Le développement fulgurant de la haute technologie, propageant l’usage de la téléphonie mobile à grande échelle, semble jouer un rôle dans la disparition des télécentres. Une mort programmée ?
En instituant les télécentres qui ont connu un franc succès dans les années 1990, la Société nationale des télécommunications du Sénégal (Sonatel) ne pensait pas qu’elle contribuerait un jour à programmer leur mort, à les contraindre à fermer boutique. Les télécentres, jadis des points de ralliement, de rencontre et lieux de convivialité, avec leur taux quotidien de fréquentations et de visites important, sont aujourd’hui pour la majeure partie, fermés ou transformés en boutiques. Plusieurs télécentres battent de l’aile, mais n’ont plus réellement aucun service à rendre. Ils sont simplement fermés pour de bon. À Joal-Fadiouth, en face du pont qui relie l’île à la terre ferme, se trouve un grand rond-point à côté duquel sont placés des boutiques, des restaurants et des télécentres.
La fin d’un succès
À ce point stratégique, à allure de marché, de garage ou de poste frontalier, se trouve adossé à l’hôtel Le Finio le télécentre Saint-François Xavier, en grande difficulté. Couchée à une table haute d’à peu près un mètre et plus, la tête inclinée en arrière, somnolente, sous l’effet de la chaleur accablante du soleil, Astou Faye, gérante du télécentre, livre ses impressions. "Les télécentres ne marchent plus à cause des téléphones portables.
Auparavant, nous gagnions beaucoup, mais désormais ça ne va plus. Durant la fête du 15 août, j’accueillais beaucoup de clients. Mais maintenant, cela varie« , dit-elle pour expliquer la nature de cette situation. »Maintenant, nous ne pouvons même pas verser 1000 FCFA la journée« , dit-elle, au moment où sa copine Rosalie Diouf rapporte qu’auparavant »elles pouvaient verser plus de 25000 Fcfa« . Astou Faye reproche à la Sonatel sa manière de traiter avec les gérants des télécentres. »Nous vendions des cartes de recharge, mais par la suite, la Sonatel envoyait des agents sur le terrain pour vendre des cartes de recharge. Cette marrée commerciale, cette sorte de marketing, gâchait notre marché. Nous étions obligés de céder", fait-elle entendre.
À Dakar, c’est le même phénomène, avec une proportion alarmante. Sur dix télécentres qui existaient, deux survivent difficilement et se battent pour ne pas disparaître, pour ne pas être balayé de l’échiquier commercial par cette vague de développement ultra moderne du troisième millénaire qui a propulsé la téléphonie mobile. Awa Dakhaté, gérante du télécentre Baye Tamsir Niane, à hauteur de la nationale 1 à Tableau Tivaouane, relate ses difficultés en ces termes : "C’est dur, c’est difficile, ça ne marche pas.
Auparavant, par exemple, si tu vendais 10 000 FCFA par jour, aujourd’hui par contre, nous ne pouvons vendre au delà de 1000 FCFA. Nous sommes obligés comme tout le monde (les vendeurs de bananes, les tailleurs, les boutiquiers, les réparateurs de téléphones mobiles) de vendre des recharges électroniques « Seddo » et « Izi ». Mais il y a beaucoup de problèmes à ce niveau avec la saturation", explique-t-elle. De même qu’à Diamniadio, à quelques kilomètres de Bargny. Le télécentre d’Astou, coincé près de la route menant vers Mbour, subit les mêmes problèmes. Il sert la plupart du temps de répondeur aux usagers en activité dans les parages. Il ne connaît plus son succès des débuts.
La recharge électronique au banc des accusés
Pour elle, la Sonatel n’a pas aidé les télécentres à rentrer dans le nouveau millénaire et a simplement sacrifié le service qui ne consiste plus qu’à répondre à un appel ponctuel ou à faire de courts appels qui ne dépassent pas l’unité. « Les télécentres ferment boutique. Tous les télécentres du quartier ont fait de même, vous pouvez compter plus d’une dizaine de télécentres dans ce cas. Nous sommes restés ici parc que nous sommes obligés de gérer le patrimoine, les magasins qui nous appartiennent. Mais ceux qui louent le local de leur télécentre ne peuvent pas en sortir. Les fins de mois deviennent des cauchemars quand il faut payer le loyer, l’électricité, la facture de la Sonatel, alors qu’on n’a rien gagné, cela devient terrible », fait-elle. En effet, plusieurs télécentres sont subitement transformés en autre chose. Dans certain cas, ils sont même transformés en dépôts ou magasins.
