Réinstauration de la taxation sur les appels entrants : Enjeux et faisabilité d’une politique fiscale
lundi 30 décembre 2024
Lors de sa Déclaration de politique générale, le Premier ministre, Ousmane Sonko, a affirmé la volonté de l’État de réinstaurer la taxation sur les appels téléphoniques entrants. Quel est le potentiel fiscal réel ? Comment aborder cette politique dans un contexte de développement des Gafam ? Des experts abordent les enjeux et faisabilité.
Le gouvernement va travailler sur la réinstauration de la taxation sur les appels entrants, a assuré le Premier ministre, Ousmane Sonko, vendredi, lors de sa Déclaration de politique générale. Cela fait partie du plan concocté pour augmenter significativement les recettes fiscales. Il est attendu, selon lui, un gain de 50 milliards de FCfa par an. Selon l’expert et directeur des systèmes d’information chez Promobile, Birame Diop, les appels entrants sont les appels émis à partir de l’international ayant comme destination le Sénégal. Par exemple, dit-il, un appel de la France vers le Sénégal ou encore un appel du Mali vers le Sénégal peut être considéré comme un appel entrant. Chaque appel entrant, poursuit le spécialiste, a un coût d’acheminement (interco) vers le Sénégal. Ce coût est supporté par l’opérateur d’origine qui, à son tour, le fera supporter à son client. « Les appels entrants sont classés comme des marchandises intangibles.
En ce qui concerne toute marchandise importée dans un pays, des droits de douane (régime C) sont appliqués. Dans le secteur des télécommunications, chaque appel est identifié par un Call data record (Cdr). La facturation ainsi que les taxes sont calculées à partir de ce Cdr », explique l’expert. À ses yeux, taxer les appels entrants revient donc à appliquer un impôt supplémentaire sur les Cdr associés. Faisant l’historique de cette politique, Birame Diop souligne que la suppression du contrôle et de la taxation des appels entrants depuis l’étranger a été décidée en 2012, juste quelques mois après l’arrivée au pouvoir de Macky Sall. « Le décret portant sur la taxation des appels entrants internationaux avait été signé par le président d’alors, Abdoulaye Wade, en août 2011. Cette résolution avait suscité la colère des syndicats des opérateurs de téléphonie mobile. Macky Sall, lors de la campagne électorale pour la présidentielle de 2012, avait promis de la supprimer », rappelle Birame Diop.
Quel apport fiscal ?
Avec la révolution actuelle de la « data » et l’émergence des applications de type Voip (Voice over IP), comme WhatsApp, Instagram, Facebook, Telegram, qui permettent de passer des appels, Birame Diop pense qu’il est évident que la taxation des appels traditionnels ne générera plus les mêmes revenus qu’auparavant. Ce qui lui fait dire que l’impact de cette taxe sur le budget de l’État sera désormais minime. « En effet, le volume des appels téléphoniques internationaux est en forte décroissance, notamment en raison de la vulgarisation d’Internet et de ses nouveaux usages. Cette évolution contribue à la diminution des revenus provenant des appels directs incoming », explique-t-il.
À côté, il constate même que l’application d’une telle mesure pourrait porter préjudice au consommateur final, car le coût de la surtaxe serait probablement répercuté sur le prix total supporté par l’utilisateur. « Par exemple, un client de la diaspora souhaitant appeler sa famille au pays pour lui envoyer de l’argent pourrait subir cette surtaxe. Une analogie peut être faite avec la taxation des plateformes numériques. Le 1er juillet 2024, le Sénégal a introduit une nouvelle taxe de 18 % (Tva) sur les services fournis par ces plateformes, marquant une étape importante dans sa politique fiscale numérique », estime Birame Diop.
À ses yeux, les Gafam (acronyme des cinq plus puissantes multinationales des Tic, notamment Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) et autres opérateurs ont directement répercuté cette taxe sur les usagers finaux. Ainsi, si l’objectif initial était de capter une part des revenus de ces géants de l’Internet au profit de l’État sénégalais, le résultat obtenu est tout autre : ce sont les utilisateurs qui payent davantage aujourd’hui. De son côté, le juriste fiscaliste Elimane Niang pense que ce secteur regorge d’innombrables potentialités.
« L’État a perdu énormément de recettes parafiscales en supprimant cette taxation, soit 600 milliards de FCfa de 2012 à maintenant », signale-t-il. Ainsi, le facteur du succès, selon lui, serait d’échanger au préalable avec les parties prenantes : le ministre en charge des Télécommunications, le ministre des Finances, les opérateurs économiques ainsi que les associations des consommateurs. « À la suite, il faudra que l’État mette en place un comité et/ou un système de contrôle pour une application effective de la réglementation », propose-t-il.
Considérer la chaîne de valeur
Pour le directeur des systèmes d’information chez Promobile, Birame Diop, une chose est sûre, la baisse des tarifs des services de télécommunications (élément incontournable pour soutenir l’accès universel aux services du numérique) devra impérativement passer par une baisse des coûts de production sur toute la chaîne de valeur. Il s’agit, d’après lui, d’un point d’attention particulier à surveiller dans ce contexte de nouvelles politiques publiques s’appuyant considérablement sur le numérique. « De manière générale, il n’existe pas de fiscalité spécifique applicable aux transactions numériques. Ainsi, les appels, les mails, les Sms et les transferts ne font pas l’objet d’une taxation particulière, contrairement à ce qui est pratiqué dans certains pays.
C’est également pour cette raison que l’État n’avait pas réussi à imposer aux opérateurs de téléphonie mobile la taxation des appels entrants provenant de l’étranger », propose Birame Diop. Dans ce contexte actuel, estime-t-il, la démarche annoncée par le Premier ministre est véritablement salutaire, car elle répond aux interrogations sur la manière de réintroduire cette taxe de manière efficace. Car, selon le Premier ministre, le gouvernement s’engage, dès ce premier trimestre 2025, à remettre sur la table cette question, à travers une étude documentée, impliquant toutes les parties prenantes (ministère en charge Télécommunications, ministère des Finances, Artp, Direction générale des Impôts et des Domaines, opérateurs de téléphonie, associations consuméristes).
Demba Dieng
(Source : Le Soleil, 30 décembre 2024)