Rapport de l’Institut Panos : Malgré le boom du mobile, la majorité des Africains n’ont pas accès au téléphone
vendredi 18 juin 2004
Les politiques mises en branle par les gouvernants et les actions des opérateurs de télécommunications ont-elles relevé le défi du développement de la téléphonie rurale et ont-elles permis un large accès au téléphone pour les Africains ? C’est de cette problématique que traite le document que vient de publier l’Institut Panos. Il est intitulé : « Completing the Revolution - The Challenge of Rural Telephony in Africa » [1].
Dans l’euphorie récente autour de la fracture numérique et la promotion des Technologies de l’Information et de la Communication, rappelle le rapport, on oublie souvent que la plupart des Africains habitant les zones rurales n’ont pas encore l’accès de base à un service de téléphone. Certes, à partir du milieu des années 90, et sous l’impulsion de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), les sociétés de télécommunications publiques, souvent techniquement dépassées, ont fait leur mue pour devenir opérateurs privés, perdant ainsi au moins une partie de leur monopole. Ces mutations se sont accomplies avec, en soubassement, l’idée que la libéralisation et l’arrivée d’autres opérateurs de télécommunications, notamment dans la téléphonie sans fil, allait sensiblement accroître la disponibilité du téléphone dans les zones rurales.
ZONES RURALES
Au final, il y a eu accroissement et croissance du téléphone mobile en Afrique. Le rapport donne l’exemple de l’Ouganda où le nombre d’utilisateurs du téléphone mobile a été multiplié par 131 en six ans et rappelle que, dans la plupart des pays africains, le nombre de postes de téléphones mobiles dépasse maintenant celui de postes fixes.
Cependant, la plus grosse part dans cette croissance a plutôt profité aux zones urbaines, au détriment des zones rurales. D’où « un gap communicationnel de plus en plus important entre les communautés urbaines et les communautés rurales », car les téléphones mobiles sont encore hors de portée des populations rurales encore trop pauvres pour s’en équiper.
Par ailleurs, note le rapport, s’il y a eu libéralisation du secteur, elle n’a pas été complète, du fait d’une volonté délibérée des gouvernements de protéger leur opérateur national de télécommunications. Ainsi, le potentiel de la libéralisation n’a pas été pleinement accompli. On peut citer, ici, l’exemple du Sénégal dont l’étude explique que sa privatisation « n’a pas créé de libre concurrence réelle », la société ayant continué à fonctionner comme un monopole depuis 1997 (monopole sur la téléphonie filaire, monopole sur les appels internationaux). De fait, depuis de nombreuses années, les acteurs réclament la fin de ce monopole, ou de ce qui en reste. Officiellement, c’est le mois prochain (juillet 2004) qu’il cessera d’être.
La téléphonie mobile peut-elle constituer la solution pour les zones rurales, ou, au contraire, la téléphonie fixe est-elle une meilleure solution ? La question est importante, car, estime le rapport, si « les télécommunications ont longtemps été ignorées comme outil de développement par les théoriciens, les TIC sont de plus en plus considérées comme un élément-clé du développement, parce qu’elles facilitent les changements sociaux et l’activité économique, augmentent la qualité de la vie, dopent les activités liées au développement des communautés rurales et promeuvent la transparence et une meilleure gouvernance locale ». Cependant, quelle que soit l’approche, le constat demeure que l’accès universel est un objectif loin d’être atteint dans la plupart des pays sous-développés.
Après un rappel de quelques chiffres désolants - par exemple que l’Afrique au Sud du Sahara, avec 10 % de la population mondiale, ne possède que 0,2 % du milliard de téléphones et que, sur les 21 millions de téléphones fixes en Afrique, l’Afrique du Nord en possède 11,4 millions et l’Afrique du Sud 5 millions, laissant seulement 4,6 millions au reste du continent - les auteurs du rapport se demandent si les mobiles et le marché sont véritablement capables de résoudre les problèmes de communications en zones rurales.
Réponse et constat : la libre concurrence et le marché ne peuvent, tout seuls, résoudre le problème de la fourniture de services téléphoniques au monde rural.
D’où la nécessité de débattre largement des politiques de libre concurrence, des questions d’environnement légal, des statuts encore privilégiés des anciens opérateurs nationaux de télécommunications, de la nécessité de subventionner le secteur rural pour un plus large accès au téléphone, des technologies à mettre en œuvre pour arriver au but (lignes filaires ou autres technologies), mais aussi, on l’oublie souvent, des problèmes comme la construction des routes, la fourniture d’électricité et la disponibilité de services postaux dont l’absence, conclut le rapport, minimise la viabilité et la pertinence de la téléphonie rurale. Ce rapport est complété par des études de cas du Sénégal, de l’Ouganda, du Burkina Faso et de la Zambie.
ALAIN JUST COLY
aljust@aljust.net
(Source : Le Soleil 18 juin 2004)
[1] Rapport « Completing the Revolution - The Challenge of Rural Telephony in Africa », The Panos Institute. Juin 2004