Il n’échappe à personne que l’acquisition de la licence 4 G et la mise en service de la 4 G font entrer le Sénégal de plain-pied dans la société de l’information. Le renouvellement par l’état sénégalais de sa concession et l’octroi de la licence 4 G pour dix-sept ans constituent un jalon supplémentaire dans l’acquisition de nouvelles chaînes de valeurs dans l’immense étendue d’opportunités offertes par l’économie et la culture numériques. Dans la foulée, l’opérateur historique sénégalais vient d’engranger 100 %, de l’Airtel, filiale du Groupe hollandais, Bharti International et principal opérateur mobile en Sierra Léone, avec son partenaire stratégique Orange. La nouvelle structure sera dirigée par un cadre sénégalais, issu de la Sonatel, Djibril Dramé. Cette acquisition obtenue, après un précieux coup de pouce de l’Etat sénégalais, permet à la Sonatel de renforcer son implantation en Afrique, à la suite celles du Mali (2001), de la Guinée (2007) et la Guinée-Bissau (2007. Dans l’escarcelle sonatélienne un bassin potentiel de 20 millions d’abonnés ! Heureuse concomitance, qui suscite malgré tout doute, scepticisme et acerbes critiques.
On peut s’étonner voire s’indigner qu’en dépit de ces performances, l’un des fleurons de notre économie (12,5 % de notre Pib) reçoive une telle volée de bois de vert d’associations de consommateurs, d’organisations sociales et même de l’organe nationale de régulation. Les raisons et motivations, des uns et des autres, sont diverses et variées. Mais il serait contre-productif de les ignorer.
Quoi de plus normal pour des consuméristes de réclamer une meilleure qualité de service et une plus grande accessibilité ? Comment ne pas s’assurer que le partenariat avec France Télécom ne va pas obérer le développement de la Sonatel ? Surtout dans un contexte de retour en force des intérêts français au Sénégal, dans des secteurs névralgiques comme les infrastructures portuaires, routières, l’industrie extractive et le capital foncier ! Comment, faire en sorte que les Sénégalais tirent le meilleur profit économique et social des performances de la Sonatel, en préservant ses intérêts face au géant des télécoms françaises ?
Il y a, cependant probablement une question aussi stratégique qu’il convient de se poser. Comment intégrer dans l’analyse des enjeux du secteur, l’impact de la globalisation, le poids des multinationales et leur extraordinaire force de frappe financière ? Et comment prendre en compte, au moindre frais, toute la logistique de la géopolitique des grands états, qui trouve leur prolongement sur le terrain des marchés. Le secteur des télécommunications, porteur de croissance, et de compétitivité internationale, et autres enjeux stratégiques en termes de contrôle de l’information, comme outil à la décision, ne peut y échapper. En Europe et singulièrement, la politique et les affaires font bon ménage. C’est à la faveur de cette diplomatie économique que la puissance politique des Etats puissants exerce à travers les grandes entreprises, tous secteurs confondus leur pouvoir économique sur les pays moins nantis, et politiquement peu représentatifs.
Depuis bientôt trente ans, l’opérateur français à travers France Câble Radio a toujours accompagné le secteur des télécoms au Sénégal, de Télésénégal à nos jours. Toutes les évolutions technologiques, les performances commerciales, techniques et professionnelles, sont le fruit d’un partenariat conséquent, qui a profité aux deux parties. Mais à l’arrivée, la posture actuelle de la Sonatel et du secteur des télécoms au Sénégal doit son formidable expansion à ce partenariat. Ce serait preuve d’angélisme, que de croire que ce transfert de technologie, de compétence professionnelle et de valeur ajoutée, ne génère pas de plus-values aux partenaires techniques. Même dans les monarchies arabes du Golfe, ce rapport de domination s’exerce encore de façon plus nette ? Le combat des altermondialistes, de Davos à Montréal, s’évertue précisément à inverser cette tendance prédominante.
Au Sénégal, l’exemple du secteur de l’eau illustre parfaitement ce cas. Sans l’appui et certainement la présence marquante des partenaires techniques et financiers de Vivendi à Erano, en passant par Bouygues et Finagestion. Il en est ainsi du secteur hydraulique ivoirien, qui partage les mêmes partenaires que la Sénégalaise des Eaux. Il apparaît donc essentiel d’approcher l’analyse sous l’angle systémique pour que nos Etats, sur les frêles épaules, arrivent tout de même à donner à nos sociétés nationales tout l’appui dont elles ont besoin, pour tirer tous les profits d’un partenariat public privé (Ppp) équilibré. A l’heure où les Accords de partenariat économique (Ape) pointent à l’horizon, ce recadrage relève d’une vitale nécessité. Certes France Télécom détient encore 42 % du capital de la Sonatel. Et probablement aspire à bien plus.
Il faut tout de même reconnaître que l’Etat, (27% du capital) depuis bientôt trente ans, a mis la Sonatel dans les meilleures conditions d’épanouissement. L’avance considérable que l’opérateur historique sénégalais a prise sur les autres pays au Pib dix fois plus élevé que le nôtre le prouve aisément. La Sonatel est le seul opérateur historique qui ait réussi une croissance externe aussi importante avec un partenaire stratégique qui ne détient pas la majorité du capital. Dans Maroc Télécom, Côte d’Ivoire télécom et Mauritius télécom, l’opérateur français est pourtant majoritaire.
Sans doute faut-il aussi le reconnaître, l’apport de France Télécom a été déterminant dans l’expansion de la Sonatel. Même si au demeurant, ce gain de part de marché profite aussi à l’opérateur français dont les chiffres d’affaires hors de France sont estimés à 50 %. En valeur absolue, la Sonatel fait aussi une bonne affaire en son volume d’affaires à plus de 800 milliards de FCfa, dont 450 milliards sont redistribués au Sénégal. Elle reste aussi la première capitalisation boursière à la Bourse régionale des valeurs mobilières (Brvm) dont la présidence du conseil est assurée par notre compatriote Pierre Goudiaby Atepa.
Dans un monde globalisé où la conquête de nouvelles parts de marchés est une exigence de survie, la Sonatel aurait tort de ne pas adopter une stratégie de relais de croissance. Avec l’appui des dirigeants régimes, elle semble s’y atteler et de manière plus marquée, ces quinze dernières années. L’Etat sénégalais a donc accompagné la vision des dirigeants sénégalais, sans doute. Mais sans le modèle économique partagé entre Orange et Sénégal, le succès n’était pas forcément garanti.
Néanmoins, la Sonatel devrait garder l’œil sur le viseur, et éviter d’être entraînée dans une logique de diversification et de mutation technologique, nuisible à ses équilibres macroéconomiques et sociaux. La froide logique des grands groupes les conduit souvent à des options purement mercantilistes, au détriment de l’équilibre social et économique d’entreprises stratégiques comme la Sonatel, évoluant dans un contexte socio-économique particulier. Les dirigeants de la Sonatel, l’Etat, l’organe de régulation, les partenaires sociaux, les associations de consommateurs ont l’impérieux devoir de garder ce cap de la performance. Le secteur des télécoms fait partie des moteurs de croissance sur lesquels le Plan Sénégal émergent, compte pour notre décollage économique.
Momar Seyni Ndiaye
Consultant en Communication
(Source : Le Soleil, 19 août 2016)