Depuis plus de deux décennies, l’un des défis auxquels le continent africain est durablement confronté et s’emploie à résoudre est celui de la connectivité de sa population, ses entreprises, son administration et ses territoires. Le défi de la connectivité englobe aussi celui du développement, tant l’avenir du continent est lié à celui de sa transformation numérique et tant la question de l’emploi des jeunes l’est également.
Au Sénégal, la prise en charge de la connectivité se résume, globalement, à l’exécution d’une politique publique comportant trois volets :
- Des concessions accordées aux opérateurs de télécommunications qui sont soumis à des obligations de couverture du territoire national et de la population ;
- Un service universel doté d’un fonds spécial (FDSUT) dont la finalité consiste à couvrir les zones économiquement non rentables et permettre à tout citoyen de disposer « d’un ensemble minimal de services, dans des conditions tarifaires abordables » ;
- Un réseau public géré par l’Agence de l’Informatique de l’Etat (ADIE) dont la mission porte sur la modernisation et la connexion de l’administration, ainsi que la numérisation des démarches.
La mise en œuvre de cette politique a fait ses preuves. En effet, notre pays dispose d’infrastructures de télécommunications de qualité, adopte les technologies mobiles de dernière génération et détient un réseau public qui maille le territoire national.
En revanche, le bilan de la prise en charge du monde rural et des structures publiques décentralisées est moins positif. La poursuite du scénario tendanciel, sans interventions nouvelles visant à rectifier ou infléchir les inégalités, ne permettrait pas d’atteindre les objectifs de connectivité. Un nouveau cap doit nécessairement être fixé. Ce dernier correspond au scénario tendanciel corrigé par de nouvelles orientations et actions stratégiques visant à consolider les acquis et corriger les évolutions non souhaitées.
En revanche, le bilan de la prise en charge du monde rural et des structures publiques décentralisées est moins positif. La poursuite du scénario tendanciel, sans interventions nouvelles visant à rectifier ou infléchir les inégalités, ne permettrait pas d’atteindre les objectifs de connectivité. Un nouveau cap doit nécessairement être fixé. Ce dernier correspond au scénario tendanciel corrigé par de nouvelles orientations et actions stratégiques visant à consolider les acquis et corriger les évolutions non souhaitées.
Pour cela, il est important, à la fois, d’envisager certaines réformes dans les trois domaines listés ci-dessous et de renforcer le dialogue autour de ces différents points.
1. Conférer des compétences en matière de télécommunications aux collectivités locales
« Le numérique pour tous et pour tous les usages au Sénégal » pose comme préalable un accès pour tous, à l’échelle du territoire national et la satisfaction des besoins pluriels de toutes les couches de population. Cette vision, déclinée dans la stratégie Sénégal Numérique 2025, s’adosse, en réalité, sur le respect des principes d’équité et de non-discrimination en matière d’aménagement du territoire. Or, les infrastructures de télécommunications sont réparties de manière inégale entre les localités [1] et, au sein de nos territoires, subsistent de nombreuses fractures, de nouveaux clivages, des difficultés d’accès [2] multiformes et des besoins en services numériques variés.
A l’évidence, la poursuite du schéma actuel ne permettrait pas de modifier, en profondeur et dans le sens souhaité, le visage de nos territoires et de garantir, à chacun, un accès à l’ensemble des services innovants offerts par Internet. Dès lors, il serait important de conférer aux collectivités locales des compétences en matière de télécommunications et leur permettre d’œuvrer pleinement à l’atteinte de l’ambitieux objectif de l’acte 3 de la décentralisation [3] : « organiser le Sénégal [4] en territoires viables, compétitifs et porteurs de développement durable ». L’Etat a élargi les compétences transférées aux collectivités locales (14 compétences au total contre 9) [5] sans y inclure les télécommunications. Pourtant, il est reconnu que le déficit en infrastructures, notamment de télécommunications et la faible disponibilité de services numériques, est un frein à l’attractivité et la compétitivité des territoires. D’ailleurs, ce constat est clairement établi dans le Plan national d’Aménagement et de Développement territorial (PNADT). En effet, dans son analyse, l’Agence nationale de l’Aménagement du Territoire (ANAT) a confirmé, avec clarté et pertinence, le déséquilibre entre les territoires sur le plan de leur accessibilité et de leur compétitivité dans la société de l’information [6]. Ainsi, dans la vision et les orientations stratégiques, l’ANAT prône la promotion d’un aménagement numérique du territoire et l’émergence de pôles de développement technologiques comme moyens de concourir à l’atteinte de l’objectif de l’acte 3 de la décentralisation.
Cependant, il convient de préciser qu’il ne s’agit pas de conférer aux collectivités locales les prérogatives de l’Etat (attribution de concessions à vocation nationale, ressources rares, cahiers des charges, etc.), mais d’en faire des parties prenantes, des acteurs du désenclavement numérique, de l’attractivité et de la compétitivitééconomique de leur territoire et, lorsque nécessaire avec un encadrement spécifique, des moteurs dans le déploiement de projets de réseaux locaux destinés à couvrir des besoins particuliers.
