Sékou Dramé, DG de la Sonatel : « Nous continuerons à explorer les opportunités dans la sous-région »
dimanche 30 mai 2021
En dépit d’un contexte difficile marqué par l’impact de la Covid-19 et une « intensité concurrentielle inédite » sur son marché originel, la Sonatel s’est montrée résiliente, dévoilant, pour l’exercice 2020, de « très bonnes performances financières et opérationnelles ». L’opérateur télécom poursuit même son expansion dans la sous-région avec la signature, le 21 mai dernier, d’une convention pour la gestion déléguée de la Société béninoise d’infrastructures numériques (Sbin). Dans cet entretien réalisé en marge de cet événement tenu à Cotonou, son Directeur général, Sékou Dramé, explique les stratégies de développement et commente l’actualité nationale, notamment la mise en demeure adressée à la Sonatel par l’Artp pour non-respect de la réglementation sur la portabilité.
Monsieur le Directeur général, jusque-là, la stratégie d’expansion de la Sonatel dans la sous-région se faisait sous forme d’ouverture de nouvelles filiales. Vous venez de signer une convention avec l’État béninois pour la gestion de la Sbin. Pouvez-vous nous expliquer la particularité de ce partenariat ?
Effectivement, jusque-là, notre stratégie donnait une part importante à la croissance inorganique qui nous a conduits à ouvrir de nouvelles filiales dans la sous-région. Aujourd’hui, la convention de la délégation de la Sbin que nous avons signée rentre également en droite ligne avec cette volonté de continuer à avoir cette croissance inorganique, en plus des opérations existantes. Si vous regardez l’environnement des télécommunications en Afrique, cela nous oblige à explorer toutes les opportunités. Les possibilités de nouvelles licences sont restreintes sur notre terrain de jeu qu’est l’Afrique de l’Ouest. Nous sommes extrêmement heureux d’avoir eu cette opportunité et cette confiance du Bénin. C’est une mission que nous acceptons avec honneur et humilité, mais nous sommes confiants que nous serons capables de l’exécuter. Cette convention permettra concrètement la mise en œuvre des réformes structurelles que l’État béninois a décidé de mettre en place, avec une gestion déléguée qui est confiée à la Sonatel pour accompagner la Sbin par un partage de compétences techniques et commerciales, d’expériences sur l’élaboration et l’exécution d’un schéma directeur, le déploiement d’un réseau mobile de dernière génération mais également le lancement de services mobiles et de services financiers mobiles. C’est finalement un complément dans cette stratégie d’expansion de croissance inorganique.
Le Bénin attend beaucoup de ce partenariat. Comment comptez-vous rendre la Sbin performante ?
Aujourd’hui, nous avons un contexte concurrentiel au Bénin marqué par la présence d’acteurs très importants (Mtn et Moov), que nous connaissons bien et que nous respectons. Dans notre histoire, nous avons eu à capitaliser sur l’expérience que nous avons sur plusieurs opérations. Certaines que nous avons démarrées ex-nihilo, d’autres que nous avons reprises ; ce qui nous a permis, aujourd’hui, d’avoir une masse critique de talents mais surtout une gouvernance qui, nous l’espérons, nous permettra, en la mettant à la disposition de la Sbin, de relever ce challenge.
Comment voyez-vous la configuration du marché des télécommunications au Bénin ?
C’est un marché très concurrentiel. Notre ambition est de pouvoir mettre en œuvre tous les leviers en termes de développement du capital humain, d’innovation et de gouvernance en nous appuyant sur le groupe Orange sur lequel nous nous adossons pour amener la Sbin à un très bon niveau de performance opérationnelle, un modèle centré sur le client, l’excellence des pratiques afin d’occuper la meilleure position possible dans cet environnement concurrentiel au Bénin.
Y a-t-il des objectifs chiffrés assignés à la Sonatel, notamment en termes de pénétration de marché ?
Dans le cadre de la réforme, la Sbin a été autorisée à acquérir une licence mobile. Les objectifs seront déclinés dans le cahier des charges et il s’agira pour l’équipe dirigeante de mettre en œuvre, dans le cadre de la politique d’investissement, les objectifs en termes de couverture, de déploiement de réseau et de disponibilité des réseaux et services, mais également de positionner la Sbin comme un catalyseur de l’écosystème numérique du Bénin et de l’Afrique de l’Ouest.
Quelles sont les perspectives en termes d’expansion pour la Sonatel ?
Nous continuerons à explorer toutes les opportunités qui s’offrent à nous dans la sous-région. Nous l’avons fait avec bonheur au Sénégal, au Mali, en Guinée, en Guinée-Bissau et en Sierra Leone. Aujourd’hui, nous avons l’opportunité de le faire au Bénin, mais sur un modèle un peu différent. Nous avons, dans le groupe, une gouvernance solide qui nous permet, chaque fois que l’environnement des affaires le permet, de pouvoir nous projeter et de faire cette proposition de valeur dans des pays qui le désirent sous différentes formes : création de filiales, gestion déléguée… Nous avons récemment lancé une co-entreprise pour gérer les infrastructures télécoms de l’Omvs. Nous avons toutes ces pistes que nous explorons sur notre terrain de jeu qu’est l’Afrique de l’Ouest et nous espérons que certaines d’entre elles aboutiront.
En 2020, la Sonatel a dévoilé des chiffres positifs dans un contexte de Covid-19. Quels sont les principaux enseignements que vous tirez de cette crise sanitaire ?
