Télécommunications : La fleur fanée (Article publié par El Hadj Rassoul Mbaye dans Wal Fadjri du 11 mai 2001)
vendredi 11 mai 2001
Comme à l’accoutumée, la Société nationale des télécommunications du Sénégal (Sonatel) vient de publier par voie de presse, ses résultats pour
l’année 2000. Comme toujours, ses résultats sont faramineux. Mais dans le contexte actuel, un tel message ne flatte plus l’orgueil des autorités qui du
reste, ne sont plus les mêmes. Il reste qu’il conserve les mêmes objectifs :
– Convaincre les Sénégalais que la gestion de la Sonatel confère à son directeur "la stature d’un chef d’entreprise surdoué et performant, le plus brillant
de tous ceux qui, dans d’autres secteurs, assument des responsabilités du même niveau".
– Persuader les nouvelles autorités qu’on ne change pas une équipe qui gagne car "le manager actuel demeure le plus fort malgré ses flirts et ses
complicités avec le régime défunt, pendant treize années passées à la tête de la Sonatel".
Il est à craindre que cette symphonie, si belle qu’elle soit apparemment, ne devienne, pour la Direction générale de la Sonatel, le Chant du Cygne.
En effet, bien décrypté, le message donne des résultats bien contraires à ceux recherchés. Avant de le lancer, la Sonatel aurait dû faire sien, le mot de
Corneille : « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ». Tout le monde sait (ou doit savoir) que la société gère une situation de monopole absolu
aggravé, pour les sénégalais, par l’inexistence d’une agence de régulation pour en atténuer les excès. Il s’y ajoute qu’aucun professionnel n’ignore que
les résultats obtenus s’expliquent, en grande partie, par l’application de tarifs usuriers, par une violation continue du Code des télécommunications et
aussi, par une insubordination, frôlant le mépris, envers le département de tutelle. En un mot, la Sonatel, dans l’intérêt des Sénégalais, ne peut continuer
à avoir toujours raison. Le temps des interrogations semble arriver.
Comment, se demandent les sénégalais, la Sonatel peut-elle doubler voire quintupler les brillants résultats du fleuron de notre industrie, les ICS qui,
l’année dernière, pour 180 milliards de chiffre d’affaires, n’a réalisé que 20 milliards de bénéfices. Est-ce par dessein inavoué de faire des brillants
dirigeants d’autres sociétés de piètres chefs d’entreprise par comparaison ? Délaissant la gymnastique cosmétique, les professionnels ont interrogé les
faits et tous, sont effarés de ce qu’ils constatent. D’abord, ils relèvent, que par perversion d’une règle élémentaire du commerce international, la Sonatel
vend un produit au Sénégal plus cher qu’à l’export ; c’est dire à un niveau excessif des prix. Lorsque la Côte d’ivoire libéralise totalement les données, au
Sénégal on pille les ressources des abonnés et des opérateurs par des tarifs exorbitants.
C’est ainsi qu’une Liaison spécialisée Internet (Lsi) d’un mégabit revient aux États-Unis à la fin du mois à 230.965 francs Cfa et à la Sonatel à la fin du
premier mois à 4.200.000 francs Cfa. Certes les Usa ne sont pas le Sénégal. Prenons le problème autrement : une Liaison spécialisée locale est
composée de deux éléments que la Sonatel ne fabrique pas mais qu’elle achète :
– La ligne urbaine coûte environ 300.000 francs Cfa (moyenne africaine et même bien moins au Sénégal)
– Les deux routeurs aux extrémités (600.000 francs Cfa chaque) Le prix d’acquisition est donc d’environ 1.500.000 francs Cfa.
La Sonatel loue ce produit à :
1er mois : 2.300.000 francs Cfa et
au bout d’un an 19.350.000 francs Cfa soit une marge supérieure à 1200 %.
Pour bien comprendre les marges bénéficiaires insensées de la Sonatel, comparons les à celles de l’immobilier et celles des prêts bancaires :
– Si la Sicap applique les mêmes taux en louant une villa de 10 millions (clé en main), elle encaisserait au bout d’un an, 124 millions de francs Cfa en
location simple !
– Si la Banque prête à un tiers 5.000.000 francs Cfa, elle encaisserait au bout d’un an 62 millions rien que pour les intérêts de la dette ! Si ce n’est pas de
l’usure, qu’est-ce que l’usure ? (Question à 42,7 milliards). !!!
