Préambule
Un internet féministe se consacre à rendre autonomes de plus en plus de femmes et de personnes queer – dans toutes nos diversités – afin de jouir pleinement de nos droits, de participer à des activités de loisirs et de plaisir et de démanteler le patriarcat. Il convient pour cela de prendre en compte nos différentes réalités, nos divers contextes et spécificités, qu’il s’agisse de l’âge, de handicaps, de sexualités, d’identités ou d’expressions de genre, de statuts socio-économiques, de croyances politiques ou religieuses, d’origines ethniques ou encore de marqueurs raciaux. Les principes suivants sont essentiels pour parvenir à un internet féministe.
Accès
1. Accès à l’internet
Un internet féministe commence avec la possibilité pour plus de femmes et de personnes queer de jouir d’un accès internet universel, acceptable, à prix abordable, inconditionnel, ouvert, constructif et égalitaire.
2. Accès à l’information
Nous soutenons et protégeons l’accès sans restrictions à l’information utile aux femmes et aux personnes queer, notamment lorsque celle-ci concerne la santé reproductive et sexuelle, les droits qui s’y rapportent, le plaisir, la sécurité, l’avortement, l’accès à la justice et toute question relative aux LGBTIQ. Un tel accès suppose également la protection de la diversité des langues et des différences de capacités, d’intérêts et de contextes.
3. Utilisation des technologies
Les femmes et les personnes queer ont le droit de codifier, de concevoir, d’adapter et d’utiliser durablement les TIC de façon critique, de se servir des technologies comme plateformes d’expression et de créativité, et de remettre en question les cultures sexistes et discriminatoires dans tous les domaines.
Mouvements et participation publique
4. Résistances
L’internet est un espace où les normes sociales sont remises en cause, mises en pratique et imposées, souvent dans des extensions d’espaces marqués par le patriarcat et l’hétéronormativité. Notre lutte pour un internet féministe entre dans la continuité de notre résistance dans d’autres espaces, qu’ils soient publics et/ou privés.
5. Construction des mouvements
L’internet est un espace politique transformateur. Il favorise les nouvelles formes de citoyenneté par la possibilité qu’il donne à chacun de s’affirmer, de se construire et de s’exprimer sur soi-même, sur son genre et sa sexualité. Cela implique de pouvoir se connecter sur tous les territoires, de demander des comptes et de la transparence, et de créer des opportunités pour la construction d’un mouvement féministe durable.
6. Décider de la gouvernance de l’internet
Nous croyons en la remise en question du système patriarcal qui domine les espaces et les processus de contrôle en termes de gouvernance de l’internet, et en la présence de plus de féministes et de queers aux tables décisionnelles. Nous voulons plus de démocratie dans les décisions relatives à l’internet et une meilleure répartition de la propriété et du pouvoir dans les réseaux locaux et mondiaux.
Économie
7. Économies alternatives
Nous nous engageons à remettre en question la logique capitaliste qui pousse vers une plus grande privatisation des technologies, vers le profit et la mainmise des grandes entreprises. Nous œuvrons pour la création de formes alternatives de pouvoir économique basées sur les principes de coopération, de solidarité, de bien commun, de protection de l’environnement et d’ouverture.
8. Logiciels libres et à code source ouvert
Nous nous engageons à créer et expérimenter avec la technologie en matière de sécurité du numérique et d’utilisation de logiciels, d’outils et de plateformes libres et à code source ouvert (FLOSS). La promotion, la diffusion et le partage du savoir sur l’utilisation de ces outils sont au cœur de notre travail.
Expression
9. Accentuer le discours féministe
Nous revendiquons le pouvoir de l’internet à accentuer les récits de réalités vécues par les femmes. Résister à l’État, au droit religieux et à toute autre force extrémiste est une nécessité face à leurs tentatives pour monopoliser les discours sur la morale, à réduire au silence les voix féministes et à persécuter les défenseures des droits humains des femmes.
