Procès la Gazette/Thierno Ousmane Sy : Plaidoiries : Me Aly Fall, avocat de la défense : « Cette opération est marquée de collusions frauduleuses, d’amitiés suspectes et de documents bizarroïdes »
jeudi 30 septembre 2010
« Monsieur le président, les journalistes de La Gazette se fondent sur des documents suspects et se posent des questions légitimes. Le premier document sur lequel n’importe quel journaliste va s’interroger c’est ce fameux mail sur lequel nous avons entendu ici des mensonges établis. De quoi s’agit-il ? Vous détenez un mail envoyé à la Sudatel et transmis le même jour à M. Sy. Il a sorti un artifice soit disant qu’il ne pouvait pas recevoir le mail dans sa boîte professionnelle sous prétexte qu’il était en voyage. Il a avoué avoir reçu le mail dans sa boîte personnelle. Il a avoué devant la barre avoir reçu ce mail à titre professionnel et non à titre amical. Je m’étonne que vous receviez ce mail à 1 h du matin dans votre boîte personnelle et l’avoir partagé avec votre hiérarchie. J’ai entendu M. Sy dans ses interventions médiatiques dire qu’il s’agit d’un conflit de privé entre Sudatel et Pcg dans lequel l’Etat du Sénégal n’a rien à voir. Par la suite, il soutient qu’il a reçu le mail pour être alerté d’un paiement de commissions ou d’honoraires. Si vous avez une parfaite conscience des responsabilités pour lesquelles vous menez votre mission, quand des sociétés privées vous appellent pour faciliter le paiement d’une commission, vous vous débarrassez rapidement de ce mail si vous n’avez pas envie qu’on mêle votre nom à des histoires de corruption et de versement de pots-de-vin. Cette démarche minimale me paressait élémentaire et cela n’a pas était fait.
Tout à l’heure j’ai posé à la partie civile la question de savoir quand il a connu M. Keinde. Il m’a dit : « nous avons fait ensemble l’école Louis Le grand, mais on n’est pas amis ». Nous tous, nous avons fait des études en Europe. Quand on avait dans notre école un compatriote, on était content de le voir et croyez-moi des rapports forts se nouent et glissaient rapidement vers l’amitié. Et je pense que c’est bien le cas. En tout état de cause, ils ne sont pas liés par autre chose. Pourquoi vouloir nier d’un coup cette amitié parce qu’elle fait appel à des milliards suspects.
La deuxième chose : quand on vous demande d’intervenir dans un contrat de plusieurs milliards, le minimum est de le lire attentivement pour se faire une idée. Qu’est-ce que nous dit M. Sy ? Qu’il l’ a à peine parcouru pour aller en parler à son supérieur hiérarchique qui n’est autre que le président de la République. Pendant tout l’exercice oral auquel il s’est livré, il a voulu nous faire comprendre qu’il est rigoureux, intelligent et qu’il a une haute idée de ses responsabilités et une fois qu’il a reçu le dossier, il n’a fait que le parcourir. De qui se moque-t-on ? En réalité ce que M. Sy n’a pas dit, qu’il ne dira jamais, c’est qu’il sait parfaitement que c’est Andrew Davis qui est signataire du contrat qui lie Sudatel à Pcg et que l’expéditeur du mail est le même personnage. C’est son ami Kéba Keinde. Vous ne pouvez pas accepter que M. Keinde soit le conseiller de la Celtel soumissionnaire à l’appel, soit en même temps le facilitateur pour le paiement des commissions à Pcg. Alors que les deux sociétés ont participé à l’appel d’offres. Vous ne vous posez pas de question sur le potentiel conflit d’intérêts qui est devant vous ? Vous dites que vous ne vous posez pas la question parce que tout le monde se connaît dans le milieu. C’est la première fois de ma vie que je vois quelqu’un me prendre en direct pour un idiot. Dans toute la procédure, la fraude pue à toutes les étapes. Il est important que tout le monde se rende compte que cette opération est marquée de collusions frauduleuses, d’amitiés suspectes et de documents bizarroïdes. Quand un journaliste tente de tout faire pour mettre à nu cette fraude je pense qu’il faut d’abord le féliciter et le parquet doit ouvrir une information judiciaire à l’encontre des suspects. Quand on est investi de tels mandats, la responsabilité exige le devoir de rendre compte. Il serait absolument scandaleux qu’un journaliste, qui apporte une offre de preuves aussi parfaite rendant compte du climat puant de cette opération, soit condamné. »
Boly Bah, Ahmed Diamé, Baye Makébé Sarr, Cheikh Fadel Barro et Papa Adama Touré
(Source : La Gazette, 30 septembre 2010)