opérateurs présents en Afrique reversent en moyenne 30 % de leurs revenus au travers de taxes sur le matériel, les communications, les salaires et les bénéfices. En tête des États les plus durs, la Zambie prélève 53 % des chiffres d’affaires, Madagascar 45 %, le Gabon 40 %. Le Sénégal (21 %) ou le Mali (19 %) sont moins exigeants.
Principal argument utilisé pour remettre en question cette surtaxation : les pays et les usagers seraient les premiers bénéficiaires d’une baisse de la fiscalité. Selon le cabinet Last Frontier, mandaté par GSMA, un allègement des taxes induirait une forte chute des prix (communications et achat des téléphones) dans la plupart des pays (- 24 % au Cameroun, - 26 % au Tchad, - 16 % au Congo) et, par voie de conséquence, un gain de 43 millions d’abonnés en Afrique subsaharienne. Ce développement du secteur conduirait même, in fine, à augmenter le montant des taxes collectées de 700 millions d’euros sur la période 2007-2012, pour passer à 22,5 milliards d’euros, à en croire GSMA.
Reste que cette interprétation ne séduit pas du tout les officiels africains, pour deux raisons. Premièrement, les États n’ont aucun intérêt à limiter les prélèvements sur les télécoms, comme le confirme Thierno Ousmane Sy, conseiller du président sénégalais Abdoulaye Wade : « Ils doivent contribuer de manière significative et visible au développement des pays » Deuxièmement, il semblerait indéfendable aux yeux de l’opinion publique d’exonérer de l’impôt un secteur qui engrange de confortables bénéfices. En 2009, Maroc Télécom, avec un résultat opérationnel de 46,2 % pour un montant de 1,22 milliard d’euros, était par exemple la filiale la plus rentable du groupe Vivendi. Et Sonatel (filiale de France Télécom) a réalisé un chiffre d’affaires de 858 millions d’euros avec un Ebitda (revenus avant intérêts, taxes, dotations aux amortissements et provisions) de 56 % - une rentabilité exceptionnelle.
Les pouvoirs publics entendent désormais profiter de cette manne financière. « Il est naturel que l’État veuille sa part », reconnaît même Marc Rennard, patron de la zone Afrique de France Télécom. Mais attention, « trop d’impôts pourrait ralentir les investissements », avertit cependant Jean-Michel Huet, du cabinet BearingPoint. Des sommes impressionnantes, si on se réfère au montant fourni par le rapport « African Economic Outlook » 2009 sur les dix dernières années pour Orascom, MTN et Zain, avec 9,8 milliards d’euros investis.
Des prélèvements moins élevés qu’en Europe
Néanmoins, personne ne juge le secteur en danger. Le continent compte plus de 350 millions d’abonnés. L’indien Bharti, nouveau venu en Afrique, prévoit d’injecter 1,5 milliard d’euros dans les trois ans pour améliorer les réseaux de ses filiales, tandis que France Télécom négocie actuellement l’acquisition de 40 % du marocain Méditel pour 650 millions d’euros. Le marché se porte tellement bien que le prix des télécoms tend à baisser, même si les tarifs restent encore bien plus élevés qu’en Europe au regard du pouvoir d’achat des ménages. Au Mali, le prix d’une carte SIM est ainsi passé en huit ans de 53 euros à 2,30 euros. La critique du niveau d’imposition ne résiste pas plus à une comparaison internationale. Selon le cabinet de conseil Deloitte, les taxes, qui représentent en Europe 20,6 % du coût d’un mobile (prix de l’appareil et des communications), ne dépassent pas 17,3 % en Afrique. Mais pour les industriels, le continent gagnerait plus encore si elles se situaient sous les 15 %, comme au Moyen-Orient (14,1 %) et en Asie (12,4 %).
Pour les États africains, pas question de voir leurs rentrées fiscales diminuer alors qu’ils ont tant de projets à financer, quitte à engager un bras de fer avec les opérateurs. « Qu’il s’agisse de routes, de centrales électriqu
Les fonds d’accès universel en question
Créés pour apporter internet et le téléphone portable aux zones sans potentiel commercial, les fonds d’accès universel sont-ils devenus des caisses noires en puissance ? L’étude publiée en 2009 par l’ONG panafricaine GoreeTIC entretient le doute en relevant de nombreux dysfonctionnements dans leur gestion. Les montants prélevés sur le chiffre d’affaires des opérateurs (de 1 % à 4 %) atteignent des dizaines de millions d’euros sur la seule Afrique subsaharienne francophone. Au Sénégal, le fonds s’élèverait à 15 millions d’euros, 19 millions au Cameroun, au moins 7 millions au Gabon. Seul souci : dans beaucoup de pays, il est impossible de savoir comment il est utilisé. Un problème qui en fait craindre d’autres quand on lit en détail les travaux de GoreeTIC.
Au Cameroun, un décret pris après la création du fonds permet à l’État, alors que rien ne le prévoyait dans le cahier des charges, d’utiliser l’argent pour financer la poste à hauteur de 3,8 millions d’euros par an. Au Congo, aucune information ne filtre ni sur les montants disponibles, ni sur leurs destinations. Autre sujet de préoccupation : dans plusieurs pays, le fonds fait l’objet d’un combat entre le ministère des Télécommunications, celui des Finances et le régulateur pour savoir qui l’administrera. Pour le gagnant, de confortables frais de gestion sont à la clé. « Il suffit de voir qui a les plus belles voitures pour savoir qui a gagné le gros lot », déplore un économiste. Ces errements font les affaires des opérateurs. Dans beaucoup de pays, ils refusent désormais de payer avant que la situation ne soit éclaircie.