10. Liberté d’expression
Nous défendons le droit à l’expression sexuelle, que nous considérons comme une liberté d’expression de la même importance que l’expression politique ou religieuse. Nous nous opposons fermement à toute tentative de gouvernements et d’acteurs non-étatiques de contrôler, surveiller, réglementer et restreindre l’expression féministe et queer sur l’internet par le biais de technologies, législations ou de violence. Nous reconnaissons que cela fait partie du projet politique plus général de contrôle moral, de censure et de hiérarchisation des citoyens et des droits.
11. Pornographie et « contenus préjudiciables »
Nous reconnaissons que la question de la pornographie en ligne est liée au libre arbitre, au consentement, au pouvoir et au travail. Nous rejetons tout lien simpliste de cause à effet entre la consommation de pornographie et la violence contre les femmes. Nous rejetons également le terme générique de « contenu préjudiciable » adossée à toute expression liée à la sexualité féminine et transgenre. Nous apportons notre soutien aux revendications et à la création de contenus érotiques alternatifs qui résistent contre la vision patriarcale habituelle et placent au premier plan les désirs des femmes et des personnes queer.
Libre arbitre
12. Consentement
Nous appelons à la nécessité d’établir un consentement tant éthique que politique concernant les plateformes de l’internet, sur leur culture, leur conception, leurs politiques et leurs conditions d’utilisation. Pour conserver leur libre arbitre, les femmes doivent avoir la capacité de prendre des décisions éclairées sur quels aspects de leur vie publique ou privée elles vont mettre en ligne.
13. Vie privée et données personnelles
Nous soutenons le droit au respect de la vie privée et à la pleine maîtrise des donnés et des informations en ligne à caractère personnel et ce, à tous les niveaux. Nous rejetons l’utilisation de ces données ayant un objectif de profit ou de manipulation du comportement de la part des États ou des entreprises privées. La surveillance est l’instrument historique du patriarcat, utilisée pour contrôler et entraver les femmes dans leur physique, leur expression et leur activisme. Nous donnons une égale importance à toutes les pratiques de surveillance, que celle-ci soit effectuée à niveau personnel, dans le secteur privé, public ou non étatique.
14. Historique
Nous avons le droit d’exercer un contrôle sur notre historique personnel sur l’internet et d’empêcher un contrôle extérieur. Cela implique d’avoir la possibilité d’accéder à toutes les données et les informations en ligne qui nous concernent, et d’exercer un contrôle sur ces données, notamment savoir quelles personnes y ont accès et sous quelles conditions, et de pouvoir les effacer définitivement.
15. Anonymat
Nous défendons le droit au respect de l’anonymat et rejetons toute tentative restriction en la matière sur l’internet. L’anonymat est ce qui permet la liberté d’expression en ligne, surtout lorsqu’il s’agit de rompre les tabous de la sexualité et de l’hétéronormativité, d’expérimenter avec l’identité de genre ou de garantir la sécurité des femmes et des personnes queers victimes de discrimination.
16. Enfants et adolescents
Nous appelons à l’inclusion des voix et des expériences des jeunes dans les décisions concernant leur sécurité en ligne et la promotion de leur sécurité, du respect de leur vie privée et de leur accès à l’information. Nous reconnaissons le droit des enfants à un développement sain au niveau tant émotionnel que sexuel, ce qui inclut le droit au respect de leur vie privée et à l’accès à des informations positives en matière de sexe, de genre et de sexualité à un moment essentiel de leur vie.
17. Violence en ligne
Nous appelons l’ensemble des parties prenantes de l’internet, les utilisateurs, les décideurs politiques et le secteur privé à se consacrer à la question du harcèlement en ligne et de la violence liée aux technologies. Les attaques, les menaces, l’intimidation et le contrôle que subissent les femmes et les queers sont une réalité préoccupante en raison du préjudice causé, et font partie intégrante de la question plus générale de la violence basée sur le genre. Il est de notre responsabilité collective de lutter contre la violence et d’y mettre fin.
(Source : Alliance pour le Progrès des Communications (APC), août 2016)