Tract renaît de ses cendres, ce jeudi 8 mars, en faisant le pari du web. Après avoir disparu des kiosques en 2002, ce nouveau venu sur la toile sénégalaise entend « parler de choses sérieuses, en restant léger ».
C’est Youssou Ndour, « star planétaire » du mbalax sénégalais et ministre conseiller du président Macky Sall qui sera à la Une de Tract, ce jeudi. Et en particulier une de ses plus récentes sorties médiatiques qui, depuis, fait couler beaucoup d’encre à Dakar. « Je suis déçu », a en effet lâché début mars le chanteur et ex-ministre de la Culture et du tourisme dans une interview sur « sa » télé, la TFM. Cible de ses critiques : le fonctionnement de Benno Bokk Yakaar, la coalition présidentielle à laquelle il appartient. Et à voir la ligne éditoriale que se propose de suivre Tract, on ne peut qu’imaginer un traitement pour le moins salé.
Un journal « sérieux et impertinent »
Chaque lundi matin, une photo de nu érotique signée par le Béninois Erick-Christian Ahounou accueillera le lecteur de Tract. Une manière de souhaiter une bonne semaine aux internautes friands de courbes flatteuses, et de les inciter à découvrir plus en avant le contenu du site.
« On veut être un journal sérieux, sans être soporifique, explique son directeur de la publication Ousseynou Nar Gueye, qui officie également au parti Sud de Moustapha Mamba Guirassy. Chaque jour, nous aurons au moins un texte original, avec un fort parti pris. Tract parlera de politique, d’économie [à travers ‘l’Éco des savanes’, NDLR], de culture et de mode, mais en gardant un ton léger et désinvolte. »
Une impertinence que l’on retrouve dans le choix et le traitement des articles, et qui n’est pas sans rappeler certains titres de la presse satirique. Rien d’étonnant à cela : Ousseynou Nar Gueye a été pendant quatre ans aux manettes du P’tit railleur sénégalais, un journal connu pour ses portraits grinçants d’hommes et de femmes politiques et de personnalités du show-business.
Une place faite au dessin
Son directeur confesse également être « biberonné depuis quinze ans au Canard Enchaîné et à Charlie Hebdo ». Une confession plutôt rare au Sénégal, où Charlie est loin d’avoir bonne presse depuis la publication des caricatures de Mahomet.
Cette veine incisive se retrouve également dans la place faite au dessin, avec la présence trois fois par semaine de Oumar Diakité et de son personnage fétiche Issa Koor. Plus connu sous son pseudonyme de Odia, ce caricaturiste de talent exerce depuis plus de trente ans dans les journaux sénégalais. Un crayon acéré et sans concessions, qui trouve son inspiration notamment du côté de Cabu – le dessinateur assassiné en janvier 2015 dans les locaux de Charlie Hebdo.
Tract, qui revendique une dizaine de collaborateurs, prêtera également une oreille attentive aux faits divers. « C’est un élément important pour comprendre une société, justifie son directeur de publication. Et puis, même si nous sommes un peuple pudibond, les Sénégalais sont friands de ce genre d’informations. C’est un petit plaisir coupable. »
Quel modèle économique ?
Avant d’être un site Internet, Tract a été au début des années 2000 un quotidien papier sous format tabloïd, qui a périclité deux ans après sa naissance pour des raisons financières. Celui-ci est resté dans les mémoires pour son photomontage représentant le Premier ministre de l’époque, Mamadou Lamine Loum, avec le corps d’une mannequin en bikini. Une outrecuidance qui vaudra à Ousseynou Nar Gueye, déjà rédacteur en chef du quotidien, une garde à vue dans les locaux de la police pendant trois jours.
Pourquoi avoir décidé de migrer vers le Web ? « Le papier n’est plus le premier mode de consommation de l’information », explique Ousseynou Nar Gueye, qui mentionne la triste fin du Nouvel Horizon. Cet hebdomadaire historique de la presse sénégalaise, qui ne tirait plus qu’à un peu moins de 10 000 exemplaires par semaine, a tiré sa révérence au début du mois de janvier.
Mais le web sénégalais – où l’on compte plus de 200 sites d’information – offre-t-il de réelles perspectives d’avenir ? « Nous pensons avoir un modèle économique viable, se contente de répondre son directeur. Mais il est encore trop tôt pour le dévoiler. D’autres pourraient le prendre. » Reste le principal défi de Tract, comme le rappelle Ousseynou Nar Gueye dans son édito : « Celui de rencontrer nos lecteurs. »
Olivier Liffran
(Source : Jeune Afrique, 7 mars 2018)