Au Sénégal, une nouvelle taxe qui ne passe pas. Elle concerne les paiements par téléphone, le mobile money très utilisé dans le pays. Plombé par une dette souveraine record, l’État sénégalais cherche plus de recettes. Selon le gouvernement, cette nouvelle taxe doit permettre de faire entrer 350 millions d’euros par an dans les caisses. Mais les opérateurs économiques font bloc pour rediscuter la mesure.
Adoptée en septembre dernier, la loi instaurant un prélèvement de 0,5% sur les transactions de mobile money, plafonné à 2 000 F CFA (environ 3 euros), n’est pas encore entrée en vigueur. Mais déjà, elle suscite de vives inquiétudes chez les acteurs du numérique et du commerce au Sénégal.
Dans un pays où plus de 80% des adultes possèdent un compte de mobile money, cette mesure pourrait bouleverser les habitudes financières des Sénégalais, estime Joelle Sow, secrétaire générale de la coopérative Digital Senegal, qui regroupe les entreprises sénégalaises du numérique. « La croissance du mobile money profite beaucoup à l’économie. Donc une décroissance de cette industrie aura des répercussions collatérales un peu partout. Les commerçants reviendront au cash, le particulier lambda reviendra au cash. Tout le tissu économique informel va se poser la question : est-ce que je continue ou je ne continue pas ? », analyse Joelle Sow.
Une manne fiscale pour l’État, mais un risque pour l’économie informelle
Pour le gouvernement et les défenseurs de la loi, cette taxe doit permettre au secteur du mobile money de contribuer à l’effort national de mobilisation des ressources. Mais du côté des petits commerçants, l’inquiétude est palpable. Ces derniers ont adopté les transferts d’argent par téléphone parce qu’ils étaient simples, rapides et peu coûteux. Avec la nouvelle taxe, ils redoutent un manque à gagner significatif.
Sidy Niang, cofondateur de la startup Maad, l’un des plus importants grossistes alimentaires de Dakar, alerte sur les conséquences concrètes pour son secteur : « Dans l’agroalimentaire, 0,5%, ce n’est pas du tout négligeable. Si je donne un exemple aujourd’hui, le sac de sucre qu’on va vendre à un boutiquier à 26 900 francs, après la taxe, il va se retrouver à 27 160. Ça va être surtout la population en boutique, une population avec un pouvoir d’achat limité. »
« Il y a assez de taxes au Sénégal »
Au-delà du surcoût pour les commerçants et consommateurs, les professionnels du numérique dénoncent une approche jugée injuste. Le secteur du mobile money, en forte croissance depuis la pandémie, s’est imposé comme un pilier du commerce sénégalais. Il facilite les paiements dans un pays où le secteur informel représente près de 46% de la richesse créée chaque année.
Pour Sidy Niang, cette taxe risque d’alourdir encore la charge fiscale sur les acteurs déjà en règle : « Il y a assez de taxes au Sénégal. On le sait tous, mais sauf qu’en fait, il y a beaucoup d’acteurs qui sont informels, qui n’ont pas payé la taxe. Donc la solution, c’est justement d’élargir l’assiette fiscale, donc aller voir sur les taxes existantes comment faire pour qu’un plus grand nombre paie. Là, ce n’est pas élargir l’assiette fiscale, c’est taxer plus les acteurs qui paient déjà leur taxe. »
Les professionnels du secteur réclament par conséquent une concertation nationale pour revoir la mesure, voire en différer l’application. Les détracteurs de cette taxe s’appuient sur un exemple régional : celui de la Tanzanie. En 2021, l’introduction d’une taxe de 1% sur les transactions mobile money avait provoqué une chute de 38% des transferts de personne à personne. Face à la grogne, le gouvernement tanzanien avait dû réduire puis réviser la mesure, reconnaissant ses effets contre-productifs sur l’économie.
(Source : RFI, 30 octobre 2025)
OSIRIS
Sénégal : une nouvelle taxe sur le mobile money qui ne passe pas