Propositions sur les actions de l’Etat sénégalais à la Sonatel
lundi 27 avril 2009
Il est actuellement prêté à l’Etat du Sénégal l’intention de céder une partie de ses actions Sonatel au groupe France Télécom, actionnaire à hauteur d’environ 42%. La vente de 9,78% des actions de l’Etat du Sénégal à France Télécom portera alors la part de cet opérateur à plus de 52%, ce qui fera de lui un actionnaire absolument majoritaire. C’est pourquoi, on peut comprendre la grande inquiétude des travailleurs du groupe Sonatel mais aussi l’affliction manifestée par le secteur privé national ainsi qu’une grande partie de l’opinion publique.
1- On parle de bradage des bijoux de famille puisqu’il est difficile de comprendre la disposition consistant à céder, à un peu plus de 170 milliards de francs Cfa, des actions qui rapportent annuellement plus de 10 milliards de francs Cfa à l’Etat.
2- On parle d’atteinte à la souveraineté nationale puisqu’il s’agit de laisser la plus grande et la plus rentable entreprise sénégalaise sous l’emprise d’une entreprise étrangère, d’où l’appel du secteur privé à un patriotisme économique. Un secteur privé national qui a, d’ailleurs, raison de se plaindre d’être laissé en rade dans les programmes de privatisations en faveur d’opérateurs privés étrangers.
3- On redoute également, chez les travailleurs du Groupe Sonatel, un affaiblissement social, leurs emplois dépendant dorénavant d’un opérateur privé pondérant plus des obligations de rentabilité que des objectifs sociaux.
Sans aucun doute, pour tout patriote, ces argumentaires sont pertinents mais l’analyse globale de la situation peut être inversement révélatrice. Au préalable, il est intéressant de décortiquer les motifs qui peuvent pousser l’Etat à vouloir vendre ses actions. On peut être d’accord qu’il s’agisse d’un besoin pressant de liquidités destinées à régler certains problèmes urgents inhérents à l’année 2009 : reliquat impayé de la dette intérieure, effets feedback des dépassements budgétaires de 2008, chantiers d’infrastructures bloqués du fait de la crise financière. Devant une telle situation, il s’impose de faire un effort pour comprendre la position du gouvernement, qui pourtant, a reconnu ses erreurs passées. Le président de la République a reconnu les innombrables erreurs commises dans les choix publics lors de son allocution du nouvel an et récemment à l’occasion de la fête de l’indépendance, en réagissant sur la débâcle de la Coalition Sopi lors des élections locales. De toutes les façons, le coup est déjà encaissé et la crise est là. Le climat économique est tendu du fait des difficultés financières de l’Etat. Il nous faut donc immédiatement trouver de l’argent public, peu importe son origine. L’urgence est à la recherche de solutions sérieuses si la volonté des autorités publiques y pourvoit de manière satisfaisante. Rappelons qu’économiquement, le rôle de l’Etat est normativement d’assurer l’allocation optimale des ressources du pays. Et dans la situation actuelle, on doit éviter la polémique et sauver ce qui peut l’être : plusieurs emplois sont menacés par l’insolvabilité récurrente de l’Etat aussi bien vis-à-vis du secteur privé, de certains organismes publics que d’autres fournisseurs. Mais selon un tel raisonnement, deux hypothèses fondamentales s’imposent :
1- le président de la République doit absolument respecter sa promesse d’assainir les finances publiques en éliminant les dépenses inutiles (suppression du Sénat et des multiples Agences et postes redondants qui coûtent chers à l’Etat comme l’a signalé M. Ségura). Il se doit de promouvoir ri-goureusement la bonne gouvernance et la transparence dans les finances publiques. Pour cela, l’environnement institutionnel général doit être réadapté, notamment avec la fortification de la Commission nationale de lutte contre la corruption.
2- Le ministre des Finances a récemment déclaré que la cession n’a pas encore été opérée mais, il doit rassurer l’opinion sur la bonne destination des fonds en cas de vente et, montrer qu’il n’y aura pas de détournement d’objectif. Cela renvoie à la question de la communication du gouvernement qui est lamentablement défaillante.
