Recettes de cuisine électorale, par le « génie » informatique de Wade : Comment le Pds a gagné les élections
jeudi 8 mars 2007
Pour assurer sa réélection dès le premier tour de la présidentielle du 25 février, le chef de l’Etat, Abdoulaye Wade, n’a rien laissé au hasard. Un génie de l’informatique a fiché l’ensemble de la population sénégalaise. Recettes de cuisine électorale. Des supporters d’Abdoulaye Wade.
Dans un élégant bureau du palais présidentiel du Sénégal, Thierno Ousmane Sy, conseiller du président et génie de l’informatique, nous dévoile l’arme secrète qui a permis à son patron d’être réélu le 25 février 2007. Sur son ordinateur, il montre des bases de données qui contiennent de longues listes d’électeurs. Cliquant au hasard sur un nom, il fait apparaître une boîte qui affiche les coordonnées téléphoniques, le numéro d’identification de l’électeur, la date de son entrée dans tel ou tel parti, son affiliation religieuse et même des informations telles que ses liens éventuels avec des dirigeants religieux locaux et des « parrains » politiques. Si l’électeur est assez influent, son parcours est détaillé en bas de page.
En partie fondée sur les archives du ministère de l’Intérieur, cette liste a été régulièrement mise à jour au cours des sept dernières années par des membres du parti au pouvoir du président. Wade a puisé dans les calculs tirés de ces listes pour annoncer qu’il l’emporterait avec 56 % des voix. Et il a effectivement gagné, avec 55,9 % des suffrages exprimés.
Sy, formé aux Etats-Unis et en France, a été embauché pour la première fois par Wade lors de la campagne électorale de 2000. Selon lui, grâce à l’ouverture d’esprit dont il fait preuve vis-à-vis de la technologie, le président octogénaire du Sénégal a pu se doter d’un outil de campagne exceptionnel sur le continent, une base de données électorale aussi sophistiquée que ce que l’on peut rencontrer ailleurs dans le monde.
Wade, loué à l’étranger comme l’un des dirigeants les plus progressistes d’Afrique, mais critiqué au Sénégal pour son attitude autocratique, a eu pour la première fois recours à la base de données électorale en 2000, alors qu’il était candidat de l’opposition. A l’époque, cela lui avait permis de contourner les réseaux clientélistes traditionnels qui avaient tenu le Parti social-démocrate [la formation du président Wade, au pouvoir depuis 2000] à l’écart du pouvoir pendant quarante ans. L’Afrique avait alors été le théâtre d’une de ses premières alternances démocratiques. Cette fois, la base de données a fourni à Wade un formidable avantage sur ses quatorze concurrents dans la campagne. Les profils des électeurs ont une valeur inestimable dans l’économie sénégalaise, essentiellement tournée vers la pêche et l’agriculture et où les loyautés politiques dépendent principalement de questions locales. D’après Sy, la base de données, au niveau national, est la plus exhaustive du monde. Comptant seulement 5 millions d’électeurs potentiels [indépendante depuis 1960 et peuplée de 12 millions d’habitants, l’ancienne colonie française est un pays assez petit et suffisamment stable pour qu’un tel projet soit possible.
« Toutes les informations rassemblées à partir de différentes régions permettent de formuler un discours approprié », commente Sy. La base de données est transformée en une carte du Sénégal, un code couleurs indiquant le taux de popularité de Wade d’une région à l’autre. Le président s’est plus particulièrement intéressé aux indécis des secteurs clés, identifiant qui, parmi ses rivaux, comptait le plus de partisans. Wade est alors allé à la rencontre de cet électorat, connaissant à l’avance leurs histoires personnelles et leurs revendications politiques.
Dans les électorats considérés comme sans espoir, il a limité le financement de sa campagne pour rediriger l’argent sur des régions où il disposait de meilleures chances. « C’est fait de telle façon que nous pouvons optimiser les moyens qu’il nous faut pour distribuer des tee-shirts et toutes les autres choses utiles à la réussite d’une campagne », signale Sy. Il existe une autre liste, ajoute-t-il, qui rassemble les bailleurs de fonds de la campagne, dont beaucoup ont été impressionnés par le succès de la base de données des électeurs.
Pour les détracteurs du système de Sy, ce dernier favorise une approche populiste de la politique et encourage des campagnes électorales coûteuses proches du show-business alors que, ce dont le Sénégal a vraiment besoin, c’est d’une politique nationale cohérente afin de lutter contre la pauvreté et le chômage chronique. Des critiques que Sy rejette, assurant que la base de données a permis à Wade de rivaliser avec ce qui se fait de mieux en Afrique en termes de traditions démocratiques. « La base de données incarne un retour à la réunion de village, où chacun peut être entendu et où les problèmes sont résolus par la communauté. »
La plupart des commentateurs politiques ont été surpris de voir Wade l’emporter dès le premier tour de la présidentielle. Beaucoup avaient prédit que le président devrait se frayer un chemin jusqu’au second tour. Pour Wade, sa victoire n’est rien moins qu’un « plébiscite ». D’aucuns ont affirmé que de multiples versions des cartes d’électeur biométriques avaient été imprimées pour certains individus, et que Genesis, une entreprise autrefois créée par Sy, aurait été impliquée. « L’opposition n’a tout simplement toujours pas compris comment se servir de la technologie. Donc, ils cherchent à discréditer tout ça », rétorque-t-il simplement.
Dino Mahtani
(Source : Courrier international, 8 mars 2007)