Système éducatif sénégalais : Enjeux, pratiques et impacts des Ntic
vendredi 13 juillet 2001
Présentes au Sénégal depuis le 19ème siècle, les Nouvelles technologies de l’information et de la communication (Ntic ) y ont joué encore un
rôle dont l’importance ne cesse de croître au point de devenir aujourd’hui indispensable pour le développement économique, social et culturel
du pays. De ce point de vue, elles insufflent une nouvelle dynamique dans de nombreux secteurs d’activité du pays en général et de l’éducation
en particulier. L’importance de ce secteur qui a très tôt bénéficié de l’apport des Ntic est triple :
– D’abord par le taux de scolarisation relativement important (65,1% de la population ;
– Ensuite avec un taux d’accroissement naturel de 2,8%, les jeunes qui constituent 52% de la population sont la frange la plus touchée par
l’éducation et posent de nombreux problèmes de scolarisation et d’emploi entre autres.
– Enfin, par le fait que le système éducatif d’un pays est l’axe à partir duquel on détermine le type de citoyen qui doit accompagner et
accomplir le modèle de développement qui se construit.
En rapport avec les Ntic, de nombreuses expérimentations y avaient été faites. Ainsi, la Radio Scolaire ou la « Méthode CLAD » introduite en
1964, avait pour objectifs de combler le manque d’encadreurs et le déficit de formation des enseignants, d’harmoniser la pratique enseignante
sur l’ensemble du territoire par « une formation mode d’emploi », c’est à dire systématique ; d’améliorer le rapport
qualité-coût de l’éducation et d’augmenter le taux de scolarisation.
Cette méthode qui s’appuyait sur la radio nationale avec une assez bonne couverture géographique, finit cependant par un échec. Sa
suppression fut recommandée par les Etats généraux de l’Education et de la Formation en 198 sans avoir été évaluée. Les investigations
effectuées montrent que l’échec de cette méthode reposent sur le fait qu’elle mettait plus l’accent sur les facultés auditives que l’expression
orale primait largement sur l’écrit ; ensuite que l’enseignement et les supports pédagogiques étaient au cœur de la situation d’enseignement
apprentissage au détriment de l’élève qui se bornait à répéter les directives du maître ce qui ne libérait pas son esprit d’initiative et enfin par
le fait qu’elle ne tenait pas compte du contexte socio-culturel des élèves... Avec sa suppression, les enseignants concernés ont été « renvoyés »
dans des centres regroupés et dans les écoles régionales pour y être réformés et initiés à la « méthode active ».
Tirant les leçons de l’expérience désastreuse de la radio scolaire qui profilait déjà à l’horizon, le Sénégal va démarrer en 1978 sa Télévision
scolaire après une période de deux ans (1976-1978) et après s’être inspiré des expériences du Niger, de la Côte d’Ivoire, du Brésil, de l’Inde,
avec l’assistance de l’Agence culturelle pour la coopération culturelle et technique (ACCT) et de la coopération belge. Les objectifs étaient de
voir comment introduire les moyens modernes de communication ( de l’époque) pour une amélioration qualitative de l’enseignement, de réduire
le déphasage entre la formation et la pratique, de voir comment introduire l’aspect technologique sans
détourner l’attention des apprenants et comment utiliser les langues nationales pour un enseignement bilingue (ouolof, français)..
Ce projet devait aussi s’appuyer sur la télévision nationale qui commençait à se développer. La particularité de celui-ci était que d’une part, des
chercheurs de l’Université (CLAD-IFAN), des inspecteurs, des enseignants y étaient associés, d’autre part le travail de conception, de
réalisation, de cameraman et de photographie était exclusivement à des éducateurs. Seuls l’électronicien et le graphiste ne l’étaient pas de
peur d’un détournement des objectifs visés. Cette pratique a permis de dégager « une méthode des ensembles mathématiques », à donner un
taux moyen de réussite de 55% du CEPE (contre 43% pour la moyenne nationale) et 75% de réussite dans l’orthographe du français grâce " au
tape à l’oeil « . Elle a aussi débouché sur une émission diffusée à la télévision nationale : »Fenêtre sur l’Education".
Ce projet, tout comme celui du Projet d’Introduction de l’Informatique dans le système éducatif (PIISE) a montré les capacités des
apprenants à utiliser ces Ntic et le grand bénéfice que peut en tirer l’éducation. Ils n’excéderont cependant pas leur phase expérimentale
faute de moyens et d’une volonté politique ferme pour les vulgariser à large échelle.
L’introduction progressive et aujourd’hui accélérée des Ntic , leur appropriation à la fois graduelle (mais faible pour le moment) et
désordonnée par des acteurs aux statuts très différents (nationaux, internationaux, ONG, structures privées, télécentres, chanteurs...) sont
en train d’opérer des mutations et de les accélérer tout en entraînant des bouleversements qui s’étendent au delà de l’éducation à de
nombreux domaines de la vie économique et à des catégories socio-spatiales de plus en plus différenciées.
Cette volonté d’appropriation qui ne repose sur aucune capitalisation des expériences précédentes répond à des enjeux voire des défis que
tente de relever l’Etat sénégalais. Il s’agit entre autres, de renouveler constamment les informations, matières premières essentielles de
l’enseignement et de la recherche pour mieux être en phase avec l’évolution rapide et complexe du monde actuel ; introduire de nouvelles
méthodes d’enseignement-apprentissage qui responsabilisent les apprenants en les rendant autonomes, aptes à agir (et/ou à réagir), à
s’adapter aux mutations en cours et à prendre des décisions dans des délais brefs ; produire des contenus valables et toujours disponibles pour
tous les acteurs de l’éducation.