Dès lors, l’argumentaire radical selon lequel l’Etat ne doit pas vendre ses actions doit être littéralement écarté. Si les menaces d’atteinte à la souveraineté du Sénégal et d’affaiblissement social des travailleurs sont valables, la question qu’il va falloir trancher est celle de savoir à qui l’Etat peut vendre ses actions. Ainsi, il est donc impératif qu’il ne cède pas plus de 7% de ses actions à France Télécom dont la part ne doit alors pas dépasser 49%. Au minimum, 3% des 9,78% qu’il veut céder doivent revenir au secteur privé national, aux salariés ou au public sénégalais. L’Etat est tout de même tenu par l’obligation stricte d’organiser préalablement une concertation nationale avec ses différents partenaires puisqu’il s’agit d’un secteur stratégique. Cependant, même une cession totale à France Télécom peut être envisagée moyennant un sérieux réaménagement institutionnel en faveur des intérêts des consommateurs et des salariés. Par ailleurs, les Sénégalais doivent se rappeler et reconnaître que France Télécom est à l’origine de la bonne situation actuelle du Groupe Sonatel. Le secteur a actuellement atteint un niveau technologique qui atteste du savoir faire et de l’efficacité du dispositif d’exploitation du secteur inhérente aux méthodes de gestion privée. Ainsi depuis la privatisation de 1996, la participation privée a permis une gestion plus rigoureuse basée sur une recherche sérieuse de résultats. Elle a aussi permis d’éviter les modes de gestion clientéliste et la stagnation dans des procédés technologiques archaïques. Tous les observateurs sont d’accord sur les avancées technologiques sensibles permises par France Télécom depuis 1996 et que l’Etat sénégalais aurait du mal à réaliser. Si la Sonatel n’était pas privatisée, l’Etat sénégalais n’aurait également pas eu la possibilité, à lui seul, de fournir les 600 milliards francs Cfa d’investissements injectés depuis 1997.
Le Sénégal s’est déjà inscrit dans une dynamique de libéralisation. La marge de manœuvre de l’Etat réside dans l’encadrement institutionnel et la régulation dont le rôle est de faire percevoir, à tous les sénégalais, l’intérêt de cette libéralisation. Le secteur regorge d’un potentiel de création de richesses très important et les profits y sont encore très élevés. Les bénéfices avant impôts sont passés de 18, 32 milliards francs Cfa en 1996 à 185,46 milliards francs Cfa en 2006. Donc, l’équation d’une juste répartition des richesses générées entre les intérêts privés et publics reste entière. La régulation offre le seul cadre de rattrapage et de rationalisation via les clauses tarifaires, de qualité et de protection des salariés. Selon cette optique, l’intérêt de tout le monde peut être sauvegardé quelque soit la configuration des droits de propriété. Cela repose sur la propension de l’Etat sénégalais à réaménager le code des télécommunications et à retailler la régulation à la mesure d’objectifs sociaux définis préalablement avec ses partenaires sociaux. Cette dimension institutionnelle et réglementaire concrétise le rôle du droit dans la gestion de la stabilité de tout le système. Il appartient au régulateur de veiller à ce que le marché ne se dévie pas des résultats sociaux escomptés. Les missions de l’Artp revêtent donc deux dimensions. D’un côté, la régulation des aspects de partenariat public-privé et de l’autre, la rationalisation du processus concurrentiel. Pour les aspects de partenariats public-privé, l’Etat doit songer à contractualiser, sous le contrôle de l’Artp, certaines obligations sociales s’il cède totalement ses actifs à France Télécom. Le fonctionnement de ce dispositif est tributaire de la capacité de l’Artp à jouer pleinement son rôle de coercition, d’investigation et de contrôle. L’Artp devra alors être détachée de la tutelle de la présidence de la République si elle veut jouir de l’indépendance nécessaire afin :
– d’éviter sa capture dans les intérêts de France Télécom
– d’éviter sa manipulation par la Présidence pour la satisfaction d’objectifs politiciens
– d’éviter son engouffrement au milieu d’une collusion basée sur des échanges de faveurs entre les dirigeants de France Télécom et les autorités publiques sénégalaises.
El Hadji Mounirou Ndiaye,
Docteur en Economie industrielle
Enseignant à l’Institut africain de management (Iam/Dakar)
elhmounir@hotmail.com
(Source : Le Quotidien, 27 avril 2009)