Procès la Gazette/Thierno Ousmane Sy : L’absence remarquée de Kéba Keinde
jeudi 30 septembre 2010
Kéba Keinde est l’autre Sénégalais cité dans la Gazette comme étant au cœur du scandale. D’où les multiples évocations de son nom, à l’audience, malgré son absence remarquée.
Mais qui est donc ce Kéba Keinde ? Son nom a été mille et une fois cité à l’audience. Et pour cause ! Il a joué un rôle central dans le contexte frauduleux créé autour de la vente de la deuxième licence globale de la Sudatel. Il faut reconnaitre que l’homme est un esprit brillant, un féru de la haute finance qui dirige des opérations et des montages complexes qui mettent souvent des milliards de dollars en jeu. Kéba Keinde est le président directeur général de Millenium Finance Corporation (Mfc), filiale de Dubaï Islamic Bank (Dib). Abdou Latif Coulibaly, a expliqué magistralement avec des diapositives à l’appui que l’homme est coutumier des transactions douteuses. Wikileaks avait publié en 2009 sur son site plusieurs documents constitués d’e-mails internes et de rapports qui incriminaient le banquier d’affaires sénégalais et sa gestion de la banque.
Le Dubaï Financial Services Authority - l’unique organisme de réglementation indépendant de tous les services financiers et connexes menés par le Centre Financier International de Dubaï (Difc) - a incriminé M. Keinde dans une transaction de 20 millions d’euros qu’il a conduite en 2009. La transaction en question concerne la mise en place d’un site internet appelé « Let’s Buy it dot com » (LBIT), un portail internet d’achat comparateur des prix des magasins. Les conclusions préliminaires des auditeurs internes ont révélé « des irrégularités dans ces transactions car elles n’ont pas été autorisées par le Conseil d’administration de Mfc. Le 28 avril 2009, le Conseil s’est réuni pour statuer sur la question. Une résolution du conseil d’administration a instruit Kéba Keinde et les 5 autres impliqués de rendre les fonds qui ont été investis dans la transaction LBIT dans un délai de sept jours ». Dans un entretien accordé au journal émirati The National le 25 août 2009, il s’est défendu contre toutes ces accusations en affirmant que « tout a été fait dans le respect de la gouvernance d’entreprise et des conseils extérieurs. C’est ce que nous avons toujours dit au DFSA. »
La National Association of securities dealers, l’ancêtre de la Financial Industry Regulatory Authority (FINRA) est le plus grand organisme de réglementation indépendant pour toutes les entreprises qui font des affaires en valeurs mobilières des États-Unis. Cet organisme a également condamné Kéba Keinde à une amende de 5000 $ en 1999 et a pris des mesures disciplinaires contre lui. Il lui avait interdit de « s’associer avec un quelconque membre de la NASD à quelque titre que ce soit pendant six mois, et doit repasser son examen. S’il ne parvient pas à se requalifier, il sera interdit de s’associer avec un membre du NASD jusqu’à ce qu’il recouvre son droit ». « Sans admettre ou nier les allégations, Keinde a accepté les sanctions décrites et les résultats d’enquêtes qu’il s’était engagé dans des activités commerciales en dehors de son travail avec une société membre sans informer, au préalable, par écrit, sa société de ses activités », renseigne la FINRA.
Il n’a donc fait que récidiver dans l’attribution de la deuxième licence globale en s’engageant dans des activités en dehors de Millenium Finance Corporation. En l’occurrence, M. Keinde a joué sur deux fronts en conseillant à la fois deux sociétés concurrentes relativement à l’attribution de la deuxième licence globale. Il a, en effet, conseillé l’opérateur Celtel (devenu Zain) ainsi que Sudatel par l’intermédiaire de Palm Capital Group (Pcg). Nos informations indiquent que M. Keinde a créé cette société fictive qui a signé un contrat en bonne et due forme avec Sudatel pour mener des activités de lobbying auprès de l’Etat du Sénégal. Cependant, selon Thierno Ousmane Sy lui-même lors de l’audience, « aucun membre de cette société n’a mis les pieds au Sénégal ». Pourtant, aux termes du contrat signé, Pcg est chargée entre autres de négocier avec le vendeur de la licence. Plus intrigant encore, Kéba Keinde a emprunté le nom de Andrew Davis qu’il présente comme le directeur général de Pcg. Le 21 novembre 2007 à 01h 40 mn 56 sec, Kéba Keinde a envoyé par son nom d’emprunt, Andrew Davis, un message électronique à Emad Ahmed, Directeur de Sudatel en copiant Thierno Ousmane Sy les informant du dépôt de la facture de10 millions de dollars.
Thierno Ousmane Sy a répété à la barre que son ami de longue date, Kéba Keinde lui a demandé d’intervenir à cause des difficultés de paiement. Cela dit, rien dans le message n’indique des difficultés de paiement : le message commence par « félicitation ». Vous remarquerez que Keinde s’adresse même à ses interlocuteurs avec des compliments. Un autre détail crève les yeux : aucune adresse professionnelle n’a été utilisée dans la correspondance entre les deux amis. L’adresse du mail envoyé par Kéba Keinde alias Andrew Davis est une adresse privée ainsi que celle de Thierno Ousmane Sy. D’où la remarque pertinente des avocats de la défense à la barre : « Ça pue la fraude ».
Aliou Niane
(Source : La Gazette, 30 septembre 2010)