Si la diversité des usages est indicateurs de la présence des Ntic dans le système, il reste cependant clair que ceux-ci ne sont pas les mêmes et
ne présentent pas les mêmes impacts dans la recherche et les pratiques éducatives. Ainsi, la radio et la télévision n’y font que des présences
assez faibles qui s’expliquent par le nombre croissant de stations radios FM et de chaînes de télévisions (les bouquets) qui démultiplient les
choix tandis que la « bousculade des émissions prioritaires », l’usage collectif de la télévision et le poids prépondérant des adultes font que "l’on
préfère" les divertissements (musique, films, sports..) aux contenus qui s’adressent à une cible exclusive (acteurs de l’éducation). Sur la seule
chaîne vraiment fonctionnelle de la RTS, des émissions telles que « Regards », « La Télé est à nous »,
« Génies en herbe ».. sont souvent reléguées en second plan avant de disparaître. Cependant, disent certains élèves : "à l’approche du bac, nous
suivons le plus souvent les journaux télé et radio car on peut donner des sujets d’actualité surtout en histo-géo ". Certains enseignants
ajoutent : " nous essayons souvent de partir de situation vécue par les élèves pour les amener à mieux comprendre car comme le disait un
pédagogue, le concret vivant et non imagé est le premier garant d’une bonne compréhension".
Quant aux téléphone fixe et au fax, leurs applications à des fins pédagogiques restent quasi inexistantes car ils sont surtout réservés à des
taches administratives. Le portable, par contre, connaît un relatif « succès » dans le milieu éducatif . Outre la communication interpersonnelle,
certains apprenants qui en disposent " y stockent des informations utiles (vocabulaire, formules codées de maths..) qu’ils ressortent lors des
devoirs « , d’autres n’hésitent pas à »aller aux toilettes, à des heures convenues d’avance pour « rectifier » certaines erreurs en prenant le
contact de leur camarade se trouvant dans les toilettes voisines« . Certains enseignants évoquent »le cas d’élèves qui ont des portables
sophistiqués et qui peuvent envoyer les sujets et recevoir leurs corrigés par e-mail si les
durées des épreuves sont longues« . De plus en plus, on interdit le portable dans les classes et les établissements. »Nous utilisons aussi le
portable pour demander à nos camarades de nous dépanner quand nous avons des devoirs à faire à la maison".
Pour les Ntic d’aujourd’hui, l’ordinateur en constitue l’élément central autour duquel se greffent et se développent d’autres activités. Dans le
système éducatif, le parc informatique est faible et peut être estimé à environ 2500 unités pour le secteur public, sans tenir compte de celui
de l’Université et de ses instituts ainsi que des structures éducatives privées. Les ratios (ordinateur/nombre d’élèves) vont de 1/20 (lycées
Ahmadou Bamba de Diourbel et Mariama Bâ de Gorée) à 1/2000 (lycée des Parcelles Assainies).
On dénombre environ 70 établissements publics connectés à Internet et appartenant pour l’essentiel (environ 88%) à deux grands réseaux
nationaux (World Link et GEEP) mis en place grâce à l’appui d’organismes internationaux (Banque mondiale, Crdi, Unesco), nationaux (Acacia
etc..) et au partenariat et à la coopération. Il faut y ajouter l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, les structures privées, les entreprises qui
s’appuient sur les Ntic pour intervenir de façon plus ou moins directe ou irrégulière dans le système éducatif. La diversité des usages
(communication, documentation, recherche d’informations..) montre la capacité des acteurs à les adapter à leurs besoins. Ce qui donne
d’ailleurs des impacts positifs mais limités pour le moment comme en témoignent ces réactions d’élèves : "avant, quand on me donnait un exposé,
il fallait aller dans les bibliothèques. Maintenant, il suffit de cliquer sur un site pour trouver toutes les informations nécessaires".
Un enseignant a estimé : « En sciences physiques, puisque nous n’avons pas assez de matériel dans nos labos, nous procédons à des » expériences
virtuelles« qui réussissent toujours alors qu’avec »l’expérience physique", ça peut ne pas être ce qu’on attendait et l’on a souvent des
problèmes à expliquer pourquoi ça n’a pas marché".
Plus de 80% des personnes interrogées considèrent la maîtrise de l’outil informatique comme indispensable pour leur réussite future même s’ils
n’ont pas un contact formel avec l’ordinateur. Toutefois, on note une « résistance » quant à leur utilisation généralisée liée à la faiblesse ou à
l’absence de culture numérique et/ou de pratique des Ntic. Ce qui accroît la fracture socio-spatiale déterminée par l’accès ou non aux
équipements.
Dans tous les cas, les Ntic peuvent participer de façon efficace à la résolution des problèmes structurels et organisationnels qui frappent le
secteur éducatif. Elles peuvent appuyer à résoudre les problèmes de documentation, de leur actualisation, appuyer la formation à distance et
induire de nouvelles méthodes d’enseignement apprentissage qui responsabilisent beaucoup plus qu’elles ne fassent subir les apprenants . Leurs
impacts positifs restent limités par le caractère parcellaire des interventions, l’absence de politiques efficaces, de stratégies opérationnelles
et la faiblesse des équipements. Ce qui se traduit par l’absence de production, la faible maîtrise des pratiques et
des contrôles effectifs sur leurs impacts nécessaires à leur appropriation. Contrairement aux expériences précédentes, leur utilisation est
irréversible et ira grandissant dans le système éducatif. Il faut donc agir avec célérité mais avec intelligence pour ne pas disloquer le système
et rendre ainsi les problèmes quasi-insolubles dans ce secteur à la fois complexe et sensible.
Serigne Mbacké Seck
Professeur au lycée des Parcelles Assainies
Equipe Ntic et développement social-UNRISD
email : smseck@yahoo.fr