Par ailleurs, parlons un peu des abonnés du téléphone. Il est bon de noter que la Sonatel, comme par enchantement et sans aucune prestation, sans
aucune activité, possède une cagnotte de l’ordre de 13 milliards par an que constituent les taxes d’abonnement et les intérêts des cautions des abonnés
et télécentres :
– 200000 lignes en 6 bimestres = 10,8 milliards
– 20000 Alizés Téranga en 12 mois = 1,6 milliards
– Intérêt des dépôts de garantie sur les lignes fixes = 0.8 milliards
– Intérêt des dépôts de garantie sur les télécentres = 0.3 milliards
– Liaisons spécialisées ?
Bien entendu, c’est beaucoup plus que cela, mais quel est le chef d’entreprise qui a cette bonification ? Certainement pas la Poste qui continue d’être
pompée, ni le Port Autonome, encore moins la Lonase. C’est pour cela qu’aucune comparaison n’est valable. Conséquemment à cette manne, la
Sonatel possède grâce aux capitaux cumulés des pauvres abonnés, un portefeuille de plusieurs dizaines de milliards constitués par les dépôts de
garantie des abonnés qui, bien sûr, ne voient pas la couleur des intérêts de ce portefeuille ! Cela, pour le musulman que je suis, s’appelle tout
simplement « Riba ».
La très Honorable Oumou Sy a raison de penser que le bénéfice est supérieur à celui annoncé au regard de telles marges ! Elle interpelle, à sa manière,
les services de contrôle compétents. Alors où est le mérite dans de telles conditions ? Une chose au moins est sûre : de tels « résultats » vont décourager
tous les chefs d’entreprise honnêtes qui se défoncent dans le respect des lois pour obtenir 5, 10, 20 milliards de bénéfices ! Parce qu’à côté, un « prince »
les regarde du haut de son piédestal pour leur dire « Je suis votre Dieu, vous êtes minables ! » Les Sénégalais comprendront aujourd’hui pourquoi
Métissacana a été coupé, La Minoterie du Baol coupée, Millenium coupée, parce qu’en appliquant ses tarifs usuraires, la Sonatel leur prend quasiment
leurs recettes si ce n’est une violation du Code des télécommunications.
Une des sommités nationales en Informatique, M. Amadou Top vient d’écrire avec pertinence : " ...Lorsque l’on analyse l’évolution qui prévaut dans tous
les secteurs de la vie culturelle, politique et sociale depuis le changement de régime de l’année dernière, on a d’autant plus de mal à comprendre
l’immobilisme qui règne dans le secteur des télécommunications. Alors que la fin des privilèges indus, la liberté d’entreprendre, la libération des énergies
créatrices, l’équité, la transparence et la recherche de l’excellence sont exaltées en permanence dans les discours des plus hautes autorités de l’Etat, le
secteur des télécommunications continue lui à fonctionner avec les règles et les valeurs de l’ancien régime. Hier comme aujourd’hui, de nombreux
spécialistes ont pourtant démontré qu’il est non seulement possible mais indispensable de faire autrement si le Sénégal veut garder l’avantage
comparatif qui est aujourd’hui le sien dans le domaine des télécommunications et pouvoir se positionner comme il l’ambitionne sur le marché des
téléservices. Mieux, de multiples opérateurs ont prouvé que non seulement d’autres technologies pouvaient valablement être utilisées mais encore que
des prix nettement inférieurs à ceux de la Sonatel pouvaient être pratiqués sans pour autant remettre en cause les impératifs de rentabilité. La question
qui est donc aujourd’hui posée aux autorités sénégalaises est de savoir jusqu’à quand les internautes et les professionnels du secteur des
télécommunications devront-ils continuer de subir les méfaits de ce monopole suranné, vestige d’une époque aujourd’hui révolue. Pour l’écrasante
majorité des acteurs du secteur, la réponse est claire : il faut en finir au plus vite et une fois pour toute avec le régime de « parti unique » qui sévit encore
dans le domaine des télécommunications et dont la survie retarde chaque jour un peu plus les chances du Sénégal de profiter au mieux des
opportunités offertes par la Société de l’information." (Le texte complet rédigé par Amadou Top)
La Rose du meilleur manager, si fièrement épinglée sur le veston du Directeur général de la Sonatel est une fleur fanée. Fanée par l’usure du temps,
fanée par l’Alternance, fanée surtout par tant de « Riba » accumulé, fanée par la colère du personnel parti jusqu’à Paris, appuyé par la Cgt, dénoncer ces
abus, fanée enfin par cette peur bleue de la libre concurrence qu’aucun prince vieillissant ne pourra empêcher d’exister dans notre pays. Elle pourrait
même exister avant le Chant du Cygne.
El Hadj Rassoul MBAYE
Président du Comité d’initiatives pour la libéralisation des données au Sénégal Ancien Directeur de la Coopération internationale de la Sonatel
Ancien conseiller à l’Union internationale des Télécoms à Genève
Cadre politique de la Fédération des Niayes