2. Promouvoir la fonction économique des territoires grâce au numérique
L’attractivité et la compétitivité constituent les deux principaux axes de la politique de transformation de nos territoires en véritables pôles de développement. Compte tenu des enjeux et défis, actuels et futurs, ce socle biface est fortement corrélé aux dispositifs numériques déployés dans les localités, en particulier celles de l’intérieur du pays. En effet, quelles que soient les spécificités des territoires, le numérique apparait comme un outil de facilitation ou un raccourci à tout programme de développement économique local. A cet effet, un mécanisme financier spécifique, le Fonds de Développement du Service Universel des Télécommunications (FDSUT) est institué pour, non seulement participer à la résorption du déficit d’accès aux réseaux de télécommunications, mais contribuer au déploiement de projets et programmes d’insertion dans la vie économique et sociale des collectivités.
L’aménagement numérique des territoires est donc, à la fois, un enjeu de promotion de la fonction économique des localités et un enjeu de valorisation des entreprises : la disponibilité d’un Internet de qualité permet aux entreprises (PME, Start up, etc.) de disposer des prérequis techniques nécessaires pour adresser les opportunités non encore exploitées du Sénégal des profondeurs. Au-delà de l’accès aux infrastructures, l’enjeu est également de permettre à tous les citoyens, quel que soit leur lieu de vie, d’accéder et de se familiariser avec les possibilités offertes par les technologies numériques, pour mieux participer à la vie sociale, entreprendre et réaliser des projets. Enfin, il s’agit également de relever le défi de la modernisation des usages et des services publics dans les territoires, notamment d’e-santé, e-éducation, e- administration, e-agriculture et bien d’autres e-services locaux particuliers (gestion foncière, géolocalisation du cheptel, gestion des embarcations de pêche, système de transport des productions agricoles, etc.) comme complément de l’aménagement numérique et comme véritable rôle confié aux territoires dans la diffusion du numérique.
Un tel pari articulant le développement économique et l’usage du numérique dans les territoires trouvera, en dehors des instruments de financements traditionnels de l’Etat, un écho favorable auprès des partenaires au développement et de la coopération décentralisée.
3. Elargir le cadre de mise en œuvre des politiques de connectivité aux acteurs locaux
La mise en œuvre de la politique de connectivité repose principalement sur deux entités [7] : l’Autorité de régulation (ARTP) pour le suivi des engagements des opérateurs et l’Unité de Coordination et de Gestion (UCG/FDSUT) pour l’accès universel des populations et territoires non couverts et/ou impactés par les activités des exploitants de réseaux ouverts au public.
Ces deux entités, dotées de prérogatives complémentaires, ont à disposition des ressources humaines de qualité et des outils adaptés pour mener à bien leurs missions respectives.
Cependant, la concrétisation des visons combinées de la politique numérique et celle de territorialisation, nécessite l’intégration de critères qui ne relèvent pas exclusivement du seul cadre sectoriel des télécommunications.
Dans cet optique, l’élargissement du cadre institutionnel à d’autres structures et instances permettrait d’aboutir à une vision concertée et consensuelle des objectifs d’aménagement numérique du territoire et une meilleure coordination de la politique de connectivité. Sous ce rapport, il serait important d’associer, d’une part, l’Agence nationale de l’Aménagement du Territoire dans le cadre stratégique en raison de son expertise et ses attributions (dynamique spatiale, cartographie fiable…) et, d’autre part, les instances des élus locaux à l’image de l’Association des Maires du Sénégal (AMS) ou l’Union des Associations des Elus Locaux (UAEL), dans le cadre opérationnel (connaissance fine des spécificités des terroirs, des besoins et attentes de leurs administrés).
De plus, un dialogue permanent avec les instances des Elus Locaux serait un atout important pour alimenter les réflexions et travaux conjoints du régulateur et de l’organe de coordination du service universel. Cet échange représente, également, une opportunité d’améliorer les relations entre les opérateurs et les Elus dans la résolution des questions relatives aux sites et servitudes et aux implantations des antennes et autres systèmes d’accroche dans les collectivités.
Ousmane Ndiaye
(Source : Social Net Link, 30 novembre 2020)
[1] Plan National Haut Débit du Sénégal (PNHD) – Juin 2018 – Etat des lieux des infrastructures pages 42 à 72 2 2 PNDH – Page 65
[2] 45% des villages du Sénégal sont situés à plus de 10 km d’un réseau fibre optique, seuls 36% des communes présentent un taux de 100% de localités en 2G, 12% des communes en 3G et peu en 4G
[3] Loi n°2013-10 du 28 décembre 2013 portant Code général des Collectivités locales
[4] Le Sénégal compte aujourd’hui 557 communes dont 5 villes (Dakar, Pikine, Guédiawaye, Rufisque, Thiès)
[5] 5 Livre II du Code général des Collectivités locales – art.278 à art.319
[6] PNADT – Rapport final juin 2020 – Pages 116, 120, 127, 128
[7] Il s’agit du cadre institué par le Code des communications électroniques qui ne prend pas en compte les 4 activités de l’ADIE.