Un peu plus loin, Cheikh Guèye, nourrit les mêmes sentiments à l’égard de la Sonatel. Il l’accuse d’avoir volontairement contribué à la perte des télécentres. « Cette situation est une conséquence directe de la recharge électronique. C’est depuis son avènement que nous avons commencé à éprouver des difficultés pour payer nos factures à la fin du mois. C’est le moment que les clients ont commencé à se faire rare. Finalement, nous ne les voyions plus. Ils avaient leur portable. Il n’y a plus de rendement. C’est au mois de mai dernier que j’ai définitivement arrêté mes activités en rendant la ligne à la Sonatel », révèle-t-il. Selon lui, la Sonatel sachant bien ce qui se passe est bien à l’origine même de la disparition des télécentres. Mieux, pense-t-il, « les choses auraient marché si le service de recharge électronique était exclusivement réservé aux télécentres ».
Au rond-point du bureau de poste de Thiaroye, en se dirigeant vers la route qui mène au camp des parachutistes, se trouve à droite, près du trottoir servant de garage aux véhicules se rendant à Pikine et Guédiawaye, se trouve le télécentre de Thierno Tounkara. Fatigué par les difficultés inhérentes à l’entretien de son télécentre, il oeuvre dans la bureautique. Il écrit des lettres, des demandes, des projets, des factures. Ses deux cabines servent à garder des bagages ou à faire le thé, selon les circonstances.
Le discours de Thierno surpasse tous les autres, même s’il se recoupe en certains endroits aux précédents. « C’est la modernité, et c’est une bonne chose », reconnaît-il. Convaincu qu’il y a toujours un nouveau moyen, un nouveau mode de vie à chaque étape de la vie, il fait le point de la situation avec lucidité.
"Quand j’avais ouvert ce télécentre vers les années 90, cela marchait beaucoup. C’était la mode à l’époque. Mais avec le développement technologique, les choses ont changé avec la révolution dans les moyens de communication, et l’avènement du téléphone portable. C’est ce dernier outil avec l’avènement de la recharge électronique de crédits a tué les télécentres qui permettaient jadis de résorber le chômage.
Ce qui était très bien. Malheureusement, aujourd’hui, ils ferment boutique, leurs occupants renvoyés à d’autres activités« , témoigne-t-il. Il est convaincu que le développement a son prix, et qu’il faut des sacrifices pour faire des bonds en avant. »C’est le prix de la modernité. Il y a un choix à faire. Nous ne pouvons as être statiques, il nous faut aller de l’avant car c’est nécessaire", dit-il même s’il reconnaît que le chômage n’est pas la bonne alternative.
Le « marketing » à outrance
D’ailleurs, sur ce point précis, en procédant à la mise à mort des télécentres et au chômage de leurs gérants, la Sonatel a introduit une nouvelle vague de travailleurs : les vendeurs ambulants de cartes de recharge. Dispersés, éparpillés dans les principales artères de la ville, entassés aux feux, au rebord de la route, ils tendent leurs rouleaux de cartes à qui mieux mieux. Ils sont à la solde de patrons propriétaires de boutiques ou même directement engagés par la Sonatel par l’intermédiaire de quelques agents de marketing sous le couvert de l’anonymat. "Je travaille pour quelqu’un qui me paye à la carte.
Le plus je vends de cartes, le plus je gagne", déclare Moussa Diallo. Cette nouvelle vague de vendeurs a fini de ranger les télécentres aux oubliettes. Du côté de la Sonatel, le discours est naturel, le constat est fait, mais quoi faire. Nul ne semble être en mesure de retenir le train du développement.
Au point d’accueil « Orange » de Thiaroye, l’on semble bien convaincu de cette éventualité. Habibatou Aîdara, chef des lieux, est persuadée que l’avènement du cellulaire a beaucoup influé sur le devenir des télécentres. « Je pense que cette situation est occasionnée par la multiplication des cellulaires devenus accessibles à tout le monde », fait-elle. Même si elle récuse la responsabilité de son institution dans la perte des télécentres.
De maintes tentatives pour entrer en contact avec M. Cissé, responsable au centre d’accueil des Parcelles Assainies ont échoué. Ce centre d’accueil des Parcelles Assainies était le seul dans la banlieue au début des années 90.
C’est par là que la majorité des gérants de la banlieue auraient négocié l’obtention de leur abonnement. Mais ces outils modernes qui ont autant servi avec mérite doivent-ils disparaître de la sorte sans qu’aucun mode de récupération ne s’est déployé .
Cherif Faye
(Source : Sud Quotidien, 28 juillet 2008)