Startups : la Côte d’Ivoire dans la course aux licornes
mercredi 22 mars 2023
Après avoir été longtemps écartée des affaires du monde, l’Afrique s’affirme aujourd’hui comme une puissance montante dont les poids économique et démographique seront déterminants. Dans la partie occidentale du continent, cet essor se traduit par des chiffres éloquents. Cette année, la croissance de cette zone, hors Nigéria, devrait être de 5 % (contre 4,2 % l’année précédente) puis atteindre 5,6 % en 2024. Plus précisément, au Sénégal, elle devrait grimper jusqu’à 8 % en 2023, voire 10,5 % en 2024. Pour la Côte d’Ivoire, elle devrait rebondir à 6,8 %, contre 5,7 % en 2022.
Dans ce contexte positif, il est enthousiasmant de noter l’émergence d’une véritable culture startup. Plusieurs facteurs expliquent le phénomène. Tout d’abord, la région bénéficie d’une population jeune et dynamique, dont la moitié a de moins de 25 ans. Très axée sur la technologie, la jeunesse africaine est connectée au monde. Elle crée, innove et entreprend. De plus, cet élan a trouvé le soutien naturel des dirigeants et plusieurs gouvernements de la région ont mis en place des politiques favorables à l’entrepreneuriat, avec des programmes d’incubation, de financement et d’accompagnement. Ainsi, le Sénégal, en 2019, a mis en place le Start-up Act, un régime juridique adapté à l’épanouissement économique des startups nationales. Ce plan prévoit, parmi différentes mesures, des dispositions fiscales permettant d’alléger la pression financière pesant sur les jeunes entreprises.
Cette ambition ne se limite pas au Sénégal. D’autres États, notamment la Côte d’Ivoire, misent également sur le développement technologique et numérique. Considérée comme l’une des économies les plus prospères d’Afrique de l’Ouest, en grande partie grâce à ses exportations de cacao et de café, la Côte d’Ivoire est depuis toujours une terre fertile pour les entrepreneurs. En initiant une politique tournée vers les jeunes entreprises, l’État affirme sa volonté de transformer son écosystème. Cela pourrait permettre au pays de rapidement devenir la première « startup nation » africaine.
Parmi les projets d’envergure, on note Côte d’Ivoire Innovation (CI20). Ce collège d’entreprises technologiques est dirigé par de jeunes Ivoiriens via l’initiative Startup boost Capital, lancée en janvier 2023 et dotée d’un budget d’un milliard de francs CFA. À terme, CI20 doit soutenir près d’un million de projets numériques. Rappelons qu’en 2016, Bruno Koné, alors ministre de l’Économie numérique, avait déjà lancé la Fondation jeunesse numérique, un incubateur de startups ayant pour objectif de lutter contre le chômage des jeunes grâce aux TIC et qu’il avait également offert deux millions de francs CFA à un centre d’innovation technologique.
Ce contexte a permis à ce pays de voir émerger plusieurs startups qui contribuent à améliorer le contexte entrepreneurial, créant ainsi une dynamique vertueuse. On note ainsi Lifiled Ci, qui a été créée dans le but de résoudre les problèmes liés à l’inaccessibilité à internet et au déficit énergétique des populations, ou encore Etudesk, spécialisé dans les technologies de l’éducation et qui offre des formations en ligne orientées métier pour aider les étudiants et les demandeurs d’emploi à se préparer au recrutement dans les marchés émergents. Au niveau bancaire, S-Cash Payment propose un compte mobile alternatif pour particuliers et micro-entrepreneurs à faibles revenus. Pour faciliter les déplacements, Wabeyi met en relation passagers et conducteurs ayant le même trajet.
Cependant, ces succès ne doivent pas occulter les freins systémiques qui subsistent. Ainsi, malgré des investissements étatiques massifs (150 milliards de francs CFA) dans le réseau de fibre optique, les coupures de réseau restent fréquentes et ralentissent le développement des entreprises. Les startups locales attendent désormais un véritable corpus de lois capables d’encadrer et de soutenir efficacement leur développement, sur le modèle du Start Up Act sénégalais.
Ce cadre juridique devrait permettre aux startups ivoiriennes de renforcer la confiance des investisseurs étrangers, leur apport permettant l’ancrage régional, étape nécessaire avant le développement international. Ainsi, en septembre 2022, la fintech Julaya, qui facilite via une application mobile les paiements B2B pour les entreprises locales en Afrique de l’Ouest francophone, a réussi une levée de fonds en série A de cinq millions de dollars.
En résumé, des politiques visionnaires ont permis l’essor rapide d’un écosystème innovant et porteur d’avenir. Mais elles pourraient rapidement s’avérer insuffisantes si un cadre juridique et fiscal plus favorable ne permet pas d’encourager les efforts des jeunes entrepreneurs ivoiriens. C’est un enjeu de poids pour permettre à la Côte d’Ivoire, mais aussi à toute l’Afrique occidentale, de passer un cap majeur dans l’économie mondiale actuelle.
Ibrahima Camara [1]
(Source : La Tribune Afrique, 22 mars 2023)
[1] Président co-fondateur de Leicam Teaways