C’est vrai que le groupe Sonatel, dans son ensemble, a eu de très bonnes performances financières et opérationnelles dans un contexte particulier. Nous avons fait face, en 2020, à des défis inédits avec cette pandémie qui a affecté toutes nos opérations, notamment à cause des restrictions au premier trimestre. Mais également, 2020 a été marquée par une intensité concurrentielle inédite au Sénégal, entrainant un recul de notre part de marché de -4,6 % et une baisse de notre chiffre d’affaires dans le pays. Il s’y ajoute les impacts de change en Guinée-Bissau et en Sierra Leone. Mais, malgré cela, nous avons eu une très bonne performance grâce à la confiance de nos clients et l’excellence opérationnelle. Le premier enseignement que nous tirons de cette crise, c’est la nécessité d’avoir une croissance inclusive et d’assumer notre Responsabilité sociétale d’entreprise dans chacune de nos opérations. À ce titre, le groupe Sonatel a été présent, avec plus de trois milliards de FCfa de contribution, à la lutte contre la Covid-19 dans nos différents pays de présence. Cette crise a aussi montré que nous entrons dans une phase d’accélération de la transformation numérique. C’est un défi particulier pour le groupe Sonatel de faire en sorte que celle-ci soit une réalité pour l’ensemble des secteurs d’activités de nos pays. Nous avons, dans ce cadre, mis en place un certain nombre de mesures pour accompagner cette dynamique, avec notamment des services pour permettre le télétravail ou le téléenseignement. Il reste encore beaucoup à faire, spécialement continuer à préparer nos réseaux pour pouvoir absorber cette hausse du trafic de données liée à ces changements. Mais, l’enseignement clé, c’est la nécessité de renforcer le lien social et humain. Et notre responsabilité particulière est de fournir les outils et le cadre pour que cela puisse être une réalité. Toutefois, cette transformation numérique ne va pas sans des challenges, notamment en matière de cybersécurité. Cela induit une nécessité d’enrichir cette connectivité avec une couche de sécurité et de protection. C’est ce qui explique tous les investissements que nous faisons dans nos Datacenters, la formation et l’acquisition des compétences. L’autre challenge concerne les usages. D’abord, en proposant des services qui, nous pensons, vont faciliter la vie des populations (exemple des services financiers mobiles). Ensuite, avec une politique résolue d’ouverture, de partenariat, puisque nous estimons que notre rôle est d’être un catalyseur d’un écosystème numérique dynamique et capable de proposer des solutions numériques innovantes, qui répondent aux besoins des populations.
En avril dernier, la Sonatel a été mise en demeure par l’Artp pour « pratiques anticoncurrentielles » (non-respect de la portabilité) ? Qu’est-ce que vous pouvez-vous nous dire sur ce dossier et est-ce que votre société respecte les décisions du régulateur ?
La Sonatel accorde un prix extrêmement élevé au respect des lois et règlements dans tous les pays où elle opère, y compris notre marché originel, le Sénégal. Nous sommes très regardants sur les aspects conformité en général. Pour rappel, la portabilité, c’est un mécanisme qui permet à un client, en toute connaissance de cause, de changer d’opérateur tout en gardant son numéro. Il y a un certain nombre de dispositions prévues par la législation pour assurer la mise en œuvre correcte de cette opération. Cela fait cinq ans, depuis septembre 2015, que les clients ont cette possibilité sans grande difficulté. Ce qui s’est passé, c’est qu’à partir de février 2020, nous avons commencé à recevoir beaucoup de réclamations de clients qui se plaignaient d’avoir subi une portabilité sans l’avoir sollicitée. Ce phénomène ayant pris de l’ampleur, nous nous en sommes ouverts au régulateur. D’abord, par une saisine au mois de février suivie d’autres, et le régulateur a mené une enquête et audité la mise en œuvre du processus de portabilité chez tous les opérateurs. À l’issue de cette mission, un de nos concurrents qui a été incriminé a été mis en demeure pour arrêter ces pratiques de portabilité frauduleuses. Dans ce processus très fouillée du régulateur, il a été constaté, chez Sonatel, le non-respect de certains dispositifs puisque nous avions souhaité, pour rendre ce processus fluide, automatiser certaines étapes. Et dès que cela a été relevé, nous avons, bien entendu, corrigé et nous nous sommes immédiatement mis en conformité. Cela nous permet de continuer à nous améliorer dans notre ambition d’être résolument orientés vers le client et d’être diligents dans la réalisation de tout ce que veulent nos clients, y compris nous quitter. Car un client qui peut quitter un opérateur sans entrave sera heureux de revenir.
L’Artp a dit que les arguments invoqués par la Sonatel pour les motifs de rejet de demandes de portabilité ne sont pas fondés…
Comme je l’ai dit, nous avions souhaité, dans le cadre de la diligence à apporter sur ce processus, automatiser certains traitements et l’Artp a relevé des dysfonctionnements dans cette automatisation qui ont été corrigés. Nous nous réjouissons surtout que cet audit poussé du processus de portabilité ait amené plus de rigueur, pour que les pratiques frauduleuses pour lesquelles un de nos concurrents a été mis en demeure cessent enfin, parce que c’est très douloureux pour un client de se lever un matin et se rendre compte qu’il a changé d’opérateur sans le demander, qu’il ne peut plus utiliser son compte Orange Money, alors que le processus normal permet quand même de le faire sans avoir toutes ces tensions inutiles. Nous continuerons d’agir, en ce qui nous concerne, dans le strict respect de la réglementation et des orientations fixées par l’autorité de régulation.
Propos recueillis par Seydou Ka
(Source : Le Soleil, 30 mai 2021)